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Et moi, sur ce sujet loin d'exercer ma plume,
J'amasse de tes faits le pénible volume,
Et ma muse, occupée à cet unique emploi,
Ne regarde, n'entend, ne connaît plus que toi.1
Tu le sais bien pourtant, cette ardeur empressée 65
N'est point en moi l'effet d'une âme intéressée.
Avant que tes bienfaits courussent me chercher,
Mon zèle impatient ne se pouvait cacher.
Je n'admirais que toi. Le plaisir de le dire
Vint m'apprendre à louer au sein de la satire;
Et, depuis que tes dons sont venus m'accabler,
Loin de sentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je? un remords légitime,
Au fort de mon ardeur, vient refroidir maʼrime. 2

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par la réunion des idées, une plus grande impression; ce vers (et la scène, etc.) en offre un exemple... Quel homme que ce Pradon, ou plutôt quel animal féroce qui déchire impitoyablement la scène française! elle expire sous ses coups. Jaucourt, Encycl., mot pensée (note copiée dans Batteux, IV, 68). Ce vers est admirable, il fait tableau. Lévizac.

On pourrait induire de ce vers que l'épître vIII est postérieure aux premiers mois de 1677, époque où, d'après l'espèce de triomphe que la Phèdre de Pradon obtenait sur celle de Racine, on pouvait dire que la scène française était en proie à ce rimeur (voy. note 1, p. 97).

1 Vers 63 et 64. Cet entassement de verbes qui se pressent les uns sur les autres, montre l'empressement, le zèle et tous les autres sentimens dont il est pénétré pour un roi qui l'occupe tout entier. Voltaire a saisi heureusement la même figure, en parlant de Henri IV, absorbé et concentré dans son amour (Henriade, IX, 237). Clément, Nouv. obs.,

Sa vertu l'abandonne, et son âme enivrée
N'aime, ne voit, n'entend, ne connaît que

p. 384.

d'Estrée.

Ces vers prouvent encore que l'épître vi ne fut pas composée avant 1677 (voy. note 1, p. 97), puisque Boileau ne fut nommé historiographe que dans le courant de cette année (voy. aussi les vers 83 et 97).

2 Refroidir ma rime; l'épithète est d'un poète qui sent tout le prix de son art. Le Brun.

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Il me semble, grand roi, dans mes nouveaux écrits, 75
Que mon encens payé n'est plus de 1 même prix.
J'ai peur que l'univers, qui sait ma récompense,
N'impute mes transports à ma reconnaissance,
Et que par tes présens mon vers décrédité2
N'ait moins de poids pour toi dans la postérité. 3
Toutefois je sais vaincre un remords qui te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse
A peindre tes exploits ne doit point s'engager, 4
Qui d'un si juste soin se pourra donc charger?
Ah! plutôt de nos sons redoublons l'harmonie :
Le zèle à mon esprit tiendra lieu de génie.
Horace tant de fois dans mes vers imité,

De vapeurs 5 en son temps, comme moi tourmenté,

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1 V. Texte de 1701, in-12, dernière édition revue par Boileau. Il nous paraît préférable à Du, qu'on lit dans toutes les autres, soit anciennes, soit modernes. Il semble par cette expression, qui d'ailleurs forme consonnance avec plus, que le roi eût déjà fixé un certain prix à l'encens de Boileau, tandis que de offre seulement l'idée vague du prix qu'on attachait en général à cet encens.

2 C'est mal parler, il fallait dire bienfaits. Un roi ne fait point de présens à ses sujets; il fait des gràces, il répand des bienfaits. Un ami fait un présent à un ami, etc. Pradon, 80.

3 Vers 67 à 80. On comparait l'éloge du roi qu'ils contiennent à celui qui est à la fin de l'épître 1 (v. 183 à 190, p. 15). Des amis de Boileau se partageaient sur celui de ces deux morceaux qui méritait la préférence. L'auteur paraît en avoir jugé mieux que personne : Le premier, disait-il, fait plus d'honneur au roi, puisqu'il y est loué, pour ainsi dire, par la satire même; le second fait plus d'honneur au poète, parce qu'il y annonce ses éloges comme entièrement désintéressés... D'Alembert, III, 62. Tel est aussi l'avis de Saint-Marc.—On ne connaît ce prétendu jugement de Boileau que par Brossette. M. Daunou.

4 Même observation qu'à note du vers 64, p. 101.

5 Ce mot signifie ici humeur chagrine et satirique. Broscette (explication adoptée par Lévizac).

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4

2

Pour amortir le feu de sa rate indocile, 1
Dans l'encre quelquefois sut égayer sa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius, 3
Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius,"
Il sut fléchir Glycère, il sut vanter Auguste,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d'un si noble écrivain.
A ces mots, quelquefois prenant la lyre en main,

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1 Le mot d'amortir est savamment escorté de celui d'indocile. On croirait que c'est pour ce dernier mot que Boileau a fait son vers. Le Brun.

2 L'expression d'égayer sa bile dans l'encre est plaisante et originale; mais c'est dommage qu'il n'y eût point d'encre du temps d'Horace. Le Brun. Erreur : les anciens avaient de l'encre; seulement elle était moins fluide que la nôtre. Les manuscrits d'Herculanum, ville qui ne fut détruite que 86 ans après la mort d'Horace, sont écrits avec de l'encre (Encycl., Antiquités, mot encre). Il est étonnant que plusieurs éditeurs, qui rapportent la note de Le Brun, n'aient pas relevé cette erreur.

5 Sénateur romain (Boil., 1683 à 1701). César l'exclut du sénat, mais il y rentra après sa mort. Id., 1713.

Tullius, mot imaginé pour la rime ; il n'y a point de Tullius dans Horace. Rosel, p. 1. On lit, il est vrai, dans des manuscrits, Tillius au lieu de Tullius (voy. Sanadon, Traduct., v. 66, et Rosel, p. 12): mais Boileau n'a pas même commis la faute énorme d'écrire un u pour un i, car Dacier, traducteur contemporain (1687, tome VII, sat. vi, liv. 1, v. 24) lit Tullius et parle de la dégradation de ce sénateur.

4 Fameux musicien * le plus estimé de son temps et * fort chéri d'Auguste. Boil., 1683 à 1701 (ce qui est entre des * manque à 1713).

5 Quant à Glycère, voy. Horace, liv. I, ode XIX.

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Oppositions très nobles. Le Brun. Cet éloge n'a pas fait trouver grâce à ce vers un éditeur l'a d'abord refait ainsi (Boil. jeun.) :

Il sut chanter le vin, il sut vanter Auguste.

Un autre, un peu moins scrupuleux, a mis ensuite (Boil. Classique):

6

Il sut louer Glycère, il sut vanter Auguste.

Une cadence juste; l'adjectif est très bien jeté à la fin du vers ; il marque la précision de la cadence. Le Brun.

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Au récit que pour toi je suis prêt1 d'entreprendre,
Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre;
Et déjà mon vers coule à flots précipités,
Quand j'entends le lecteur qui me crie: Arrêtez :
Horace eut cent talens; mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre :
Vous
passez en audace et Perse et Juvénal;
Mais sur le ton flatteur Pinchêne 3 est votre égal.
A ce discours, grand roi, que pourrais-je répondre? 105
Je me sens sur ce point trop facile à confondre;
Et, sans trop relever des reproches si vrais,

Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.

1 V. E. Texte de 1683 à 1713... Dans la très médiocre édition de Paris, de 1766 (2 in-12), on y a substitué PRÈS, sans aucun avis, et cet exemple a été imité dans presque toutes les éditions suivantes, telles que 1768, 1782, 1789 et 1793, P.; 1788, 1789, 1800, 1815 et 1819, Did.; 1809 et 1825, Daun.; 1820, Men.; 1821, S.-S.; 1821 et 1823, Viol.; 1821, 1824 et 1829, Am.; 1824, Fr.; 1825, Aug.; 1826, Mar.; 1828, Th. Aujourd'hui, il est vrai, comme on le verra dans la note du vers 10, épître XII, les grammairiens soutiennent qu'il faut dire PRÈS de, et non prét de.. ; mais ce n'était pas un motif suffisant pour corriger le texte de Boileau, dès que ni lui ni la plupart des écrivains de son temps ne se servaient de cette locution; ou au moins aurait-on dû en informer les lecteurs.

N. B. Dans les mêmes éditions on a fait un changement semblable et éga

lement sans avis, au vers 6 de l'épître 111 (ci-dev., p. 28).

2 Harmonie imitative. Clément. (Voy. sat. 11, note du vers 216).

F. N. R. On trouve cette faute grossière dans Souchay, 1740:

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Mermet, p. 50, fait l'application de ce vers à Boileau, qui, dit-il, loue le roi outre mesure et quelquefois sans esprit.

ÉPITRE IX.'

A Mr. LE MARQUIS DE SEIGNELAY, 3

SECRÉTAIRE d'état.

DANGEREUX ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay, c'est en vain qu'un ridicule auteur,
Prêt à porter ton nom « de l'Èbre 4 jusqu'au Gange, »5

1 C'est Boileau bien plus que monseigneur de Seignelay qui est le héros de cette pièce... Il s'y prodigue de l'encens... Au reste, on la trouve bien ennuyeuse et bien languissante... Pradon, R., 81 à 83.-Elle est d'une tournure fine et spirituelle: elle fait connaître en fort beaux vers la juste dose d'encens qu'il faut donner, et c'est en même temps la louange la plus adroite et la plus délicate. On y trouve une critique enjouée et légère, des portraits saillans, beaucoup de vers devenus proverbes, tels que les 84, 113, 114 et 133. Clairfons, p. 38. (La Harpe en fait aussi l'éloge ci-dev., p. 3, no iv.) A l'exception de quelques détails inexacts (comme au vers 109) cette épître est admirable par la profonde vérité des pensées, par leur étroit enchaînement, par la justesse, l'élégance et l'énergie des expressions. M. Daunou, note du vers 139.

2 Texte de 1713, in-12. V. O. ou E. 1683 à 1698, à monseigneur. 1701, in-4° et in-12, et 1713, in-4°, à monsieur...

5 Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'état, mort en 1690, fils de Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'état. Boil., 1713.

Rivière d'Espagne. Boil., 1713.

5 Rivière des Indes. Id., ib. De l'Ebre jusqu'au Gange. « L'auteur fit imprimer ces mots en italiques pour marquer qu'il frondait une expression qui, bonne la première fois qu'on l'avait employée, était devenue triviale et ridicule par le fréquent usage que les plus mauvais poètes en avaient fait... » Voilà ce qu'assurent Saint-Marc et (d'après lui) M. de S.-S., sans citer aucune autorité. Les mots cités sont, il est vrai, en caractères différens du texte aux éditions de 1683 à 1701 (non en 1713); mais Boileau ne paraît pas ici avoir suivi une marche particulière; c'est toujours une application du système qu'il s'était fait d'in

TOME II.

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