Obrázky na stránke
PDF
ePub

Tu meurs sur tes ballots de sucres et de toiles,
Peuple, l'égoïsme te mord!

De ton drapeau d'azur efface les étoiles,

Et prends le drapeau de la mort.

A coup sûr, le talent poétique de M. Charles Alexandre et l'usage qu'il en fait sont également dignes de sympathie. La poésie ne peut que devenir plus forte, ainsi retrempée dans ces sources nouvelles. Convenons pourtant qu'il y a encore chez l'auteur des Grands maîtres plus d'effort que de force véritable. L'expression ne sert pas toujours exactement l'intention; le mouvement ne répond pas entièrement à l'élan; le style manque parfois de simplicité; l'éclat confine au faux brillant. Le poëte de la force tombe dans la recherche. Mais on doit bien pardonner quelque chose à la jeunesse, à l'enthousiasme, aux sentiments généreux, qui seront toujours les sources les plus pures et les plus fécondes de la poésie'.

[ocr errors]

Encore la poésie d'actualité. MM. Arm. Lebailly, Barillot, Viennet.

La sympathie publique était due pour plusieurs causes à un petit recueil auquel elle n'a pas fait défaut, Italia

1. Si nous pouvions donner aux réimpressions une partie de la place que réclament les publications nouvelles, nous aurions à signaler ici, comme un des meilleurs fruits des mêmes inspirations ardentes et généreuses, les Chants modernes de M. Maxime Ducamp. Publiés en 1855, ils viennent d'être réimprimés (Librairie nouvelle), avec des corrections et quelques additions. Ce sont bien des chants modernes, les chants de notre société qui travaille et qui souffre, qui dompte la matière par l'industrie et aspire à une organisation meilleure de toutes ses forces. Nous n'en citerons qu'un sonnet auxquel les événements récents ont donné un intérêt nouveau. Il est intitulé les Sœurs sanglantes:

Comme un Titan vaincu la Pologne sanglante

Courbe son front meurtri sous trois glaives hautains;

mia, de M. Armand Lebailly. L'Italie est naturellement l'héroïne de ce petit volume dédié à Venise. Sur une quarantaine de pièces, la plupart ont pour sujet la nation italienne, ses malheurs ou sa gloire, les hommes qu'elle a produits, de Cincinnatus à Garibaldi; quelques-unes célèbrent en général la civilisation et la liberté, ces deux causes qui sont à la fois celles de l'Italie et du monde entier, et quelques héros qui ont combattu ou sont morts pour elles dans les deux hémisphères, Mirabeau et John Brown. Italia mia, est venu au jour sous d'assez tristes auspices; le manuscrit fut recueilli dans une de nos salles d'hôpital, sous l'oreiller d'un jeune malade, dont le sort sembla un instant rappeler celui de Gilbert ou d'Hégésippe Moreau. Un poëte dont le cœur inspire le talent, qui avait l'année précédente consacré à l'Italie et à l'un de ses héros une élégie devenue populaire: Un Souvenir de Manin, 1858, M. Legouvé, prit sous son patronage des vers nés d'unemême inspiration et écrivit pour eux une touchante préface. Il leur porta bonheur. Quelques mois après, Italia mia avait les honneurs de la réimpression.

Le volume de M. A. Lebailly méritait cet accueil par la vérité du sentiment. Les mots de patrie, de liberté, d'Ita

La Hongrie éperdue, ouverte et chancelante,
Regarde les gibets par son sang toujours teints!

Immobile à genoux, Venise pantelante

Pleure, en chantant tout bas ses souvenirs lointains;
Autour de son volcan la Sicile tremblante.

Traine comme un forçat les fers napolitains.

Baissant leurs yeux pensifs, pleins d'une peine amère,
Comme des fils perdus qui chercheraient leur mère,
Proscrits de toute race, exilés de tout lieu,

Vont quêtant un pays et pleurant leur patrie!
Quand je vois tout cela, bien souvent je m'écrie:
Que fais-tu dans le ciel, ô justice de Dieu ?

1. Garnier frères, in-18, 168 p.

[ocr errors]

lie, ne vibrent pas seulement dans ses vers pour l'oreille; on sent qu'ils partent du cœur. Le patriotisme n'est point ici une inspiration factice, l'admiration pour le génie un culte de fantaisie, la douleur une muse de circonstance. Sous cette triple inspiration, le poëte a de la grâce, de la mélancolie, quelquefois de la verve et de l'éclat. Il a un sentiment naturel de l'harmonie, comme dans cette dédicace à Venise:

A VENISE.

A toi, l'immortelle exilée,

A toi ces chants de mes douleurs,
A toi cette lyre effeuillée

Par l'hiver sans donner de fleurs!

A toi l'enfant à tête blonde
Dont chacun des pas est tremblant,
Et qui sent s'affaisser le monde
Comme la neige du mont Blanc!

Donne-lui, fille de l'Aurore,

Un doux coin de ton lit vermeil.
Il meurt. Il voudrait vivre encore!
Qu'il meure enivré de soleil;

Enivré de ton ambroisie,

De ton amour, de ta langueur....
O reine de la poésie,
Ensevelis-le dans ton cœur!

A toi, l'immortelle exilée,

A toi ces chants de mes douleurs,

A toi cette lyre effeuillée

Par l'hiver sans donner de fleurs!

Rien de plus heureux que le mouvement, que le bercement, pour ainsi dire, de ces petites strophes; la première surtout est, pour l'oreille, d'une harmonie que son retour rend encore plus sensible. Mais pourquoi enfermet-elle, pour les yeux, cette image impossible d'une lyre que l'hiver effeuille sans la laisser fleurir!

Voltaire a donné, pour le style figuré, une règle que les jeunes poëtes ne doivent pas plus oublier que les prosateurs il faut toujours qu'une métaphore puisse se traduire par le pinceau sur la toile. Quel singulier tableau on ferait en appliquant cette règle à tant de fausses images du style poétique! Une plus grande surveillance sur lui-même épargnera à l'auteur d'Italia mia ces effets bizarres auxquels il revient assez souvent, ainsi que quelques autres petites fautes. Il n'a pas un soin assez sévère de la forme; la rime amène quelquefois l'idée, et elle n'est pas ellemême d'une richesse suffisante. En un mot, on sent que le travail a manqué à l'inspiration; l'accord de l'un et de l'autre conduira M. Lebailly à tenir toutes les promesses de son début.

C'est aussi de la poésie toute d'actualité, mais avec un ton bien différent que nous trouvons dans les vers de M. Barillot. M. Barillot est un des héritiers des Barthélemy et des Barbier : il s'est armé, contre les vices de son temps, du fouet de la satire, et il le fait résonner avec beaucoup de vigueur. A plusieurs reprises déjà, M. Barillot s'est efforcé de secouer la torpeur de la jeunesse et la lâche sécurité d'une génération corrompue, par la véhémence de ses philippiques. Aujourd'hui, dans Polichinelle1, il revient à la charge, selon son tempérament de poëte, avec plus de force que de mesure. Il flétrit, une fois de plus,

Ces jeunes gens blasés, flétris par la débauche,

Qui n'ont qu'un balancier de chair sous le sein gauche.

Ce qui lui a causé un nouvel et trop légitime accès de colère, c'est cette invasion de petites publications de diffamation ou de scandale, écloses, comme les insectes nuisibles, dans la dernière saison d'été, et mortes avant l'hi

1. Marpon, éditeur.

ver, tuées par le dégoût public, plus sûrement encore que par les poursuites judiciaires. Voici de quel mépris M. Barillot en écrase les auteurs :

Je plains de tout mon cœur un auteur famélique
Dont l'oreille se tend vers la voix métallique;
Je méprise et je plains l'homme qui vend sa foi;
Mais je fouette les nains qui n'ont ni feu ni loi,
Ces mirmidons lettrés qui s'arment d'une plume
Pour bâcler en trois jours un immonde volume
Que la hotte réclame.... O bâtards de Jacquot,
A nos temps dépravés vous payez votre écot.

On passe à l'auteur de Polichinelle toute la virulence des mouvements; mais on lui a reproché avec raison la trivialité parfois affectée du langage, et une grossièreté de préméditation qui emprunte à l'argot des lieux suspects où ces immondes volumes se débitent, les termes dont il veut les flétrir. Que M. Barillot le sache bien: la langue des honnêtes gens et de la bonne compagnie suffit à la satire, quand elle est jetée dans le moule d'une versification aussi vive et aussi forte.

C'est avec plus de modération dans la forme, mais avec tout autant de justice, au fond, qu'un satirique d'un autre âge, dont la verte vieillesse a conservé la verve jusqu'au milieu du nôtre, le célèbre M. Viennet, maniait jadis et manie encore la satire politique, morale et littéraire. Nous avons à signaler une cinquième édition de ses Épitres et Satires, livre à la fois ancien et nouveau, que chaque réimpression a grossi. L'auteur nous prévient luimême que la première édition, qui était de 1813, ne contenait que douze pièces, et que celle d'aujourd'hui en comprend cinquante. Les divisions mêmes du recueil sont un curieux témoignage de longévité littéraire : quel laps

1. Hachette, in-18, 395 p.

« PredošláPokračovať »