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Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle, Qui devait des bons vers nous tracer le modèle, Ce censeur, diront-ils, qui nous réformait tous? Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous ! 1 N'avons-nous pas cent fois en faveur de la France, 25 Comme lui dans nos vers pris « Memphis » et «< Byzance, »2 Sur les bords de «l'Euphrate» abattu le « turban, » Et coupé, pour rimer, «les cèdres du Liban?» 3. De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées, Se revêtir encor de nos phrases usées?

Que répondrais-je alors? Honteux et rebuté, J'aurais beau me complaire en ma propre beauté, Et, de mes tristes vers admirateur unique,

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Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique : Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur, 35 Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,1

Et d'aller du récit de ta gloire immortelle

1

Critique affreux signifie-t-il ici quelque chose? Saint-Marc, V, 468. Oui, c'est une allusion aux épithètes que lui prodiguait Cotin dont il vient de parler. (Voy. tome I, Essai, no 8г.)

2 La France ne pouvait être louée ni plus délicatement, ni en vers mieux rimés. Le Brun.

3 Allusion aux mauvaises imitations qu'on avait faites de ces vers de l'ode de Malherbe à Marie de Médicis. Bross.

O combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban...!
Et que de mères à Memphis,
En pleurant, diront la vaillance
De son courage et de sa lance

Aux funérailles de leur fils...!

* Naïveté charmante, et qui ne serait pas venue à un poète moins sur que Boileau de trouver des lecteurs. Le Brun.

Habiller chez Francœur le sucre et la canelle.1
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart le silence prudent:

2

Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

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1 V. O. ou E. (en partie). Fameux épicier. Boil., 1672 à 1713. Si, dans un ouvrage adressé à une personne illustre, on doit ennoblir les petites choses, à plus forte raison n'y doit-on pas avilir les grandes ; et c'est ce que fait à tout moment, dans les épîtres de Boileau, le mélange de Cotin avec Louis-le-Grand, du sucre et de la canelle avec la gloire de ce monarque. Un mot plaisant est à sa place dans une épître familière : dans une épître sérieuse et noble, il est du plus mauvais goût. Marmontel, Encyclopédie, Grammaire et Littér., mot Épitre.

MM. Amar et Daunou répondent qu'Horace, dont le goût et le sentiment des convenances sont connus, avait dit (liv. II, ép. 1, v. 266) avant Boileau :

Ne rubeam pingui donatus munere,
et unà
Cum scriptore meo capsa porrectus aperta,
Deferar in vicum vendentem thus et odores,

Et piper, et quidquid chartis amicitur ineptis!

Le père Tarteron ( Lett. avant sa traduct. d'Horace) va plus loin. Il dit, au sujet des mèmes vers d'Horace : « C'est ce que M. Despréaux a si heureusement et si élégamment exprimé en tant de diverses manières, et en vers tout neufs et qui le seront long-temps... Habiller chez Francœur, etc. - Autour d'un caudebec j'en ai lu la préface ( Epitre VI). « Et j'ai tout Pelletier roulé dans mon office en cornets de papier » ( Sat. 111). -( Le reste, aussi peu lu que

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ceux de Pelletier, n'a fait de chez Sercy qu'un saut chez l'épicier (Art poét., ch. 11). Voilà des cornets de toutes sortes, petits et grands, et l'épicier qui

les débite. Ce n'est là ni copier ni imiter; c'est produire.

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M. Viollet-le-Duc pense au contraire, et nous sommes du même avis, que Boileau a trop répété cette plaisanterie.

2 Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. Boil., 1701 et 1713. On a publié en 1825 des Mémoires de Conrart, in-8°, qui font partie de la collection Petitot. - V.. 1672 à 1682.

J'observe sur ton nom un silence prudent.

Prudent. Cet attribut, accordé au silence, montre tout le parti que Boileau savait tirer de sa langue. Le Brun.

Malgré moi toutefois un mouvement secret Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.

Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile, 1 45.
Des vertus de mon roi spectateur inutile,

Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer
Que ma tremblante voix commence à se glacer?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle

55

N'ose le suivre aux champs de Lille et de Bruxelle, 50
Sans le chercher au nord de l'Escaut et du Rhin,
La paix l'offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les sièges, les batailles :
Qu'un autre aille en rimant renverser des 2 murailles;
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S'aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
A quoi bon, d'une muse au carnage animée,
Échauffer ta valeur, déjà trop allumée? 3
Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Pourquoi ces éléphans, ces armes, ce bagage,*
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage?
Disait au roi Pyrrhus un sage confident, 5
Conseiller très sensé d'un roi très imprudent.
Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l'on m'appelle.
Quoi faire?-L'assiéger.-L'entreprise est fort belle,

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1 Épithète trop peu usitée de nos jours. Par oubli ou par dédain, nous négligeons souvent nos richesses. Le Brun.

2 V. E. Texte de 1672 à 1713, et non pas LES, comme dans quelques éditions, telles que 1821, S.-S.; 1825, Dau.; 1828, Th.

5 Vers 53 à 58. Expressions dignes de la plus haute poésie. Clément, Obs., 110.

Mouvement bien noble et digne d'un grand poète. Le Brun. 5 Plutarque, dans la vie de Pyrrhus. Boil., 1713.

Et digne seulement d'Alexandre ou de vous:
Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous?1
Du reste des Latins la conquête est facile.—

Sans doute, on les peut vaincre2: est-ce tout?-La Sicile
De là nous tend les bras; et bientôt sans effort,
Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.-
Bornez-vous là vos pas3?-Dès que nous l'aurons prise,
Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise.
Les chemins sont ouverts : qui peut nous arrêter?— 75
Je vous entends, seigneur, nous allons tout dompter:
Nous allons traverser les sables de Libye,
Asservir en passant l'Égypte, l'Arabie,
Courir de là le Gange en de nouveaux pays,
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs,
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère;
Mais, de retour enfin, que prétendez-vous faire?
Alors, cher Cinéas, victorieux, contens,

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1 V. 1672 à 1682. On lisait le vers ci-dessous que Desmarets, p. 58, critiqua (ainsi que ceux des deux notes suivantes) comme trop familier et digne de Jodelet (voy. la remarque du vers 86):

Mais quand nous l'aurons prise, et bien que ferons-nous ?

2 V. E. 1672, 1re éd. ( Bross.).. Fort bien, ils sont à nous. 1672, 2o éd. Sans doute ils sont à vous.

1674 à 1682... Sans doute ils sont à nous.

M. de S. S. reprend mal-à-propos Brossette et Saint-Marc, quant au mot vous de la seconde leçon : c'est lui qui se trompe en lisant nous.

la critique de Desmarets.)

(Voy. à la note I

3 V.. 1672, 1re éd. ( Bross.) Nous y voilà, suivons: dès que... Id. 2o..... Vous arrêtez-vous là...? Dès que...

1674 à 1697. En demeurez-vous là...? Dès que...

En demeurez-vous là ne vaut pas mieux que nous y voilà, suivons, qui était dans la première impression de la lettre (épitre) au roi. Desmarets, 59. (Voy. ses raisons aux notes des vers 68 et 86.)

Nous pourrons rire à l'aise,1 et prendre du bon temps. –
Eh! seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Épire,
Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire?2
Le conseil était sage et facile à goûter.
Pyrrhus vivait heureux s'il eût pu l'écouter;
Mais à l'ambition d'opposer la prudence,
C'est aux prélats de cour prêcher la résidence. 3

4

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Ce n'est pas que mon cœur, du travail ennemi, Approuve un fainéant sur le trône endormi, Mais, quelques vains lauriers que promette la guerre,"

1

1 V.. 1672, 1re édit. (voy. Brossette et Desmarets, p. 60, qui critique aussi ce ton familier). Nous pourrons chanter, rire...

2 Vers 65 à 86. Ce dialogue de Cinéas et de Pyrrhus a été critiqué d'un bout à l'autre par Desmarets (p. 56 à 63) et Pradon (p. 56 et 57 )... Le début AU ROI Pyrrhus est bien bas et bien cheville, car les enfans disent euxmêmes au Roi Arthus... Il est contre le bon sens de faire faire par Cinéas tant de questions sur des projets qu'il devait très bien connaître... C'est ignorer l'histoire que de faire dire à Pyrrhus qu'il va à Rome, tandis qu'il n'allait qu'à Tarente... Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs est aussi mal parler que de dire faire trembler les Romains aux bords du Tibre. Les discours de Cinéas sont indignes de lui; on lui prête le ton familier de Jodelet envers son maître (on voit aux notes des v. 68, 73 et 84, que Boileau a profité des critiques). Desmarets refait en entier ce morceau (Desmarets refaire des vers de Boileau!). · M. Amar, moins difficile que les Desmarets, etc., s'exprime ainsi au sujet du passage critiqué: « Cette excellente leçon de sagesse donnée à l'imprudence; ce modèle achevé de dialogue...»

3 Beaucoup d'évêques vivaient alors à la cour au lieu de résider dans leurs diocèses. Boil, classique. C'est aussi la remarque de Boursault (lettres, 1709, II, 282 ), et Saint-Simon (XV, 459) en cite un (le cardinal de Polignac) qui n'avait jamais mis le pied dans son archevêché.

Voltaire (Henr., I, 33) a dit ( Clément fait à ce sujet la même observation qu'au tome I, satire x, v. 481):

Endormi sur le trône, au sein de la mollesse.

5 Im. de B... J.-J. Rousseau, Verger des Charmettes.
Mais ce n'est pas assez d'épouvanter la terre,
Il est d'autres devoirs que les soins de la guerre.

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