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IV. Pour me résumer, les mouvements produits dans le monde par le Destin sont semblables aux actes et aux mouvements immatériels et intellectuels [du monde intelligible], et l'ordre du Destin offre l'image de l'ordre pur et intelligible. Les causes du second rang dépendent des causes supérieures, la multiplicité des choses engendrées se rapporte à l'Essence indivisible, de telle sorte que toutes les choses qu'embrasse le Destin sont liées à la Providence suprême. Le Destin est donc uni à la Providence par son essence même; il en tient son existence; il en dépend et s'y rapporte. Puisqu'il en est ainsi, le principe en vertu duquel nous agissons est en harmonie avec les deux principes de l'univers [le Destin et la Providence], mais il y a en nous une puissance d'action [l'âme raisonnable] qui est indépendante de la nature et ne subit pas l'influence du mouvement de l'univers. Elle n'est donc pas contenue dans le mouvement de l'univers puisqu'elle ne dérive pas de la nature 2 ni du mouvement de l'univers, elle est plus ancienne, et, puisqu'elle ne nous est pas donnée par l'univers, elle est d'un ordre supérieur; mais, comme elle a emprunté certaines parties à toutes les régions du monde ainsi qu'à tous les éléments, et qu'elle se sert de ces parties, elle est comprise elle-même dans l'ordre du Destin, elle y concourt, elle y rempit son rôle et en subit nécessairement l'influence. En tant que l'âme renferme en elle-même une raison pure, qui existe et se meut par elle-même, qui a en elle-même le principe de ses actes et est parfaite, elle est indépendante de tout ce qui l'entoure; en tant qu'elle produit d'autres vies [les puissances sensitive et végétative] qui inclinent vers la génération et entrent en commerce avec le corps, elle se trouve liée à l'ordre de l'univers,

V. Si quelqu'un croit anéantir l'ordre en introduisant le Hasard et la Fortune, qu'il apprenne qu'il n'y a dans l'univers rien qui déroge à l'ordre, qui constitue un épisode, qui n'ait pas de cause, qui soit indéterminé et fortuit, qui ne provienne de rien et arrive par accident. La Fortune ne supprime pas l'ordre et la liaison des causes, ni l'union des principes, ni l'empire que les premiers prin

4 Nous lisons : αἱ μὲν κινήσεις αἱ περὶ τὸν κόσμον τῆς πεπρωμένης, et nous rejetons la leçon ппрμ proposée par Heeren, qui n'a pas vu que les mots τῆς πεπρωμένης dépendaient de κινήσεις. -2 Nous ajoutons la négation o que le sens exige absolument. L'âme raisonnable a emprunté aux sphères célestes son corps éthéré et aux éléments son corps solide. Voy. cidessus p. 656, note 3. La doctrine exposée dans les § 2, 3, 4 est empruntée à Plotin, Enn. III, liv. 1, § 9 et 10. Elle est parfaitement développée par Simplicius dans son Commentaire sur le Manuel d'Épictèle, § 1.

cipes étendent sur toutes choses. Il vaut mieux dire que la Fortune est l'ordre des choses supérieures et des autres choses [qui sont inférieures] en tant qu'elle préside aux événements, qu'elle en constitue la cause concomitante et qu'elle leur est antérieure. On la regarde tantôt comme un Dieu, tantôt comme un Démon : le principe qui préside aux causes des événements est un Dieu, quand ce sont des causes supérieures, et un Démon, quand ce sont des causes inférieures. Tout a donc une cause, et il n'arrive rien qui soit en dehors de l'ordre universel 1.

VI. Pourquoi donc la justice distributive [de Dieu] ne s'exercet-elle pas ici-bas 2? C'est une impiété de faire une pareille question car les vrais biens ne dépendent pas d'un autre principe que de l'homme et de sa volonté. Il est reconnu que ce sont les plus importants pour la volonté, et les doutes que le vulgaire conçoit à cet égard n'ont pas d'autre origine que son ignorance. La vertu trouve sa récompense en elle-même. La fortune ne saurait donc rabaisser l'homme vertueux ; sa grandeur d'âme le met au-dessus de tous les événements. Elle n'est point d'ailleurs contraire à la nature : l'élévation et la perfection de l'âme suffisent pour satisfaire ce qu'il y a de meilleur dans l'homme. Les choses qu'on regarde comme des revers exercent, affermissent et augmentent la vertu; sans elles, il n'est pas possible d'être un homme de mérite. Les gens vertueux préfèrent l'honnête à toutes choses, font consister le bonheur uniquement dans la perfection de la raison et n'attachent aucun prix au reste. Puisque c'est l'âme qui constitue l'homme, qu'elle est intellectuelle et immortelle, son mérite, son bien et sa fin consistent dans la vie divine, et aucune des choses mortelles ne peut ni contribuer à la vie parfaite ni diminuer sa félicité. En effet, c'est la vie intellectuelle qui fait notre béatitude; or, aucune des choses intermédiaires ne saurait l'augmenter ni la diminuer. C'est donc à tort que les hommes parlent tant de la fortune et de ses injustes faveurs.

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1 Voy. Plotin, Enn. I, liv. 1, § 1. 2 Plutarque de Chéronée a composé sur ce point un traité intitulé Des Délais de la justice divine. — 3 Voy. Plotin, Enn. 1, liv. Iv, § 3.

THEOPHRASTE

DIALOGUE SUR L'AME

PAR

ÉNÉE DE GAZA.

ANALYSE ET EXTRAITS.

L'objet de ce dialogue est l'exposition et la réfutation de la doctrine professée par Platon et les Néoplatoniciens sur la Préexistence des âmes, la Métempsycose et l'Éternité du monde. Les interlocuteurs sont un Égyptien d'Alexandrie, Théophraste d'Athènes el Euxithéus de Syrie1.

Préambule 2. L'Égyptien rencontre à Alexandrie Euxithéus, qu'il a eu pour condisciple à l'école d'Hiéroclès [philosophe neoplatonicien du ve siècle, maître d'Énée de Gaza]. Il lui fait connaître l'état de décadence dans lequel est tombée la philosophie, et l'engage à s'adresser à Théophraste pour apprendre de lui ce qu'on enseigne à Athènes sur les points qui ont été le plus discutés par les philosophes anciens et modernes.

1. Opinions professées par les philosophes anciens sur la Descente de l'âme dans le corps3.

THEOPHRASTE. Je vais, comme dans les mystères, te révéler la doctrine secrète des anciens. Héraclite, supposant qu'il y a des alternatives nécessaires, dit que l'âme monte et descend successivement car c'est une fatigue pour elle de suivre le Démiurge, de

1 Dans l'Analyse et les Extraits de ce dialogue, nous suivons l'ordre que M. Boissonade a adopté dans le texte grec pour la disposition des matières; la traduction latine qu'il a placée à la fin du volume offre un arrangement tout à fait différent. Nous mettons partout l'Analyse dans le même carac

tère que les Notes.

2 Édit. Boissonade, p. 1-4.3 Ibid., p. 5-8. Dans ce morceau, Énée de Gaza tantôt paraphrase et tantôt commente Plotin (Enn. IV, liv. vIII, § 1, 4).

faire là-haut avec ce Dieu le tour de l'univers, d'être subordonnée à ce Dieu et de lui obéir; c'est pourquoi elle descend ici-bas par le désir d'y trouver le repos et l'espoir de commanders. Empédocle nous effraie en proclamant que c'est une loi pour les âmes qui ont péché de tomber ici-bas; grâce à sa sagesse, il fait végéter dans une plante l'âme dont l'essence est de se mouvoir toujours et de se mouvoir par soi-même. Voici comment s'exprime Empédocle (car je me rappelle à propos ses vers) :

J'ai déjà été jeune fille, jeune homme,
Arbrisseau et oiseau.

Il dévoile ainsi un peu la doctrine que Pythagore enseignait par des symboles. Platon, notre premier maitre à tous, dit beaucoup de choses fort belles sur la nature de l'âme et sur ses migrations, mais il n'est point partout d'accord avec lui-même. Dans le Phédon, Socrate, témoignant son mépris pour le monde sensible et blamant le commerce de l'âme avec le corps, se plaint que l'âme soit enchaînée dans le corps, qu'elle s'y trouve ensevelie comme dans un tombeau 2, et cite avec éloge cette maxime enseignée dans les mystères que nous sommes ici-bas comme dans une prison3. Empédocle regarde cet univers comme un antre. Quant à Platon, il emploie une autre expression dans la République, il nomme ce même univers une caverne; il dit que, pour l'âme, sortir d'ici-bas, c'est briser ses chaînes et fuir de la caverne. Ailleurs, dans le Phèdre, Socrate dit que les âmes descendent ici-bas parce qu'elles ont perdu leurs ailes; que l'âme qui a perdu ses ailes devient pesante et tombe jusqu'à ce qu'elle s'arrête dans un corps auquel elle s'attache; que, lorsque le mauvais coursi er penche, l'âme ne peut demeurer là-haut et conduire convenable ment son char : c'est pour cela qu'elle vient ici-bas; que, lorsqu'elle est remontée là-haut, les périodes [de l'univers] la ramènent encore ici-bas et la soumettent à un jugement ainsi qu'à une expiation, qu'elle est entraînée enfin par les sorts, les conditions et la nécessité. Après avoir ainsi blamé partout la descente de l'âme, Platon tient un autre langage

1 Voy. ci-dessus p. 649, note 5. -Voy. Platon, Phédon, p. 62. »ton, ont appelé le monde un antre

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2 Voy. Platon, Cratyle, p. 400. Les Pythagoriciens, et après eux Plaet une caverne. Dans Empedocle, les » puissances qui guident les âmes disent: Nous sommes arrivées dans cet antre obscur.» (Porphyre, De l'Antre des Nymphes, $ 8.)-5 Voy. Platon, République, liv, VII, p. 514. Voy. Platon, Phèdre, p. 246.

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dans le Timée, loue la venue de l'âme, admire le monde, le proclame un dieu bienheureux et trouve bon que l'âme y soit présente; il est persuadé et veut persuader aux autres que l'âme été donnée au monde par un bon Démiurge car il fallait que l'univers fut intelligent, ce qui était impossible sans une âme2; il fallait aussi qu'il fût parfait, et il reçoit sa perfection des âmes particulières qui communiquent le mouvement au monde sensible, le contiennent, l'embellissent et l'ordonnent; il en résulte qu'elles exécutent volontairement la volonté du Démiurge pour que son œuvre si belle ne reste pas imparfaite, puisqu'il veut que le monde sensible contienne en même nombre des essences semblables à celles que contient le monde intelligible3. Voilà ce que dit notre premier maître. Quant à son disciple Aristote, il professe une tout autre opinion: il nomme l'âme une entéléchie, pour indiquer qu'elle donne à la matière sa perfection (tò tékɛlov 4) et qu'elle n'est pas une forme immortelle; il ne reconnaît comme immortelle que l'intelligence qui vient du dehors (c'est l'expression qu'il emploie), c'est-à-dire l'âme qui vient de l'extérieur (4vxù v): car, selon ce philosophe, l'âme ne possède pas par elle-même (oïzołɛv) la puissance d'être éclairée par les rayons de l'intelligence.

EUXITHEUS. Que tu es heureux, Théophraste. Malgré le nombre et la diversité des opinions professées par les anciens, tu n'en oublies aucune, tu les expliques toutes avec autant de clarté que si tu exposais tes propres idées au lieu de rapporter ce qu'ont enseigné les anciens. Tu parais avoir plus de mémoire qu'Hippias, et être prêt à répondre à toutes les questions. Mais que ferai-je ? Je demeure incertain et je ne sais que devenir. Je me demande qui je dois suivre. Est-ce Héraclite, selon qui l'âme en fuyant dans cette vie y trouve une trêve aux travaux auxquels elle est soumise làhaut'? ou Empédocle, qui précipite l'âme ici-bas en punition de ses fautes ? ou bien Platon, selon qui l'âme vient ici-bas tantôt pour subir un châtiment, tantôt pour rendre l'univers parfait, tantôt volontairement, tantôt involontairement, tantôt par contrainte, tantôt de son propre mouvement? (Car je ne parle point d'Aristote qui, par une sagesse transcendante, refuse à l'âme l'immortalité.) Ces philosophes combattent chacun les opinions de tous les autres, et sont

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1 Voy. Platon, Timée, p. 34. - 2 Ibid., p. 30. Ibid., p. 39. - Voy. ci-dessus Jamblique, De l'Ame, p. 634, note 2. — 5 Voy. ci-dessus, p. 638, note 7. 6 Expressions empruntées à l'Hippias et au Banquet de Platon. — 7 πότερον Ηρακλείτῳ, ᾧ δοκεῖ τῶν ἄνω πόνων τῆς ψυχῆς ἀνάπαυλαν εἶναι τὴν eis Tóvde biov quynv; Voy. ci-dessus p. 645, note 2, et p. 674.

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