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PRÉLIMINAIRE.

JUVENAL ne nous apprend de lui rien autre chose, dans le cours de ses Satires, sinon qu'il étoit originaire d'Aquin, ancienne ville d'Italic, et qu'il avoit passé quelque tems en Egypte 2. Ses contemporains n'ont pas jeté plus de lumière sur son extraction, ses emplois et sa vie privée 3. Plusieurs passages de ce Poëte, relatifs à l'Histoire, font seuleinent présumer qu'il naquit vers le commencement du regne de Néron; qu'il vint jeune à Rome pour y étudier les belles-lettres; et que, dans ses premiers essais, ayant lancé quelques traits satiriques contre le Pantomime Pâris 4, favori de l'Empereur Domitien, cet Histrion le fit rcléguer dans la Pentapole de Libye. Parmi les Commentateurs, les uns prétendent qu'il vieillit et mourut dans son exil; les autres croient, avec plus de vraisemblance, qu'il revint environ dix ans après dans la capitale de l'Empire, où il composa le plus grand nombre de ses Satires. L'époque de sa mort n'est pas plus certaine que celle de sa naissance. Il paroît néanmoins, par deux de ses vers, qu'il écrivoit encore pendant la troisième année du regne d'Adrien ".

a

Il nous a laissé seize Satires, en supposant qu'il soit l'auteur de la dernière, ce qui est au moins douteux. Elles sont écrites avec chaleur et véhémence. Le ton mâle et libre qui les caractérise n'avoit point eu de modèle et n'a point encore trouvé d'imitateurs. Je doute qu'il en paroisse : le Public craint trop la Censure, et les Poëtes ne redoutent pas moins le Public. D'ailleurs, ceux-ci veulent jouir de leurs travaux: or, dans les arts, ainsi que dans les mœurs, ce qui n'est point proportionné à la manière actuelle de voir et de sentir, quelqu'excellent qu'il soit, paroît plus étrange qu'estimable. Cependant nos Voisins sont tellement épris de Juvénal, que plusieurs de leurs Savans ont osé le mettre au-dessus d'Horace: Jules Scaliger, entr'autres, n'a pas craint de le nommer le Prince des Satiriques. Le François doux et poli, brillant et léger, n'est point fait pour hésiter entre ces deux Auteurs. Chez nous un Poëte élégant, et qui sait flatter à propos, doit l'emporter sur celui dont le plus grand mérite est d'avoir du nerf et de la sincérité. Notre gouvernement et nos moeurs exigent de grands égards.. Il est à croire, néanmoins, que Juvénal auroit aussi ses partisans en France, si son texte vigoureux et concis n'étoit

pas très-difficile à suivre, et si les Traducteurs ne l'avoient pas totalement énervé sans l'éclaircir.

Avant d'entrer en matière, écoutons le Législateur de notre poësie, sur le génie et la manière d'un Auteur si diversement apprécié par les gens de lettres.

Juvénal, élevé dans les cris de l'école,

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages tout pleins d'affreuses vérités,
Étincellent pourtant de sublimes beautés :
Soit que sur un écrit arrivé de Caprée
Il brise de Séjan la statue adorée :

Soit qu'il fasse au Conseil courir les Sénateurs
D'un Tyran soupçonneux pâles adulateurs :
Ou que poussant à bout la luxure Latine

Aux Porte-faix de Rome il vende Messaline:

Ses Écrits pleins de feu par-tout brillent aux yeux.
BOILEAU, Art Poët.

De ces beaux vers les deux premiers sont passés en proverbe; on cite rarement les autres: tant il est vrai que le sarcasme prévaut sur les éloges.

Comme on a coutume pour déprimer Juvénal,

essayer

de

de le comparer avec Horace, je vais faire sentir que ces deux Poëtes ayant, en quelque

être

sorte, partagé le vaste champ de la Satire, l'un n'en saisit que l'enjouement, l'autre que la gravité; et que chacun d'eux, fidèle au but qu'il se proposoit, a fourni sa carrière avec autant de succès, quoiqu'ils ayent employé des moyens contraires. Cette manière de les envisager, plus morale peutque littéraire, n'en est pas moins capable de les montrer par le côté le plus intéressant. Voyons dans quelles circonstances l'un et l'autre peignirent les mœurs, et ce qui constitue la différence de leurs caractères. Ce que je dirai pourra convenir, à certains égards, aux Satiriques modernes, qui n'ont guère d'autre mérite que d'avoir emprunté de ces grands Maîtres le ton, les mouvemens et les pensées, selon qu'ils avoient à traiter des sujets plaisans ou sérieux, et qu'ils avoient dessein de flatter ou d'instruire.

Avec autant de sagacité, plus de goût, mais beau coup moins d'énergie que Juvénal, Horace semble avoir eu plus d'envie de plaire que de corriger 7. Il est vrai que la sanglante révolution qui venoit d'étouffer les derniers soupirs de la liberté Romaine, n'avoit pas encore eu le tems d'avilir absolument les ames: il est vrai que les mœurs

n'étoient pas aussi dépravées qu'elles le furent après Tibère, Caligula et Néron. Le cruel mais politique Octave, semoit de fleurs les routes qu'il se frayoit sourdement vers le despotisme : les beaux arts de la Grèce, transplantés autour du Capitole, fleurissoient sous ses auspices: le souvenir des discordes civiles faisoit adorer l'auteur de ce calme nouveau: on se félicitoit de n'avoir plus à craindre de se trouver, à son réveil, inscrit sur des tables de proscription; et le Romain en tutele, oublioit à l'ombre des lauriers de ses Ancêtres, dans les Amphithéatres et dans le Cirque, ces droits de Citoyen dont ses peres avoient été si jaloux pendant près de huit siècles. Jamais la tyrannie n'eut de prémices plus séduisantes. L'illusion étoit générale; ou si quelqu'un étoit tenté de demander au Petit-Neveu de César de quel droit il s'érigeoit en maître, un regard de l'Usurpateur le réduisoit au silence. Horace, aussi bon Courtisan qu'il avoit été mauvais Soldat 9, Horace, éclairé par son propre intérêt, et se jugeant incapable de remplir avec distinction les devoirs pénibles d'un vrai Républicain, sentit jusqu'où pouvoient l'élever sans effort, la finesse, les graces, et la culture de son esprit, qualités peu considérées

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