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constitution au hasard] comment toutes choses arriventelles et comment tous les êtres ont-ils été faits? C'est là une question qui mérite un examen approfondi. En effet, comme il y a des choses qui semblent mauvaises1, elles donnent lieu d'élever des doutes sur la Providence universelle : il en résulte que quelques-uns disent qu'il n'y a pas de Providence, et d'autres, que le Démiurge est mauvais. Aussi croyons-nous qu'il est bon de traiter complétement cette question en remontant aux principes.

Laissons de côté cette Providence particulière (роVLX eq' éxάot), qui consiste à délibérer avant d'agir, à examiner s'il faut faire une chose ou ne pas la faire, la donner ou ne pas la donner. Supposons admise l'existence de la Providence universelle (póvala toû navτós), et de ce principe déduisons les conséquences.

Si nous pensions que le monde eût commencé d'être, qu'il n'eût pas existé de tout temps, nous reconnaîtrions une Providence particulière (πρόνοια ἐπὶ τοῖς κατὰ μέρος), comme nous le disions tout à l'heure, c'est-à-dire nous re

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1 Dans ce livre Plotin s'est proposé pour but principal de réfuter les objections que l'existence du mal fait élever contre la Providence divine. Il traite donc le même sujet que Leibnitz dans sa célèbre Théodicée, et les doctrines des deux philosophes sont identiques sur plusieurs points fondamentaux, tels que le principe que le mal n'est qu'un défaut du bien, etc. Voy. ci-après les Éclaircissements sur ce livre, à la fin du volume. 2 Lactance (De Ira Dei, XII) rapporte qu'Épicure argumentait en ces termes contre la Providence divine : « Deus, inquit [Epicurus], aut vult tollere mala et non » potest, aut potest et non vult, aut neque vult neque potest, aut » et vult et potest. Si vult et non potest, imbecillis est, quod in › Deum non cadit; si potest et non vult, invidus, quod æque alie» num a Deo ; si neque vult neque potest, et invidus et imbecillis >> est, ideoque nec Deus; si et vult et potest, quod solum Deo > convenit, unde ergo sunt mala, aut cur illa non tollit?» En outre, les Gnostiques disaient que le Démiurge est mauvais ainsi que le monde même. Voy. t. I, p. 254, note 1.

connaîtrions en Dieu une espèce de prévision et de raisonnement [semblables à la prévision et au raisonnement de l'artiste qui, avant d'exécuter une œuvre, délibère sur chacune des parties qui la composent '], et nous supposerions que cette prévision et ce raisonnement étaient nécessaires pour déterminer comment l'univers pouvait être fait et à quelles conditions il devait être le meilleur possible. Mais, comme nous disons que le monde n'a pas commencé d'être et qu'il existe de tout temps, nous pouvons affirmer, d'accord avec la raison et avec notre croyance [à l'éternité du monde], que la Providence universelle consiste en ce que l'univers est conforme à l'Intelligence et que l'Intelligence est antérieure à l'univers (τὸ κατὰ νοῦν εἶναι τὸ πᾶν nai vоuν пρò αùтоu εiva), non dans le temps (car l'existence de l'Intelligence n'a pas précédé celle du monde), mais [dans l'ordre des choses], parce que l'Intelligence précède par sa nature le monde qui procède d'elle, dont elle est la cause, l'archetype et le paradigme (aitos, dрXÉTUTOV, пaрád¤уμα) * et qu'elle fait toujours subsister de la même manière3.

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Or voici de quelle manière l'Intelligence fait toujours subsister le monde :

L'Intelligence pure et l'Être en soi constituent le monde véritable et premier [le monde intelligible], qui n'a pas

↑ Voy. Enn. VI, liv. vn, § 1. —2 Voy. le tome I, p. 263-265, et les notes. On voit que, par l'expression de Providence universelle, πρόνοια τοῦ παντός, Plotin entend Intelligence antérieure à l'univers, vous πрò τou Tavτós. Mais Proclus donne une tout autre étymologie au mot póvoca; il prétend que ce mot signifie l'action du Bien, laquelle est antérieure à l'Intelligence, πрó, vous. (De Providentia et Fato, v; t. I, p. 15, éd. de M. Cousin.) L'étymologie donnée par Plotin nous paraît être la véritable. Voy. le passage de Philon cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 525. — Le début de Leibnitz, dans sa Théodicée (I, § 7), ressemble tout à fait à celui de Plotin : « Dieu est la première raison des choses, etc. »

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d'extension, qui n'est affaibli par aucune division, qui n'a aucun défaut, même dans ses parties (car nulle partie n'y est séparée de l'ensemble). Ce monde est la Vie universelle et l'Intelligence universelle; il est l'unité à la fois vivante et intelligente car la partie y reproduit le tout, et il règne dans l'ensemble une harmonie parfaite parce qu'aucune chose n'y est séparée, indépendante et isolée des autres; aussi, y eût-il opposition, il n'y aurait pas de lutte. Étant partout un et parfait, le monde intelligible est permanent et immuable car là il n'y a pas action d'un contraire sur un contraire. Comment une telle action pourrait-elle avoir lieu dans ce monde puisque rien n'y manque ? Pourquoi la Raison y produirait-elle une autre Raison, et l'Intelligence une autre Intelligence1? Est-ce parce qu'elle serait capable de produire ? Alors, avant de produire, elle n'eût pas été dans un état parfait; elle produirait et elle entrerait en mouvement, parce qu'elle aurait en elle quelque chose d'inférieur. Mais il suffit aux êtres bienheureux de rester en eux-mêmes et de persister dans leur essence. Une action multiple compromet celui qui agit en le forçant à sortir de lui-même. Telle est la condition bienheureuse du monde intelligible qu'en ne faisant rien il fait de grandes choses, et qu'en restant en lui-même il produit des œuvres importantes 3.

1 C'est une allusion au système des Gnostiques. Voy. t. I, p. 259261. C'est encore une allusion au système des Gnostiques, qui distinguaient en Dieu la puissance et l'acte. Voy. t. I, p. 258, p. 521 et la note. On trouve des idées analogues sur les rapports de l'Intelligence divine avec le monde dans un passage important de S. Augustin << Si ergo quidquid mutabile aspexeris, vel sensu corporis > vel animi consideratione capere non potes, nisi aliqua numerorum >> formateneatur, qua detracta in nihil recidat; noli dubitare, utista » mutabilia non intercipiantur, sed dimensis motibus et distincta >> varietate formarum quasi quosdam versus temporum peragant, » esse aliquam Formam æternam et incommutabilem, quæ neque >> contineatur et quasi diffundatur locis, neque protendatur et varie

II. C'est de ce monde véritable et un que tire son existence le monde sensible qui n'est point véritablement un : il est en effet multiple et divisé en une pluralité de parties qui sont séparées les unes des autres et étrangères entre elles. Ce n'est plus l'amitié qui y règne, c'est plutôt la haine, produite par la séparation de choses que leur état d'imperfection rend ennemies les unes des autres. La partie ne se suffit pas à elle-même; conservée par une autre chose, elle n'en est pas moins l'ennemie de la chose qui la conserve. Le monde sensible a été créé, non parce que Dieu a réfléchi qu'il fallait le créer, mais parce qu'il était nécessaire qu'il y eût une nature inférieure au monde intelligible, qui, étant parfait, ne pouvait être le dernier degré de l'existence1: il occupait le premier rang, il avait une puissance grande, uni

> tur temporibus, per quam cuncta ista formari valeant et pro suo > genere implere atque agere locorum ac temporum numeros. > Omnis enim res mutabilis etiam formabilis sit necesse est. Sicut > enim mutabile dicimus quod mutari potest, ita formabile quod > formari potest appellaverim. Nulla autem res formare seipsam » potest, quia nulla res potest dare sibi quod non habet; et utique, > ut habeat formam, formatur aliquid. Quapropter quælibet res si > quam habet formam, non ei opus est accipere quod habet; si » qua vero non habet formam, non potest a se accipere quod non > habet. Nulla ergo res, ut diximus, formare se potest. Quid autem >> amplius de mutabilitate corporis et animi dicamus? Superius > enim satis dictum est. Conficitur itaque ut et corpus et animus > Forma quadam incommutabili et semper manente formentur. Cui > Formæ dictum est: Mutabis ea, et mutabuntur; tu autem idem > ipse es, et anni tui non deficient (Psalm., CI, 27). Annos sine > defectu pro æternitate posuit prophetica locutio. De hac item > Forma dictum est quod in se ipsa manens innovet omnia > (Sap., vi, 27). Hinc etiam comprehenditur omnia Providentia > gubernari. Si enim omnia quæ sunt, forma penitus subtracta, » nulla erunt, Forma ipsa incommutabilis, per quam mutabilia > cuncta subsistunt, ut formarum suarum numeris impleantur et > agantur, ipsa est eorum Providentia: non enim ista essent, si > illa non esset. » (De Libero arbitrio, II, 16, 17.)

Voy. Enn. II, liv. Ix, § 3, 8; t. I, p. 264, 279.

verselle, capable de créer sans délibération (car il n'eût pas possédé par lui-même la puissance de créer s'il lui eût fallu délibérer; il ne l'eût pas possédée par son essence; il eût ressemblé à un artisan qui n'a pas par lui-même le pouvoir de créer, mais qui l'acquiert en apprenant à travailler). En donnant quelque chose d'elle-même à la matière, l'Intelligence a tout produit sans sortir de son repos ni de sa quiétude 1. Or, ce qu'elle donne, c'est la Raison 2, parce que la Raison est l'émanation de l'Intelligence, émanation aussi durable que l'existence même de l'Intelligence. Dans une raison séminale (λéyos év tặ oñéрμari), toutes les parties existent unies ensemble, sans qu'aucune en combatte une autre, ni soit en désaccord avec elle ou lui fasse obstacle, et cette raison fait passer quelque chose d'elle-même dans la masse corporelle où les parties sont séparées les unes des autres, se font obstacle et se détruisent mutuellement; de même, de l'Intelligence qui est une et de la Raison qui en procède est sorti cet univers dont les parties sont séparées et éloignées les unes des autres, par conséquent, les unes amies et alliées entre elles, les autres contraires et ennemies; aussi se détruisent-elles les unes les autres, soit volontairement, soit involontairement, et, par cette destruction, elles opèrent mutuellement leur génération. Dieu a disposé leurs actions et leurs passions de telle sorte que toutes concourent à former une harmonie unique en rendant chacune le son qui lui est propre, parce que la Raison qui les domine produit dans l'ensemble l'ordre et l'harmonie*. Le monde sensible n'a pas la perfection de l'Intelligence et de la Raison; il y participe seulement. Aussi a-t-il eu be

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Voy. ▲ Voy.

5 Voici com

1 Voy. Synésius, De la Providence, p. 97, C, éd. Petau. t. I, p. 191. — Voy. t. I, p. 101, note 1; p. 189, note 4. Synésius, De la Providence, p. 127, C, éd. Petau. ment S. Augustin a développé ce principe dans ses Confessions (VII, 11): « Et inspexi cetera infra te, et vidi nec omnino esse > nec omnino non esse: esse quidem, quoniam abs te sunt; non

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