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et non de l'auteur, on ne trouveroit rien à reprendre dans ses écrits: l'esprit qui les dicta ne respire que l'amour du bien public. S'il reprend les ridicules, ce n'est qu'autant qu'ils tiennent au vice ou qu'ils y menent. Quand il sévit, quand il immole, on n'est jamais tenté de plaindre ses victimes, tant elles sont odieuses et difformes 24. Je sais qu'on l'accuse encore d'avoir été trop avare de louanges: mais quand on connoît le cœur humain, quand on ne veut ni se faire illusion à soi-même, ni tromper les autres, en peut-on donner beaucoup? Il a peu loué : le malheur des tems l'en dispensoit. Ce qu'il pouvoit faire de plus humain, étoit de compatir à la servitude involontaire de quelques hommes secretement vertueux, mais emportés par le torrent 25. Au reste, il étoit trop généreux pour flatter des Tyrans et pour mendier les suffrages de leurs esclaves. Les éloges ne sont donnés le plus souvent qu'en échange; il méprisoit ce trafic. Il aimoit trop sincerement les hommes pour les flatter: tout ce qui pouvoit leur nuire l'indignoit; et nous devons à cette noble passion la plus belle moitié de son Ouvrage, je veux dire la plus sentencieuse et la plus généralement intéressante en tout tems,

en tous lieux. Après avoir combattu les vices reconnus pour tels, il comprit qu'il falloit encore remonter à la source du mal et dissiper le prestige des fausses vertus: car il faut, dit Montaigne, ôter le masque aussi bien des choses que des personnes. De là ces Satires 26, ou plutôt ces belles Harangues contre nos vains préjugés, plus forts, et bien autrement accrédités, que la saine raison.

Il est aisé, maintenant, de sentir pourquoi Horace a plus de partisans que Juvénal. On sait que depuis long-tems la vertu sans alliage n'a plus de cours; que ceux qui la professent dans toute sa pureté ont toujours plus d'adversaires que de disciples, et qu'ils révoltent plus souvent qu'ils ne persuadent. Supposez que les Riches, les Riches, presque toujours insatiables, fûssent sans pudeur et sans humanité, quand il s'agit de devenir encore plus riches supposez que l'or, au lieu de circuler également dans tous les membres de l'État et d'y porter la vie, ne servît plus qu'à fomenter le luxe insolent des parvenus: quel seroit, je vous prie, le sort de deux Orateurs dont l'un plaideroit la cause du Superflu, et l'autre celle du Nécessaire 27? Il est évident que le premier triompheroit auprès

de nos Crésus: mais le second? n'ayant pour amis les infortunés, je tremblerois pour lui 28. Lę grand talent d'un Écrivain, chez les peuples arrivés

que

à ce déclin des moeurs qu'on appelle l'exquise

politesse, est moins de dire la vérité que ce qui plaît aux hommes puissans. Si ces réflexions sont justes, on m'accordera que les ambitieux, les hommes sensuels, et ceux qui flottent au gré de l'opinion, n'ont que trop d'intérêt de préférer à l'âpre censure de Juvénal, la douceur et l'urbanité d'un Poëte indulgent, qui non content d'embellir les objets de leurs goûts et d'excuser leurs caprices, sait encore autoriser leurs foiblesses par son exemple. Souvent, dit Horace, je fais, au préjudice de mon bonheur, ce que ma propre raison désavoue 29. Il convient encore qu'il n'avoit pas la force de résister à l'attrait du moment, et que ses principes varioient selon les circonstances. 3° Il faut l'entendre exalter, tour à tour, et la modération de l'ame et son activité dans la poursuite des honneurs : tantôt vanter la souplesse d'Aristippe 31, tantôt l'inflexibilité de Caton; et, comme si le cœur pouvoit suffire en même tems aux affections les plus contraires, approuver, dans le même ouvrage, et la modestie qui se cache, et la vanité qui brûle de se produire au

grand jour 32. S'il est vrai que l'humanité s'affoiblit et s'altère à mesure qu'elle se polit 33, le plus grand nombre doit aujourd'hui donner la préférence à celui qui sait le mieux amuser l'esprit, et flatter l'indolence du cœur, sans paroître toutefois déroger aux qualités essentielles qui constituent l'homme de bien. C'est principalement à ces titres qu'Horace ne peut jamais cesser d'ètre, d'âge en âge, le confident et l'ami d'une postérité, que de nouveaux arts, et par conséquent des besoins nouveaux, éloigneront de plus en plus de la simplicité naturelle. Mais l'homme libre, s'il en est encore, celui qui s'est bien persuadé que le vrai bonheur ne réside que dans nous-mêmes; qu'excepté les relations de devoir, de bienveillance et d'huma-nité, toutes les autres sont chimériques ou pernicieuses: celui qui s'est fait des principes constans, qui ne connoît qu'une chose à desirer, le Bien; qu'une chose à fuir, le Mal; et qui se dévoueroit plutôt à l'opprobre et à la mort que de trahir sa conscience dont le témoignage lui suffit : celui-là, n'en doutez point, préférera, sans hésiter, la rigucur d'une morale invariable, à tous les palliatifs d'un Auteur complaisant. Ainsi, Juvénal seroit le premier des Satiriques si la vertu étoit le premier

besoin des hommes: mais, comme il le dit luimême, on vante la probité, tandis qu'elle se morfond 34.

Je conclus de ces considérations, qu'Horace écrivit en Courtisan adroit, Juvénal en Citoyen zélé : que l'un ne laisse rien à desirer à un esprit délicat et voluptueux, et que l'autre satisfait pleinement une ame forte et rigide.

Il me reste à montrer que Juvénal ne nourrissoit point dans son cœur, dont j'admire l'excellence, un levain secret qui tenoit plus de l'envie et de la haine, que du projet réfléchi d'être utile au Genre-humain. Un Académicien, connu par des Ouvrages élégans et solides, me paroît n'avoir point assez distingué le caractère de mon Auteur de celui des autres Satiriques qu'il définit ainsi : « Je crois, dit-il, 1°. qu'il y a dans le cœur du Satirique, » un certain germe de cruauté enveloppé qui se » couvre de l'intérêt de la vertu pour avoir le

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plaisir de déchirer au moins le vice. 2°. Que >> si par hasard les Satires rendoient les hommes » meilleurs, tout ce que pourroit faire alors le

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Satirique, ce seroit de n'en être pas fâché.:

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