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bassin, le reveillast: cettuy cy avoit l'ame si tendue à ce qu'il vouloit, et si peu empeschee de fumees, par sa singuliere abstinence, qu'il se passoit bien de cet artifice'. Quant à la suffisance militaire, il feut admirable en toutes les parties d'un grand capitaine; aussi feut il quasi toute sa vie en continuel exercice de guerre, et la pluspart, avecques nous, en France, contre les Allemands et Francons: nous n'avons gueres memoire d'homme qui ayt veu plus de hazards, ny qui ayt plus souvent faict preuve de sa personne.

Sa mort a quelque chose de pareil à celle d'Epaminondas; car il feut frappé d'un traict, et essaya de l'arracher, et l'eust faict, sans ce que le traict estant trenchant, il se coupa et affoiblit la main. Il demandoit incessamment qu'on le rapportast en ce mesme estat, en la meslee, pour y encourager ses soldats, lesquels contesterent cette battaille sans luy trescourageusement, iusques à ce que la nuict separa les armees. Il debvoit à la philosophie un singulier mespris en quoy il avoit sa vie et les choses humaines: il avoit ferme creance de l'eternité des ames.

En matiere de religion, il estoit vicieux par tout; on l'a surnommé l'Apostat, pour avoir abandonné la nostre toutesfois cette opinion me semble plus vraysemblable, Qu'il ne l'avoit iamais eue à cœur, mais que, pour l'obeïssance des loix, il

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s'estoit feinct iusques à ce qu'il teinst l'empire en sa main. Il feut si superstitieux en la sienne, que ceulx mesmes qui en estoient, de son temps, s'en mocquoient; et, disoit on, s'il eust gaigné la victoire contre les Parthes, qu'il eust faict tarir la race des boeufs au monde, pour satisfaire à ses sacrifices'. Il estoit aussi embabouiné de la science divinatrice, et donnoit auctorité à toute façon de prognostiques. Il dict, entre aultres choses, en mourant, qu'il sçavoit bon gré aux dieux, et les remercioit, de quoy ils ne l'avoient pas voulu tuer par surprinse, l'ayant de long temps adverty du lieu et heure de sa fin, ny d'une mort molle ou lasche, mieulx convenable aux personnes oysifves et delicates, ny languissante, longue, et douloureuse; et qu'ils l'avoient trouvé digne de mourir de cette noble façon, sur le cours de ses victoires, et en la fleur de sa gloire. Il avoit eu une pareille vision à celle de Marcus Brutus, qui premierement le menacea en Gaule, et depuis se representa à luy en Perse, sur le poinct de sa mort3. Ce langage qu'on luy faict tenir, quand il se sentit frappé: « Tu as vaincu, Nazareen4: » ou, comme d'aultres,

K

Contente toy, Nazareen, » à peine eust il esté oublié, s'il eust esté creu par mes tesmoings, qui, estants presents en l'armee, ont remarqué iusques

AMMIEN MARCELLIN, XXV, 6. C.

2 ID., XXV, 4. C.

3 ID., XX, 5; XXV, 2. C.

THEODORET, Hist. ecclés., III, 20. C.

aux moindres mouvements et paroles de sa fin; non plus que certains aultres miracles qu'on y attache.

Et pour venir au propos de mon theme, il couvoit, dict Marcellinus ', de long temps en son cœur le paganisme; mais parce que toute son armee estoit de chrestiens, il ne l'osoit descouvrir: enfin, quand il se veit assez fort pour oser publier sa volonté, il feit ouvrir les temples des dieux, et s'essaya par touts moyens de remettre sus l'idolatrie. Pour parvenir à son effect, ayant rencontré, en Constantinople, le peuple descousu, avecques les prelats de l'Eglise chrestienne divisez, les ayant faict venir à luy au palais, il les admonesta instamment d'assopir ces dissentions civiles, et que chascun, sans empeschement et sans crainte, servist à sa religion: ce qu'il sollicitoit avecques grand soing, pour l'esperance que cette licence augmenteroit les parts et les brigues de la division, et empescheroit le peuple de se reunir, et de se fortifier par consequent contre luy par leur concorde et unanime intelligence; ayant essayé, par la cruauté d'aulcuns chrestiens, « Qu'il n'y a point de beste au monde tant à craindre à l'homme, que l'homme:>> voylà ses mots à peu prez.

En quoy cela est digne de consideration, que l'empereur Iulian se sert, pour attiser le trouble de la dissention civile, de cette mesme recepte de

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liberté de conscience que nos roys viennent d'employer pour l'esteindre. On peult dire d'un costé, que de lascher la bride aux parts d'entretenir leur opinion, c'est espandre et semer la division; c'est prester quasi la main à l'augmenter, n'y ayant aulcune barriere ny coerction des loix qui bride et empesche sa course: mais, d'aultre costé, on diroit aussi que, de lascher la bride aux parts d'entretenir leur opinion, c'est les amollir et relascher par la facilité et par l'aysance, et que c'est esmousser l'aiguillon qui s'affine par la rareté, la nouvelleté, et la difficulté: et si crois mieulx, pour l'honneur de la devotion de nos roys, c'est

que, n'ayants peu ce qu'ils vouloient, ils ont faict semblant de vouloir ce qu'ils pouvoient.

CHAPITRE XX.

Nous ne goustons rien de pur.

La foiblesse de nostre condition faict que les choses, en leur simplicité et pureté naturelle, ne puissent pas tumber en nostre usage: les elements que nous iouïssons, sont alterez, et les metaux de mesme; et l'or, il le fault empirer par quelque aultre matiere pour l'accommoder à nostre service: ny la vertu ainsi simple, qu'Ariston et Pyrrho, et encores les stoïciens faisoient « But de la

vie, » n'y a peu servir sans composition; ny la volupté cyrenaïque et aristippique. Des plaisirs et biens que nous avons, il n'en est aulcun exempt de quelque meslange de mal et d'incommodité: Medio de fonte leporum

Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat '. Nostre extreme volupté a quelque air de gemissement et de plaincte; diriez vous pas qu'elle se meurt d'angoisse? Voire quand nous en forgeons l'image en son excellence, nous la fardons d'epithetes et qualitez maladifves et douloureuses, langueur, mollesse, foiblesse, defaillance, morbidezza: grand tesmoignage de leur consanguinité et consubstantialité. La profonde ioye a plus de severité que de gayeté; l'extreme et plein contentement, plus de rassis que d'enioué; Ipsa felicitas, se nisi temperat, premit2: l'ayse nous masche. C'est ce que dict un verset grec ancien, de tel sens, « Les dieux nous vendent touts les biens qu'ils nous donnent3: » c'est à dire ils ne nous en donnent aulcun pur et parfaict, et que nous n'achetions au prix de quelque mal.

'De la source des plaisirs s'élève je ne sais quelle amertume, qui tourmente même sur les fleurs. LUCRÉCE, IV, 1130.

'La félicité qui ne se modère pas, se détruit elle-même. SÉNEQUE, Epist. 74.

3 Πωλούσιν ἡμῖν πάντα τἀγαθ' οἱ θεοί.

Vers d'Épicharme, conservé par XENOPHON dans ses Mémoires sur Socrate, II, 1, 20. Voiture dit la même chose dans une lettre au comte de Guiche : « Pour l'ordinaire, la fortune nous vend bien

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