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Comme, dans cet écrit, Boëce reproduit textuellement les définitions que Plotin donne du Temps et de l'Éternité, ainsi que sa polémique contre la fausse théorie que les Stoïciens professaient sur la sensation (Voy. ci-après, livre vi), on ne saurait s'étonner que, spécialement sur la question de la Providence et du Destin, il soit aussi, dans son argumentation, complétement d'accord avec notre auteur sur une foule de points. Laissant de côté les idées qu'on pourrait croire puisées à une source commune, nous nous bornerons à citer ici un passage d'une importance capitale, où Boëce expose une théorie qui est essentiellement propre à Plotin, savoir, la distinction de la Providence et du Destin, et la subordination du second à la première :

« Au premier coup d'œil, la Providence et le Destin semblent être une même chose, mais à les approfondir on en sent la différence: car la Providence est la Raison divine elle-même, subsistant dans le Principe suprême, laquelle ordonne tout; et le Destin est l'ordre inhérent aux choses muables, par lequel elle les met chacune à sa place. La Providence en effet embrasse à la fois toutes les choses de ce monde, quelque différentes, quelque innombrables qu'elles soient, et le Destin les réalise successivement sous des formes diverses, dans des temps et des lieux différents 1. Ainsi, cet ordre des choses et des temps, réuni dans la pensée de Dieu, est ce qu'on doit appeler Providence; et quand on le considère divisé et développé dans le cours des temps, c'est ce qu'on a nommé Destin 2. Ces deux choses sont donc différentes. L'une cependant dépend de l'autre : car l'ordre des destinées procède de la pensée souverainement simple de la Providence. En effet, comme un ouvrier, en concevant l'idée de l'ouvrage qu'il projette, l'embrasse d'un seul coup d'œil tout entier, quoiqu'il ne l'exécute ensuite que successivement; de

La Providence descend du commencement à la fin, en communiquant » ses dons, non d'après la loi d'une égalité numérique, mais d'après celle » d'une égalité de proportion, variant ses œuvres selon les lieux.. Mais toutes » choses forment une unité, se rapportent à une seule Providence, en sorte » que le Destin gouverne ce qui est en bas, et la Providence règne » dans ce qui est en haut, elc.» (Plotin, Enn. III, liv. 1, § 5; p. ε0.) -2« La Nature forme avec un art admirable tous les êtres à l'image des rai» sons qu'elle possède : dans chacune de ses œuvres la raison séminale unie à » la matière, étant l'image de la raison supérieure à la matière [c'est-à-dire l'image de l'idée] se rattache à la Divinité [à l'Intelligence suprême] d'après » laquelle elle a été engendrée et que l'Ame universelle a contemplée pour » créer, etc. » (Enn. IV, liv. 111, § 11, p. 288.)

même la Providence, par un seul acte, règle d'une manière immuable tout ce qui doit se faire dans l'univers, et cile se sert ensuite du Destin pour l'exécuter en détail successivement et de mille manières différentes 1. Soit donc que le Destin exerce son empire par des esprits divins qui servent de ministres à la Providence, soit qu'il l'exerce par l'action de l'âme 2 ou par celle de toute la nature3, soit par l'influence des astres, soit par la vertu des anges ou par l'artifice des démons5, soit enfin que toutes ces puissances y concourent ou que quelques-unes seulement y aient part, il est toujours certain que l'idée universelle et simple de ce qui doit se faire dans le monde [telle qu'elle est en Dieu] est ce que nous devons nommer Providence, et que le Destin n'est que le ministre de cette Providence, parce qu'il développe et qu'il ordonne dans la suite des temps ce que la Providence a réglé par un seul acte de sa pensée. Ainsi, ce qui est soumis au Destin, et le Destin lui-même, tout est sujet à la Providence; mais la Providence embrasse bien des choses qui ne dépendent aucunement du Destin: telles sont

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Il y a dans l'univers deux espèces de Providence: la première, sans » s'inquiéter des détails, règle tout comme il convient à une puissance royale; ⚫ la seconde, opérant en quelque sorte comme un manœuvre, fait participer sa » puissance créatrice à la nature inférieure des créatures et se met en contact • avec elles. » (Enn. IV, liv. ví, § 2, p. 480.) — 2 « L'âme humaine n'est » pas un principe de peu d'importance dans l'enchaînement universel des causes » et des effets, etc. » (Enn. III, liv. 1, § 8, p. 15.) — 3 Voy. lefragment de Jamblique cité ci-dessus p. 16, note. Voy. Enn. Ill, liv. 1, § 5, p. 10-13. Engendrés par les différentes puissances de l'Ame universelle pour » l'utilité du Tout, les démons complètent et administrent toutes choses pour » le bien général. » (Enn. III, liv. v, § 6, p. 113.) — 6 « La Providence uni» verselle consiste en ce que l'univers est conforme à l'Intelligence suprême... » L'Intelligence précède par sa nature le monde qui procède d'elle, dont elle » est la cause, l'archetype et le paradigme. » (Enn. III, liv. 1, § 1, p. 21.) 7 Jamblique, en résumant la doctrine de Plotin sur la Providence et le Destin, s'exprime exactement dans les mêmes termes : « Les mouvements pro⚫duits dans le monde sensible par le Destin sont semblables aux actes et aux » mouvements immatériels et intellectuels du monde intelligible, et l'ordre » du Destin offre l'image de l'ordre pur et intelligible. Les causes du second » rang dépendent des causes supérieures, la multiplicité de la génération se » rapporte à l'essence indivisible, de telle sorte que toutes les choses qu'em» brasse le Destin sont liées à la Providence supre ne Le Destin est donc » uni à la Providence par son essence même : il en tient son existence; il » en dépend et s'y rapporte, elc.» (Lettre à Macédonius sur le Destin, dans l'Appendice de ce volume.)

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celles qui sont plus prochainement et plus intimement unies à la Divinité. Supposons un grand nombre de cercles concentriques mus les uns dans les autres : le plus petit, étant le plus proche du centre commun, devient à l'égard des autres une espèce de centre autour duquel ils tournent; le plus éloigné, au contraire, est celui dont le diamètre a le plus d'étendue, et l'espace qu'il embrasse devient plus grand à proportion qu'il s'éloigne davantage du point central; ainsi, pendant qu'il est dans la plus grande agitation, ce qui touche de plus près au centre commun n'en éprouve aucune1. De même, ce qui est plus éloigné de l'Intelligence suprême, est plus sujet aux lois du Destin, ce qui en est plus proche en dépend moins, et ce qui est uni invariablement à l'Intelligence suprême en est tout à fait exempt2. L'ordre muable du Destin n'est donc, par rapport à la Providence simple et immuabie, que ce que ce qui devient est à ce qui est, le raisonnement à l'intelligence, la circonférence du cercle à l'indivisibilité du centre3, et le temps à l'éternité. C'est cet ordre du Destin qui donne le mouvement aux astres, qui combine les éléments et les change continuellement les uns dans les autres. C'est par ses lois que la génération remplace sans cesse les êtres qui périssent par d'autres qui leur succèdent; ce sont elles qui règlent les actions et le sort des hommes par un enchaînement aussi invariable que la Providence qui en est le premier principe. Tel est en effet l'ordre admirable qui régit tout: la pensée souverainement simple de l'Intelligence divine produit l'enchaînement inflexible des causes; et cet ordre règle par sa propre immutabilité les choses muables qui sans cela seraient abandonnées au caprice du hasard. Il est vrai que les hommes ne pouvant apercevoir cet ordre admirable s'imaginent que tout ici-bas est dans une confusion universelle; mais il n'en est pas moins certain que, par la direction de la Providence, il n'est point d'être qui de soi ne tende au bien. En effet, comme je l'ai déjà suffisammment démontré,

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4 Cette comparaison est souvent employée par Plotin. Voy. Enn. IV, liv. tv, $ 16, p. 354. - 2 Ce principe revient souvent dans les Ennéades: « Quand » l'âme suit son guide propre, la raison pure, la détermination qu'elle prend » est vraiment volontaire, libre, indépendante... hors de là, elle est entravée » dans ses actes, elle est plutôt passive qu'active, elle obéit au Destin. ■ (Enn. III, liv. 1, § 9, 10, p. 17-18.) Voy. aussi les Éclaircissements du tome I, p. 471-472. 3 Voy. la même comparaison dans l'Ennéade III, liv. vu, § 7,

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p. 225.) ↳ Voy. Enn. III, liv. vi, § 10; p. 199, note 1. 5 Voy. Enn. III, liv. 11, § 2, p. 24. Ibid., $17, p. 64-68. fait tenir au monde, ibid., § 3, p. 27-29.

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Voy. le discours que Plotin

les scélérats eux-mêmes ne font pas le mal comme mal; ils ne cherchent que le bien, et s'ils n'y parviennent pas, c'est une erreur fatale qui les égare; mais leur égarement n'est pas l'effet de cet ordre divin qui émane du bien suprême. (Consolation de

la philosophie, liv. IV, 6.)

Il suffit de jeter les yeux sur les notes dont nous avons accompagné ce morceau pour reconnaître que la doctrine de Boëce sur la Providence et le Destin est identique à celle de Plotin. Nous n'ajouterons plus qu'une remarque. Dans les Éclaircissements du tome I (p. 472), nous avons déjà dit que la distinction établie par Plotin entre l'ordre de la Providence et l'ordre du Destin corres pond exactement à ce que Leibnitz appelle, dans sa Monadologie, le règne physique de la nature et le règne moral de la grâce. Leibnitz s'est-il inspiré de l'ouvrage de Boëce, qu'il connaissait certainement? Nous nous bornons à poser cette question, la laissant à résoudre au lecteur.

3. Bossuet, Fénelon, Leibnitz.

Ces trois écrivains, comme nous l'avons dit dans la préface du premier volume, ne nomment pas Plotin et ils paraissent n'avoir connu ses doctrines que par saint Augustin, Boëce et saint Denys l'Areopagite. Néanmoins, ils reproduisent ou développent sur plusieurs points importants les idées de notre auteur, comme on en peut juger par les rapprochements que nous avons déjà eu l'occasion de faire et que nous nous bornons à rappeler ici :

Pour Bossuet, Voy. t. I, p. 433, 437.

Pour Fénelon, Voy. t. II, p. 25, 26, 49, 51, 54.

Pour Leibnitz, Voy. t. I, p. 432, 472-473; t. II, p. 21, 39, 45, 55, 60, 66, 67, 68, 85.

A ces citations nous ajouterons un passage de Leibnitz qui résume à la fois toute la doctrine de Plotin et celle de S. Augustin :

<< C'est un dicton aussi véritable que vieux: Bonum ex causa integra, malum ex quolibet defectu; comme aussi celui qui porte: Malum causam habet non efficientem, sed deficientem. » (Théodicée, I, § 33.)

1 Les torts que se font mutuellement les hommes peuvent avoir pour cause » le désir du bien, etc. » (Plotin, ibid., § 4, p. 30-32. Voy. aussi § 9, p. 45.)

LIVRE QUATRIÈME.

DU DÉMON QUI EST PROPRE a chacun de nous.

Ce livre est le quinzième dans l'ordre chronologique. Porphyre indique dans la Vie de Plotin (t. I, p. 13) à quelle occasion il fut composé.

Le titre de ce livre: περὶ τοῦ εἰληχότος ἡμᾶς τοῦ δαίμονος, signifie littéralement: Du Démon qui nous a reçus en partage. Porphyre a emprunté ce titre à une phrase de Platon que nous avons citée cidessus (p. 98, note 3), et dans laquelle il est dit que le démon d'un homme est chargé de lui pendant le cours de sa vie : ò éxáotoU Saiμwv öσneр çāvτa sikńyeɩ (Phédon, p. 107). Porphyre aurait pu également intituler ce livre: Du Démon qui nous est échu en partage: car Platon et Plotin disent également que l'on choisit son démon (p. 93 et note). A l'exemple de Ficin, qui intitule ce livre : De proprio cujusque Dæmone, nous avons adopté une formule qui rendit l'idée générale de cet écrit, sans nous attacher à traduire littéralement les termes mêmes de Porphyre, qui n'eussent pas été immédiatement compris du lecteur.

Comme Plotin traite aussi des démons dans le livre suivant, nous allons, pour simplifier les Éclaircissements que nous avons à donner sur ce sujet, traiter ici la question sous les deux points de vue sous lesquels notre auteur l'a envisagée : nous examinerons donc successivement ce qu'il dit des démons qui sont des puissances de l'âme humaine (liv. Iv), et des démons qui sont des puissances de l'Ame universelle (liv. v).

SI. DES DÉMONS QUI SONT DES PUISSANCES DE L'AME HUMAINE.

C'était une croyance généralement répandue dans l'antiquité que chaque homme avait son génie ou démon qui veillait sur lui. Plotin s'est dans ce livre proposé pour but de donner une explication philosophique de cette croyance en s'inspirant de ce que Platon dit des démons dans divers passages de ses dialogues (Cratyle, p. 397; Timée, p. 40, 90; Lois, IV, p. 713; Politique, p. 271; Banquet, p. 203; Phédon, p. 207; Gorgias, p. 525; République, X, p. 617),

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