Obrázky na stránke
PDF
ePub

par sa conduicte, et d'un coup de main, en si extreme vieillesse, me semble meriter qu'on la loge entre les remarquables evenements de mon teinps; comme aussi, la constante bonté, doulceur de mœurs, et facilité consciencieuse de monsieur de la Noue, en une telle iniustice de parts armees (vraye eschole de trahison, d'inhumanité et de brigandage), où tousiours il s'est nourry, grand homme de guerre et tresexperimenté'.

l'ay prins plaisir à publier, en plusieurs lieux, l'esperance que l'ay de Marie de Gournay le Iars, ma fille d'alliance 2, et certes aimee de moy beau

'Dans l'édition de 1588, Montaigne ne parloit ici ni de La Noue, le célèbre héros calviniste, dont les Discours politiques et militaires furent publiés en 1587, ni de mademoiselle de Gournay, dont l'éloge suit, et qu'il ne vit pour la première fois que pendant le séjour qu'il fit à Paris, en 1588, pour surveiller cette nouvelle édition. Dans celle que donna mademoiselle de Gournay en 1635, sa modestie lui a fait tronquer toute la fin de ce chapitre, et elle en convient dans les dernières pages de sa préface. Il faut donc s'en tenir ici, comme par-tout, à l'édition de 1595, où elle n'avoit osé rien changer ni retrancher. Elle se contentoit de dire en faisant allusion à ce passage: Lecteur, n'accuse pas de temerité le favorable iugement qu'il a faict de moy, quand tu considereras, en cet escrit icy, combien ie suis loing de le meriter. Lorsqu'il me louoit, ie le possedois: moy avec luy, et moy sans luy, sommes absolument deux. Cette excuse lui suffit alors, et elle ne changea rien. C'étoit comprendre beaucoup mieux ses devoirs d'éditeur. J. V. L.

Sur ce qu'emportent ces mots, ma fille d'alliance, voyez l'article Gournay dans le Dictionnaire de Bayle, où il est dit, d'après le témoignage de cette demoiselle même, que le jugement qu'elle fit des premiers Essais de Montaigne donna lieu à cette sorte d'alliance, long-temps avant qu'elle eût vu l'auteur. Née en 1560, elle mourut en 1645. C.

coup plus que paternellement, et enveloppee en ma retraicte et solitude comme l'une des meilleures parties de mon propre estre: ie ne regarde plus qu'elle au monde. Si l'adolescence peult donner presage, cette ame sera quelque iour capable des plus belles choses, et entre aultres, de la perfection de cette tressaincte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ayt peu monter encores: la sincerité et la solidité de ses mœurs y sont desia bastantes'; son affection vers moy, plus que surabondante, et telle, en somme, qu'il n'y a rien à souhaiter, sinon que l'apprehension qu'elle a de ma fin, par les cinquante et cinq ans ausquels elle m'a rencontré, la travaillast moins cruellement. Le iugement qu'elle feit des premiers Essais, et femme, et en ce siecle, et si ieune, et seule en son quartier; et la vehemence fameuse dont elle m'aima et me desira longtemps, sur la seule estime qu'elle en print de moy, longtemps avant m'avoir veu, sont des accidents de tresdigne consideration.

Les aultres vertus ont eu peu ou point de mise en cet aage: mais la vaillance, elle est devenue populaire par nos guerres civiles; et en cette partie, il se treuve parmy nous des ames fermes ius

Dans un assez haut degré. De l'italien bastare, suffire, on a fait baster, bastant, et baste. De ces trois mots, il n'y a proprement que le dernier, baste, qui soit maintenant en usage dans le style familier. C. Bastant est encore usité dans le langage populaire; on dit: Tu n'es pas bastant pour faire cela. E. J.

ques à la perfection, et en grand nombre, si que le triage en est impossible à faire.

Voylà tout ce que i'ay cogneu, iusques à cette heure, d'extraordinaire grandeur et non com

mune.

CHAPITRE XVIII

Du desmentir.

Voire mais, on me dira que ce desseing de se servir de soy, pour subiect à escrire, seroit excusable à des hommes rares et fameux, qui, par leur reputation, auroient donné quelque desir de leur cognoissance. Il est certain, ie l'advoue et sçais bien, que pour veoir un homme de la commune façon, à peine qu'un artisan leve les yeulx de sa besongne; là où, pour veoir un personnage grand et signalé arriver en une ville, les ouvroirs' et les boutiques s'abandonnent. Il messied à tout aultre de se faire cognoistre, qu'à celuy qui a de quoy se faire imiter, et duquel la vie et les opinions peuvent servir de patron: Cesar et Xenophon ont eu de ont eu de quoy fonder et fermir leur narration, en la grandeur de leurs faicts, comme en une base iuste et solide: ainsi sont à souhaiter les

Les ouvroirs étoient les ateliers où les gens de métier travailloient, faisoient leur ouvrage. C.

papiers iournaux du grand Alexandre, les commentaires qu'Auguste, Caton, Sylla, Brutus, et aultres avoient laissé de leurs gestes: de telles gents, on aime et estudie les figures, en cuivre mesme et en pierre.

Cette remontrance est tresvraye; mais elle ne me touche que bien peu:

Non recito cuiquam, nisi amicis, idque rogatus ;
Non ubivis, coramve quibuslibet : in medio qui
Scripta foro recitent, sunt multi, quique lavantes'.

Ie ne dresse pas icy une statue à planter au quarrefour d'une ville, ou dans une eglise, ou place publicque:

Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis

Pagina turgescat.

Secreti loquimur':

c'est pour le coing d'une librairie, et pour en amuser un voisin, un parent, un amy, qui aura plaisir à me raccointer 3 et repractiquer en cett' image. Les aultres ont prins coeur de parler d'eulx,

'Je ne lis pas ceci en tout lieu, ni devant toute sorte de personnes : je le lis à mes seuls amis, et lorsque j'en suis prié ; tandis qu'il est des auteurs qui déclament leurs ouvrages dans les bains et dans les places publiques. HoR., Sat., I, 4, 73. —Au lieu de coactus, qui est dans le premier vers d'Horace, Montaigne a mis rogatus, qui exprime plus exactement sa pensée. C.

'Mon dessein n'est pas de grossir ce livre de pompeuses bagatelles ; je parle comme en tête à tête avec mon lecteur. PERSE, V, 19.

C.

3 A se familiariser encore avec moi par le moyen de cette image.

pour y avoir trouvé le subiect digne et riche; moy, au rebours, pour l'avoir trouvé si sterile et si maigre, qu'il n'y peult escheoir souspeçon d'ostentation. le iuge volontiers des actions d'aultruy : des miennes, ie donne peu à iuger, à cause de leur nihilité; ie ne treuve pas tant de bien en moy, que ie ne le puisse dire sans rougir. Quel contentement me seroit ce d'ouïr ainsi quelqu'un qui me recitast les mœurs, le visage, la contenance, les plus communes paroles, et les fortunes de mes ancestres! combien i'y serois attentif! Vrayement cela partiroit d'une mauvaise nature, d'avoir à mespris les pourtraicts mesmes de nos amis et predecesseurs, la forme de leurs vestements et de leurs armes. l'en conserve l'escriture, le seing, des heures, et un' espee peculiere' qui leur a servi; et n'ay point chassé de mon cabinet des longues gaules que mon pere portoit ordinairement en la main : Paterna vestis, et annulus, tanto carior est posteris, quanto erga parentes maior af fectus. Si toutesfois ma posterité est d'autre

[ocr errors][merged small]

2

Péculière, du latin peculiar's, qui signifie la

Édit. in-4° de 1588, fol. 285. « Un poignard, un harnois, une espee qui leur a servi, ie les conserve pour l'amour d'eulx, autant que ie puis, de l'iniure du temps. » Montaigne a ajouté, depuis, les longues gaules de son père, et la citation de S. Augus

tin. J. V. L.

'L'habit, l'anneau d'un père, sont d'autant plus chers à ses enfants, qu'ils conservent plus d'affection pour lui. S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, I, 13.

« PredošláPokračovať »