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pendant, si ie puis, en quel temps print commencement cette coustume de si exactement poiser et mesurer les paroles, et d'y attacher nostre honneur: car il est aysé à iuger qu'elle n'estoit pas anciennement entre les Romains et les Grecs; et m'a semblé souvent nouveau et estrange de les veoir se desmentir et s'iniurier, sans entrer pourtant en querelle: les loix de leur debvoir prenoient quelque aultre voye que les nostres. On appelle Cesar, tantost voleur, tantost yvrongne', à sa barbe: nous veoyons la liberté des invectives qu'ils font les uns contre les aultres, ie dis les plus grands chefs de guerre de l'une et l'aultre nation, où les paroles se revenchent seulement par les paroles, et ne se tirent à aultre consequence.

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CHAPITRE XIX.

De la liberté de conscience.

Il est ordinaire de veoir les bonnes intentions, si elles sont conduictes sans moderation, poulser les hommes à des effects tres vicieux. En ce debat, par lequel la France est à present agitee de guerres civiles, le meilleur et le plus sain party est sans doubte celuy qui maintient et la religion

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Plutarque, Pompée, c. 16; Caton d'Utique, c. 7. C.

et la police ancienne du païs: entre les gents de bien toutesfois qui le suyvent (car ie ne parle point de ceulx qui s'en servent de pretexte pour, ou exercer leurs vengeances particulieres, ou fournir à leur avarice, ou suyvre la faveur des princes; mais de ceulx qui le font par vray zele envers leur religion, et saincte affection à maintenir la paix et l'estat de leur patrie), de ceulxcy, dis ie, il s'en veoid plusieurs que la passion poulse hors les bornes de la raison, et leur faict par fois prendre des conseils iniustes, violents, et encores temeraires.

Il est certain qu'en ces premiers temps que nostre religion commencea de gaigner auctorité avecques les loix, le zele en arma plusieurs contre toute sorte de livres payens, de quoy les gents de lettres souffrent une merveilleuse perte; i'estime que ce desordre ayt plus porté de nuisance aux lettres, que touts les feux des barbares: Cornelius Tacitus en est un bon tesmoing; car quoyque l'empereur Tacitus, son parent, en eust peuplé, par ordonnances expresses, toutes les librairies du monde'; toutesfois un seul exemplaire entier n'a peu eschapper la curieuse recherche de ceulx qui desiroient l'abolir pour cinq ou six vaines clauses contraires à nostre creance.

Ils ont aussi eu cecy, de prester ayseement des

'Cornelium Tacitum, scriptorem historiæ Augustæ, quod parentem suum eumdem diceret, in omnibus bibliothecis collocari jussit, etc. VOPISCUs, in Tacito imp., c. 10. J. V.L.

louanges faulses à touts les empereurs qui faisoient pour nous, et condamner universellement toutes les actions de ceulx qui nous estoient adversaires, comme il est aysé à veoir en l'empereur Iulian, surnommé l'Apostat'. C'estoit, à la verité, un tresgrand homme et rare, comme celuy qui avoit son ame vifvement teincte des discours de la philosophie, ausquels il faisoit profession de regler toutes ses actions; et de vray, il n'est aulcune sorte de vertu de quoy il n'ait laissé de tresnotables exemples: En chasteté (de laquelle le cours de sa vie donne bien clair tesmoignage), on lit de luy un pareil traict à celuy d'Alexandre et de Scipion, de plusieurs tresbelles captifves, il n'en voulut seulement veoir une 2, estant en la fleur de son aage; car il feut tué par les Parthes, aagé de trente un ans seulement 3: Quant à la iustice, il prenoit luy mesme la peine d'ouïr les parties; et encores que par curiosité il s'informast, à ceulx qui se presentoient à luy, de quelle religion ils estoient, toutesfois l'inimitié qu'il portoit à la nostre ne donnoit aulcun contrepoids à la balance: il feit luy mesme plusieurs bonnes loix ; et retran

que

pas

Ce que Montaigne va dire de l'empereur Julien fut blåmé, pendant son séjour à Rome en 1581, par le Maître du sacré palais; mais le censeur, dit-il, remit à ma conscience de rhabiller ce que ie verrois estre de mauvais goust. (Voyage, t. II, p. 35.) Il paroît qu'il n'a rien rhabillé ; et ce chapitre a fourni, depuis, à Voltaire, la plupart des éloges qu'il a faits de Julien. J. V. L. * AMMIEN MARCELLIN, XXIV, 8, C.

3 ID., XXV, 4. C.

cha une grande partie des subsides et impositions que levoient ses predecesseurs'.

Nous avons deux bons historiens tesmoings oculaires de ses actions: Tun desquels, Marcellinus, reprend aigrement, en divers lieux de son histoire, cette sienne ordonnance par laquelle il deffendit l'eschole et interdict l'enseigner à touts les rhetoriciens et grammairiens chrestiens, et dict qu'il souhaiteroit cette sienne action estre ensepvelie soubs le silence: il est vraysemblable, s'il eust faict quelque chose de plus aigre contre nous, qu'il ne l'eust pas oublié, estant bien affectionné à nostre party. Il nous estoit aspre, à la verité, mais non pourtant cruel ennemy; car nos gents mesmes3 recitent de luy cette histoire, Que se pourmenant un iour autour de la ville de Chalcedoine, Maris, evesque du lieu, osa bien l'appeler Meschant, Traistre à Christ; et qu'il n'en feit aultre chose, sauf luy respondre: «Va, miserable, pleure << la perte de tes yeulx; » à quoy l'evesque encores repliqua : «<le rends graces à Iesus Christ de m'avoir « osté la veue, pour ne veoir ton visage impudent: » affectant 4 en cela, disent ils, une patience philosophique. Tant y a que ce faict là ne se peult pas bien rapporter aux cruautez qu'on le dict avoir

2

AMMIEN MARCELLIN, XXII, 10; XXV, 5, 6. C.

ID., XXII, 10, etc. C.

3 SOZOMÈNE, Hist. ecclés., V, 4. C.

Ce mot se rapporte à Julien.

exercees contre nous. «Il estoit, dit Eutropius', « mon aultre tesmoing, ennemy de la chrestienté, << mais sans toucher au sang. »

Et, pour revenir à sa iustice, il n'est rien qu'on y puisse accuser, que les rigueurs de quoy il usa, au commencement de son empire, contre ceulx qui avoient suyvi le party de Constantius, son predecesseur. Quant à sa sobrieté, il vivoit tousiours un vivre soldatesque; et se nourrissoit, en pleine paix, comme celuy qui se preparoit et accoustumoit à l'austerité de la guerre3. La vigilance estoit telle en luy, qu'il despartoit la nuict à trois ou à quatre parties, dont la moindre estoit celle qu'il donnoit au sommeil: le reste, il l'employoit à visiter luy mesme en personne l'estat de son armee et ses gardes, ou à estudier4; car, entre aultres siennes rares qualitez, il estoit tresexcellent en toute sorte de litterature. On dict d'Alexandre le grand, qu'estant couché, de peur que le sommeil ne le desbauchast de ses pensements et de ses estudes, il faisoit mettre un bassin ioignant son lict, et tenoit l'une de ses mains au dehors, avecques une boulette de cuivre, à fin que, le dormir le surprenant et relaschant les prinses de ses doigts, cette boulette, par le bruict de sa cheute dans le

'Liv. X, c. 8: Nimius religionis christianæ insectator, perinde

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