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fatalité. Ce qui, dans son livre, peut être compris des enfants, n'a ni portée ni poésie; ce qui est plus fort et plus poétique n'est plus compris des enfants. Plusieurs de ses fables sont dans le premier cas, comme la suivante, intitulée le Miroir :

La petite Laura, s'admirait dans la glace :
Sa mère dit : « Remets ce miroir à sa place.
Je veux me voir! répond l'enfant
En pleurant, criant, trépignant.

-Tu le veux? Eh bien! Tiens, regarde ta grimace!
Et Laura vit dans le miroir

Un enfant en colère, épouvantable à voir.

D

Etait-ce la peine de refaire la fable de Florian pour la déformer et la décolorer ainsi? Sans doute elle contenait deux ou trois vers un peu trop forts pour des enfants; mais combien elle offrait plus de mouvement, de vivacité de tours, de mise en scène et, par suite, plus d'intérêt! Ailleurs, sans être plus riches de forme, les leçons de M. Ratisbonne sont à leur tour incompréhensibles à ses petits auditeurs. Celle de la fable intitulée le Courage, suppose chez l'enfant des notions phrénologiques :

Il avait une bosse au front, mais il riait,
Disant : « Je n'ai pas mal, » à sa sœur qui criait.
Son père dit : « Bravo! cette bosse, à ton âge,
Ne t'enlaidira pas, c'est celle du courage. »

Que dire encore de la réponse faite à un enfant qui demande ce qui déplaît dans le chant du coucou?

Mon enfant, je vais te le dire.

Dans la voix du coucou ce qui cause l'ennui,
C'est qu'il parle toujours de lui.

Je ne multiplierai pas les échantillons de cette morale, de cette mise en scène et de ce style. Mais il y aurait beaucoup à dire au sujet d'un certain nombre de fables, refaites

sur celles de La Fontaine, ou plutôt contre elles, pour rendre le bonhomme, non pas plus poétique ni plus vrai, mais plus moral, ou soi-disant tel. C'est ainsi que nous avons la contre-partie du Loup et l'Agneau, sous le titre retourné de l'Agneau et le Loup. Le loup ne mangera pas l'agneau à qui il cherche querelle sur le bord de l'onde pure: c'est bon dans la vie; mais dans l'éducation par les fables de M. Ratisbonne, il en va autrement. N'y a-t-il pas une Providence? Un deus ex machina intervient; c'est le chasseur. Au moment où le loup s'écrie:

Tu vas mourir! je te dévore, »

le défenseur inattendu de la justice lui décharge un coup de fusil,

L'agneau joyeux se sauve, et, paf! le loup est mort.

Et voici la morale;

Les agneaux ont raison, les loups ont toujours tort.

Nous avons encore, sous le titre simplement retourné, et à peu près dans le même rhythme, une nouvelle version de la Cigale et la Fourmi. Ce que la nature humaine ou celle des bêtes a de mauvais doit disparaître du paradis terrestre où M. Ratisbonne appelle nos enfants à vivre. La fourmi devient prêteuse et charitable à ravir. Elle parle : foi d'animal!» d'amour « tendre et fidèle! »

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α

Aimer, c'est le principal!
Sur-le-champ la fourmi donne

Tout ce qu'elle a rassemblé

Pour l'hiver et pour l'automne, etc.

Puis, quand la cigale a dit, avec les rimes mêmes de La Fontaine, ce qu'elle a fait tout l'été, la fourmi lui donne par surcroît, un excellent conseil :

Travaillez donc maintenant!

Ces remaniements de nos fables classiques ne sont-ils pas de véritables parodies, qui n'ont pas même la raison d'être de ces altérations de texte admises dans les éditions expurgées du P. Jouvency? Des moralistes, je le sais bien, se sont élevés contre l'influence des fables de La Fontaine, et l'on a essayé, bien avant M. Ratisbonne, d'en refondre quelques-unes. Mais il faudrait avoir soin de faire ressortir un enseignement meilleur de la nature même des caractères de convention prêtés aux animaux et de circonstances vraisemblables. Témoin le Renard et le Corbeau de Lessing. Voulant montrer le danger de la flatterie pour le flatteur lui-même, l'auteur allemand imagine que la proie emportée par l'oiseau vorace est un morceau de chair empoisonnée, destinée aux animaux nuisibles; le renard qui, par son langage flatteur, obtient cette aubaine, meurt victime de son caractère et de ses habitudes de courtisan. Ce dénoûment aurait-il désarmé Rousseau, qui reprochait à celui de La Fontaine d'enseigner aux enfants le pouvoir de la flatterie? Je ne le crois pas. Les miracles du hasard, qui font tourner à notre châtiment le triomphe même de nos vices, ne sont pas faits pour en guérir les enfants plus que les hommes. Il n'y a ici qu'une leçon amoindrie, c'est celle de La Fontaine et des anciens sages sur le danger de se laisser flatter. M. Ratisbonne et P. J. Stahl n'avaient pas soupçonné qu'il fût si difficile de toucher à la vieille sagesse humaine pour en faire je ne sais quelle nouvelle sagesse enfantine.

Après un certain nombre d'autres fables, plus sages qu'enfantines ou plus enfantines que sages, et qui rappellent celles de notre ancien Mentor de la jeunesse, M. Ratisbonne écrit pour les enfants plusieurs traductions ou réductions de poésies étrangères et françaises. Parmi ces dernières se trouve le récit du Crapaud, d'après la Légende des siècles, réduit à une dizaine de vers, plus la morale.

1. Voyez tome II de l'Année littéraire, p. 23.

Les meilleures traductions ou imitations sont tirées de l'allemand et ont pour modèles Pfeffel et Lessing. Traduction, imitation ou conception originale, la plus remarquable pièce de tout le recueil est intitulée : l'Ame des hommes. C'est un joli apologue représentant un conseil savant tenu par les animaux, pour décider si l'homme a une âme. L'âne, qui parle le premier, retourne contre nous la doctrine de l'animal-machine de Descartes:

L'homme n'est rien qu une machine,

Fort bien faite et qui bat, une machine à coups.

Le loup nous donne un cœur comme le sien, parce que nous mangeons comme lui les moutons. Aux yeux du cheval, l'homme est une belle bête, qui porte bien le harnais et s'attelle orgueilleusement au char de ses maîtres.

Le renard dit: l'homme est intelligent, il ment.

Et c'est le plus joli trait. Le témoignage du chien sur nous est celui que nous devons rendre de lui-même. Il a vu chez quelques hommes la tendresse et la fidélité, et il dit :

Lorsque je vois un être aimant et doux

Je crois à son âme immortelle.

Que de choses j'aperçois dans ce morceau, que les enfants ne doivent pas y voir! Ce n'est plus de la comédie enfantine, c'est la comédie humaine, la vraie comédie, telle que La Fontaine la comprenait, où chaque acteur a le langage de son rôle et de son caractère. Une page comme celle-là vaut mieux que tout un volume de puérilités moralisantes. M. Ratisbonne avait lui-même très-exactement défini les fables:

Des contes raisonnables

Qu'on apprend aux petits enfants
Et qui sont compris par les grands.

Ce sont ces contes-là qu'il faut encore faire, si l'on veut rester poëte. Il a cru pouvoir en écrire qui, sans tomber dans l'insignifiance, ne s'élèveraient point au-dessus de la portée du jeune âge. On a vu qu'il a échoué tour à tour contre ces deux écueils qui sont ceux du genre, et combien la véritable poésie trouve peu sa part dans ces fadeurs contre lesquelles Stahl, en se faisant l'introducteur et pour ainsi dire le régisseur de la scène de la Comédie enfantine, avait tant raison dé s'élever.

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Inspirations diverses MM. A. de Monvaillant, Ad. Josades, Et. Arago, Am. Pichot, J. Travers, Ch. de Rozières, Ch. Varin, Arm. Renaud, Ducros de Sixt, L. Valery, M. Lion, E. Poultier.

J'aime à rattacher aux diverses questions de la critique littéraire l'examen des productions nouvelles qui me semblent le plus dignes de remarque, et à trouver dans l'analyse d'une œuvre particulière l'occasion de défendre les principes mêmes du genre que cette œuvre est venue confirmer ou qu'elle a méconnus. J'aime à mettre en relief, à propos d'un seul livre, toute une phase de notre histoire littéraire; à propos d'un poëme, par exemple, tout un côté de notre développement poétique. Mais les faits contrarient souvent les plans formés, et les matériaux répondent mal au cadre à remplir. La disette des œuvres et la profusion des essais se refusent également à l'harmonie de la classification ou aux études utiles et fécondes. Laissons donc, pour quelques instants, les discussions littéraires et les questions de principes que les divers recueils de poésies dont nous avons fait l'analyse, nous ont permis encore

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