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AVERTISSEMENT.

Dans la Vie de Plotin (S 14), Porphyre caractérise en ces termes l'œuvre son maître :

«Les doctrines des Stoïciens et celles des Péripatéticiens sont secrètement mélangées dans ses écrits [avec celles des Platoniciens]. La Métaphysique d'Aristote y est condensée tout entière... On lisait dans ses conférences les ⚫ Commentaires de Sévérus, de Cronius, de Numénius, de Gaius et d'Atticus [philosophes platoniciens]; on lisait aussi les ouvrages des Péripatéticiens, » ceux d'Aspasius, d'Alexandre d'Aphrodisie, d'Adraste et les autres qui se rencontraient. Cependant aucun d'eux ne fixait exclusivement son choix. Il ⚫ montrait dans la spéculation un génie original et indépendant. Il portait » dans ses recherches l'esprit d'Ammonius 1. »

Ces lignes nous font connaître à quelles sources Plotin puisa en composant les Ennéades, et comment, inspiré par l'esprit de son maître Ammonius Saccas, il entreprit, en se plaçant à un point de vue nouveau et plus élevé, de ramener à l'unité et de fondre ensemble dans une vaste synthèse les doctrines diverses de Platon, d'Aristote et des Stoïciens, dont les divergences, devenues dans les écoles le sujet de discussions aussi stériles que subtiles, avaient rendu la philosophie un objet de mépris. Mais ce que Porphyre dit ici du maître peut s'appliquer également aux disciples. Après que celui qu'on appelait le grand Plotin eut, en homme de génie, établi l'harmonie eutre les dogmes de Platon et d'Aristote dans ce qu'ils ont d'essentiel et de fondamental 2, ses successeurs s'appliquèrent à compléter et à réaliser dans tous ses détails cette œuvre de conciliation, qui constitua la tradition constante du Néoplatonisme depuis Porphyre 3 et Jamblique jusqu'aux derniers représentants de l'École, Simplicius et Priscien de Lydie. Telle est la pensée commune qui sert de lien aux Fragments dont nous donnons la traduction, et dont les plus importants sont ceux de Jamblique.

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1 Voy. les Fragments d'Ammonius Saccas et le témoignage d'Hiéroclès sur l'enseignement de ce philosophe, t. I, p. xciv. 2 Saint Augustin approuve cette conciliation en ces termes : « Quod autem ad eruditionem doctrinamque attinet, > et mores quibus consulitur animæ, quia non defuerunt acutissimi et solertissimi > viri, qui docerent disputationibus suis Aristotelem ac Platonem ita sibi con> cinere, ut imperitis minusque attentis dissentire videantur, multis quidem > seculis multisque contentionibus, sed tamen eliquata est, ut opinor, una veris» simæ philosophiæ disciplina.» (Contra Academicos, III, 19.) 3 Porphyre avait composé un Traité pour prouver que la doctrine d'Aristote est au fond identique à celle de Platon. 4 Voy. ci-après p. 668, § xxu. — « Il faut, sur » tous les points où Aristote contredit Platon, ne pas s'en tenir à la lettre, ni > croire à un dissentiment réel entre ces deux philosophes, mais, allant au > fond de la pensée, montrer sur la plupart des points comment ils s'accordent et » se concilient.» (Simplicius, Comm. sur les Catégories d'Aristote.)

JAMBLIQUE. Les Fragments de ce philosophe que nous rassemblons ici forment trois écrits étroitement liés entre eux, le Traité de l'Ame, le Commentaire du Traité d'Aristote sur l'Ame, et la Lettre à Macédonius sur le Destin.

Traité de l'Ame. — Cet écrit a été conservé presque intégralement par Stobée dans le chapitre Lu de ses Ecloga physicæ. Seule, la partie qui traite des Facultés de l'âme (§ IV-VII) a été mutilée, soit parce que Stobée en a détaché certains passages qu'il a placés ailleurs, soit parce qu'il en a retranché quelques-uns pour ne pas faire double emploi avec les extraits de Porphyre et d'autres auteurs. Tel qu'il est, ce traité de Jamblique n'en est pas moins ce qui nous reste de plus précieux de ce philosophe. Le style a sans doute la sécheresse d'un manuel, et la concision y dégénère souvent en obscurité. Mais l'aridité de la forme est rachetée par l'intérêt des théories qu'expose l'auteur, en se plaçant, selon son habitude, au point de vue métaphysique 3; par la clarté et la précision du plan, où toutes les questions de la Psychologie sont passées en revue dans un ordre méthodique; par la justesse des divisions, qui embrassent d'une manière complète et sans aucune confusion toutes les opinions des diverses sectes; enfin, par l'intérêt des documents que ce résumé fournit à l'histoire de la philosophie et qui forment un tableau fidèle de la doctrine néoplatonicienne.

Pour traduire cet ouvrage, nous avons suivi le texte donné par Heeren, sauf quelques légères corrections. Quant aux notes que nous avons jointes à notre traduction afin d'expliquer les passages les plus obscurs, comme le travail d'Heeren était tout à fait insuffisant, nous l'avons refait en puisant tout aux sources mêmes. Dans ce but, nous avons consulté d'abord les autres écrits de Jamblique (Exhortation à la philosophie, Vie de Pythagore, Commentaire sur les Catégories d'Aristote, Fragments divers 3), puis les auteurs qui l'ont cité, Proclus, Priscien de Lydie, Simplicius, Damascius, Énée de Gaza, Jean Philopon, Michel Psellus. Nous avons pu ainsi déterminer avec certitude le

C'est ainsi que Stobée a transporté au chapitre LI de ses Ecloga physica le § vii relatif à l'Intelligence, et au chapitre xxv de son Florilegium le § vi relatif à la Mémoire. - 2 Ces défauts ne sont pas particuliers à ce traité de Jamblique. Ils se rencontrent dans tous les écrits de ce philosophe, comme l'avoue Eunape, son biographe: «Ses écrits, dit-il, ne sont pas pleins de grâce et d'agrément, > comme ceux de Porphyre; ils n'en ont pas la lucidité ni la pureté, sans être > pourtant obscurs ni incorrects; mais, comme Platon le dit de Xénocrate, Jamblique n'avait pas sacrifié aux Muses; aussi, loin d'attirer et d'attacher le lecteur, il le fatigue et le repousse. Voy. aussi Damascius, Vie d'Isidore, § 34. 3 Jamblique a été surnommé le divin, à cause de l'habitude qu'il avait de se placer toujours au point de vue métaphysique, quelle que fût la question qu'il traitât, comme l'attestent Simplicius (Comm. sur les Catégories, préf.) et Damascius (Des Principes, p. 352, éd. Kopp). · 4 Nous avons signalé dans nos notes quelques-unes des erreurs d'Heeren. 5 - Voy. p. 627-631, 637, 640, 646, 655. Nous ne comprenons pas dans cette énumération le Traité des Mystères des Égyptiens, parce qu'il ne paraît pas appartenir à Jamblique. Nous le citons d'ailleurs p. 634, 640, 649. Voy. l'Index, p. 688. L'ouvrage de Michel Psellus que nous citons a pour titre: Questions sur toute espèce de sujets (De Omnifaria doctrina). Il a été publié par Fabricius dans sa Bibliothèque grecque (t. V, éd. originale). Les

sens de plusieurs passages qui ont de l'importance pour l'histoire de la philosophie, mais dont on n'avait donné jusqu'ici qu'une interprétation arbitraire 1. Quant aux sources auxquelles Jamblique a puisé, nous pouvons indiquer l'Alcibiade, le Philébe et le Timée de Platon, le Traité de l'Ame d'Aristote (ouvrages sur lesquels Jamblique avait composé des Commentaires), les Ennéades de Plotin, le Traité des Facultés de l'âme de Porphyre (écrit auquel notre auteur nous paraît avoir beaucoup emprunté dans les paragraphes V-IX, qui traitent des facultés et des opérations de l'âme).

Commentaire du Traité d'Aristote sur l'Ame. Dans le Traité de l'Ame, p. 631, après avoir exposé sa propre doctrine sur la nature de l'âme, Jamblique s'exprime en ces termes : « Pythagore, Platon, Aristote, tous les anciens qui se » sont acquis du renom par leur sagesse sont réellement pour cette doctrine, si » l'on approfondit leurs opinions d'une manière scientifique. Pour nous, nous > essaierons de composer sur ces opinions un Traité qui fasse connaître la » vérité. »

En cherchant à déterminer à quel écrit Jamblique faisait allusion dans ce passage, nous avons été conduit à reconnaître qu'il s'agissait de son Commentaire du Traité d'Aristote sur l'Ame, que Simplicius a pris pour base de son propre travail, comme il l'annonce lui-même dans sa préface: « Quoique Pla» ton nous ait laissé sur l'âme plusieurs théories véritablement divines, théo»ries d'ailleurs suffisamment éclaircies et expliquées par ses interprètes, c'est » Aristote cependant qui a le premier traité de l'âme d'une manière complète, » comme le pense Jamblique, cet esprit si judicieux; mais il y a de grandes > divergences entre les Commentateurs d'Aristote, divergences qui ne portent pas seulement sur le sens de ses paroles, mais qui vont au fond même de sa pensée... Je m'efforcerai d'éclaircir tous les points obscurs à l'aide des ⚫ principes les plus certains et des passages les plus précis d'Aristote, m'atta» chant partout à la vérité autant que je le pourrai, et suivant l'interprétation exposée par Jamblique même dans son Commentaire sur le Traité de » l'Ame 2. »

Guidé par celle indication de Simplicius, nous avons recueilli dans son ouvrage, ainsi que dans les Commentaires de Priscien et de Jean Philopon, un certain nombre de Fragments de Jamblique qui n'ont point été cités par les historiens de la philosophie et qui nous paraissent offrir un grand intérêt, parce qu'ils éclaircissent plusieurs points qui étaient demeurés obscurs jusqu'ici. On peut en effet en tirer les conséquences suivantes :

Scholies qu'Heeren a données comme une découverte à la suite des Eclogo de Stobée sont extraites textuellement de ce traité de Michel Psellus, lequel n'est lui-même qu'une compilation de Platon, d'Aristote, de Plotin, de Porphyre, de Jamblique et de Proclus.

Ritter, par exemple, dans son Histoire de la Philosophie, interprète d'une manière arbitraire les deux phrases dans lesquelles Jamblique cite Héraclite. On ne peut en trouver le vrai sens qu'en se reportant, comme nous l'avons fait, aux passages de Plotin d'où elles sont tirées, et à ceux d'Énée de Gaza qui en forment le commentaire. - 2 Simplicius a résumé la doctrine de Jamblique sur ce point dans un morceau dont nous donnons ci-après la traduction, p. 631, note 6.

1o Le livre I de l'Ennéade I de Plotin (Qu'est-ce que l'animal? Q·i’'est-ce que l'homme?) et le livre vi de l'Ennéade IV (Des Sens et de la Mémoire) ont servi de point de départ aux Néoplatoniciens qui ont commenté le Traité de l'Ame d'Aristote, comme les trois livres Des Genres de l'être ont également servi de point de départ aux Néoplatoniciens qui ont commenté les Catégories (Voy. Simplicius, Comm. sur les Catégories, préf.);

20 Jamblique a fidèlement suivi la doctrine de Plotin; seulement, il n'admet pas avec lui que l'intelligence humaine pense toujours (Voy. p. 630, note 6) ; 3o Le Commentaire de Jamblique a servi de guide à Plutarque d'Athènes, à Simplicius et à Priscien de Lydie (Voy. ci-après, p. 662-669);

4o A Plutarque d'Athènes se rattache Ammonius, fils d'Hermias, dont le travail a servi de base à celui de Jean Philopon. Ce dernier a été lui-même copié littéralement par Michel Psellus dans un petit écrit intitulé Opinions sur l'Ame (publié avec Origenis Philocalia, etc., Paris, 1618).

Lettre à Macédonius sur le Destin. — Jamblique expose dans celte Lettre sa théorie de la liberté humaine. C'est le complément naturel des deux écrits précédents.

PORPHYRE. Les fragments de cet auteur que nous traduisons ici (Traité sur le préceple Connais-toi toi-même, Trailé de l'Ame) ont moins d'importance que ses Principes de la théorie des intelligibles et son Traité des Facultés de l'âme, que nous avons donnés dans le tome I et auxquels nous renvoyons souvent. Ils offrent cependant beaucoup d'intérêt pour l'éclaircissement des doctrines de Platon 2 et de Plotin, et ils nous ont paru particulièrement propres à servir d'introduction au Traité de l'Ame de Jamblique.

ÉNÉE DE GAZA. Le Théophraste de cet auteur, dont nous donnons une analyse et des extraits, est un dialogue destiné à réfuter trois théories de la philosophie néoplatonicienne qui sont contraires à la doctrine chrétienne, savoir, la préexistence des âmes, la métempsycose et l'éternité du monde. L'ouvrage est écrit avec beaucoup d'esprit et d'élégance. Le fond en est d'ailleurs tiré des Ennéades de Plotin et du Traité sur l'Ame et la Résurrection de saint Grégoire de Nysse.

Cet ouvrage d'Énée de Gaza paraît avoir servi de modèle à ceux que Jean Philopon, Zacharie le Scholastique, Nicéphore Chumnus ou Nathanaël, ont composés sur le même sujet. Il a été cité longuement par le P. Baltus dans sa Défense des saints Pères accusés de Platonisme 3.

Ces Néoplatoniciens sont Porphyre, Jamblique, Dexippe, Simplicius, Ammonius, fils d'Hermias. 2 Ils expliquent plusieurs passages de l'Alcibiade, du Philèbe et du Phédon de Platon. Voy. ci-après p. 615, note 6; p. 617, notes 1, 2, 3; p. 618, note 1; p. 619, note 3; p. 620, note 1.- 3 On peut consulter encore sur le même sujet les deux ouvrages suivants : La Vie future, par M. Henri Martin; L'Immortalité de l'âme chez les Juifs, par M. G. Brecher, traduit de l'allemand par M. Isidore Cahen.

CONNAIS-TOI TOI-MÊME

PAR

PORPHYRE

ADRESSÉ A JAMBLIQUE'.

1. [LIVRE I.] Quel est le sens, quel est l'auteur du précepte sacré qui est inscrit sur le temple d'Apollon, et qui dit à celui qui vient implorer le Dieu: Connais-toi toi-même? Il signifie, ce semble, que l'homme qui s'ignore lui-même ne saurait rendre au Dieu des hommages convenables ni en obtenir ce qu'il implore. Soit qué ce précepte, si utile pour l'homme dans toutes les circonstances de la vie, ait pour auteur Phémonoé, qui passe pour avoir transmis la première aux hommes les oracles d'Apollon, ou Phanothéa, fille de Delphus; soit que Bias3, ou Thalès, ou Chilon l'ait inscrit sur le temple, par suite d'une inspiration divine; soit que Chilon, comme le prétend Cléarque', ayant demandé à Apollon ce qu'il était le plus utile aux hommes d'apprendre, en ait reçu pour réponse Connaistoi toi-même; soit que ce précepte ait été inscrit sur le temple avant l'époque de Chilon, come le dit Aristote dans ses livres sur la philosophie; dans tous les cas, Jamblique, quelle que soit l'opinion qu'on ait sur l'origine de ce précepte, il faut admettre que,

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Ces trois fragments sont extraits du Florilegium de Stobée, tit. xx1, $ 26, 27, 28, éd. Gaisford. - 2 Voy. Diogène Laërce, 1, § 40. - Voy. Stobée, Florilegium, lit. xxi, § 11.- Ibid., § 13. - Ibid., § 12. Jamblique, à qui est adressé ce traité, avait composé un Commentaire sur l'Alcibiade de Platon, dans lequel il paraît avoir beaucoup emprunté à Porphyre, et, comme Proclus s'est lui-même, de son propre aveu, inspiré du travail de Jamblique, il en résulte qu'il a dû reproduire souvent les idées de Porphyre, quoiqu'il ne le nomme pas. Voy. l'analyse que Proclus a donnée du travail de Jamblique dans son Commentaire sur l'Alcibiade de Platon, t. II, p. 34, éd. de M. Cousin.

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