Obrázky na stránke
PDF
ePub

jusqu'alors chez un peuple turbulent et qui n'avoit médité que des conquêtes. Ainsi, la politesse, l'éclat, et la fatale sécurité de ce regne léthargique 10, n'avoient rien d'odieux pour un homme dont presque toute la morale n'étoit qu'un calcul de voluptés, et dont les différents écrits ne formoient qu'un long traité de l'art de jouir du présent, sans égard aux malheurs qui menaçoient la postérité. Indifférent sur l'avenir, et n'osant rappeler la mémoire du passé, il ne songcoit qu'à se garantir de tout ce qui pouvoit affecter tristement son esprit, et troubler les charmes d'une vie dont il avoit habilement arrangé le systême ". Estimé de l'Empereur, cher à Virgile, accueilli des Grands et partageant leurs délices, il n'affecta point de regretter l'austérité de l'ancien ment : c'eût été mal répondre aux vues d'Auguste et de Mécène qui s'étoient déclarés ses protecteurs. Le premier, dit-on, feignit de vouloir abdiquer, le second l'en détourna; il fit bien pour le Prince et pour lui-même que seroient-ils devenus tous deux, au milieu d'un peuple libre, l'un avec son caractère artificieux et n'ayant plus de satellites à ses ordres, l'autre avec sa vaine urbanité? Dès-lors, il fallut se taire ou parler en esclave: mais Horace,

gouverne

bien sûr que les races futures, enchantées de sa poësie, affranchiroient son nom, vit qu'il pouvoit impunément être le flatteur et le complice d'un homme qui regnoit sans obstacles. Aussi les éloges qu'il distribuoit, étoient-ils uniquement relatifs à l'état présent des choses dont il vouloit tirer parti, et au crédit actuel des personnes dont il ambitionnoit les suffrages. On ne trouve en aucun endroit de ses écrits, ni le nom d'Ovide flétri par sa disgrace, ni celui de Cicéron que Rome, encore libre, avoit appelé Dieu tutélaire et Pere de la Patrie 12. Mais il n'a point oublié de chanter les Favoris de la Fortune; ceux-là n'avoient rien à craindre de sa Muse: plus enjouée que mordante, elle ne s'égayoit qu'aux dépens de cette partie subalterne de la société, dont il n'attendoit ni célébrité ni plaisirs. Nul ne connut mieux que lui le pouvoir de la louange, nul ne sut l'apprêter plus adroitement, ni gagner avec plus d'art la bienveillance des premiers de l'Empire; et c'est par-là sur-tout que son livre est devenu si cher aux Courtisan: avouons le, cependant, tout homme qui pense peut s'empêcher d'en faire ses délices. Le Client de Mécène joignoit des qualités éminentes et solides à ses talents agréables. Non moins Philosophe que

Poëte, il dictoit avec une égale aisance les préceptes de la vie et ceux des arts. Comme il aimoit mieux capituler que de combattre, comme il attachoit peu d'importance à ses leçons, et qu'il ne tenoit à ses principes qu'autant qu'ils favorisoient ses inclinations épicuriennes, ce Protée compta pour amis, ou pour admirateurs, ceux même dont il critiquoit les opinions ou la conduite 13.

Juvénal commença sa carrière où l'autre avoit fini la sienne : c'est-à-dire qu'il fit pour les mœurs et pour la liberté ce qu'Horace avoit fait pour la décence et le bon goût. Celui-ci venoit d'apprendre à supporter le joug d'un maître, et de préparer l'apothéose des Tyrans 14. Juvénal ne cessa de réclamer contre un pouvoir usurpé, de rappeler aux Romains les beaux jours de leur indépendance. Le caractère de ce dernier fut la force et la verve; son but, de consterner les vicieux et d'abolir le vice presque légitimé 5. Courageuse, mais inutile entreprise! Il écrivoit dans un siècle détestable, où les lois de la Nature étoient impunément violées; où l'amour de la Patrie étoit absolument éteint dans le cœur de presque tous ses concitoyens de sorte que cette race abrutie par la

:

و

18

servitude, par le luxe et par tous les crimes qu'il a coutume de traîner à sa suite, méritoit plutôt des bourreaux qu'un Censeur. Cependant, l'Empire ébranlé jusques dans ses fondemens, alloit bientôt s'écrouler sur lui-même 16. Le caractère Romain étoit tellement dégradé que personne n'osoit proférer le mot Liberté17. Chacun n'étoit sensible qu'à son propre malheur et ne le conjuroit souvent que par la délation. Parents, amis, tout, jusqu'aux êtres inanimés devenoit suspect Il n'étoit pas permis de pleurer les proscrits: on punissoit les larmes. Finissons, car, excepté quelques instans de relâche, l'histoire de ces tems déplorables n'est qu'une liste de perfidics, d'empoisonnemens et d'assassinats. Dans ces conjonctures, Juvénal méprise l'arme légère du ridicule, si familière à son devancier 19: il saisit le glaive de la satire, et court du trône à la taverne, frappant indistinctement quiconque s'est éloigné du sentier de la vertu. Ce n'est pas, comme Horace, un poëte souple et muni de cette indifférence faussement appelée philosophique 20 qui s'amuse à reprendre quelques travers de peu de conséquence, et dont le style, voisin du langage ordinaire 21, coule au gré d'un instinct vo

,

luptueux. C'est un Censeur incorruptible; c'est un Poëte bouillant qui s'élève quelquefois avec son sujet jusqu'au ton de la tragédie 22. Austère et toujours conséquent aux mêmes principes, chez lui tout est grave, tout est imposant; ou s'il rit, son rire est encore plus formidable que sa colère 23: il ne s'agit par-tout que du vice et de la vertu, de la servitude et de la liberté, de la folie et de la sagesse. Appliquons lui ses propres paroles, ( Vitam impendere vero. SAT. IV.) puisqu'il eut le courage de sacrifier à la vérité tant de bienséances équivoques, et tant d'égards politiques si chers à ceux dont toute la morale ne consiste qu'en apparences. Ne dissimulons point qu'il a mérité de justes reproches, non pas pour avoir dénoncé de grands noms deshonorés, mais pour avoir allarmé la pudeur aussi n'ai-je pas dessein de l'en justifier. J'observerai seulement qu'Horace, tant vanté pour sa délicatesse, est encore plus licencieux, et qu'il a le malheur de rendre le vice aimable: au lieu qu'en révélant des horreurs dont frémit la Nature, on voit qu'il entroit dans le plan de Juvénal, de montrer à quel point l'homme peut s'abrutir, quand il n'a plus d'autres guides que la mollesse et la cupidité. Sans ces taches, qui sont du siècle

:

« PredošláPokračovať »