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Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerais à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours. 1
Je croyais, loin des lieux d'où ce prince m'exile,
Que l'Église du moins m'assurait un asile : 2
Mais en vain j'espérais y régner sans effroi;
Moines, abbés, prieurs, tout s'arme contre moi.
Par mon exil honteux la Trappe3 est ennoblie;
J'ai vu dans Saint-Denis la réforme établie;
Le Carme, le Feuillant s'endurcit aux travaux;
Et la règle déjà se remet dans Clairvaux. *
Câteaux dormait encore, et la Sainte-Chapelle
Conservait du vieux temps l'oisiveté fidèle;
Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,

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150

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1 Vers 121 et suiv. On a toujours cité comme un des chefs-d'œuvre de la la langue cet admirable épisode de la Mollesse. On l'a cité toujours aussi comme un modèle d'éloges délicats et ingénieux. Nul écrivain n'a possédé mieux que Boileau le talent de louer sans s'avilir. M. Andrieux, Cours.

2 Par ce seul vers, le poète rentre aussitôt dans son sujet. Cet art n'est connu que des maîtres. La Harpe, Lyc., XIV, 364 ( M. Amar répète cette remarque ).

Vers 133 à 146. Les détracteurs même de Boileau ont rendu hommage à la beauté de cet épisode. La Harpe, ib., VI, 239. Ce magnifique éloge est un bel exemple de la première espèce d'astéisme. Beauzée, Encycl., mot astéisme. - Après avoir observé que Boileau a loué l'Auguste de son siècle quelquefois aussi finement qu'Horace le sien, Nivernois ajoute au sujet du même éloge : Ce tour de flatterie me paraît bien heureux... Mélang., I, 240. Je trouve que les dépits, les murmures et les plaintes de la Mollesse sont les plus fines louanges du monde. Bouhours, 276.

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3 Abbaye de Saint-Bernard dans laquelle l'abbé Armand Bouthillier de Rancé a mis la réforme. Boil., 1713.

Vers 150 et 152. Les abbayes de Clairvaux et de Saint-Denis furent réformées en 1624 et 1633. Bross.

5 Que ces deux vers sont heureux! La Harpe, Lyc., XIV, 364.

D'un séjour si chéri vient encor me chasser!
O toi! de mon repos compagne aimable et sombre,
A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre?
Ah! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
Je t'admis aux plaisirs que je cachais au jour,
Du moins ne permets pas...1 La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée, *

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1 Les vers 157 à 160 sont supprimés au Boileau classique et à celui de la jeunesse, et le 161 s'y lit ainsi : O nuit! ne permets pas...

Vers 121 à 160. On a cité à la note du vers 74, chant 1 de l'Art poétique, p. 178, l'éloge qu'en fait Dubois-Fontanelle.

sans,

2 Vers 161 et 162. Boileau y avait multiplié les s pour les rendre languisà ce que dit Brossette. J.-B. Rousseau, qu'il consulta sur ce point, répondit que cet effet était plutôt produit dans les vers par les 7, et qu'il doutait que Boileau eût mis toutes les s exprès dans ceux-ci. Lettres de J.-B. Rousseau, II, 201 et suiv.

Vers 161 à 164. Portrait achevé. Rollin, Traité des Études, liv. III, chap. 3; Fontenai, I, 558 et 567 (nous donnons à la note du vers 132, chant iv, un autre éloge qu'en fait Auger).

Voici, dit Dubois-Fontanelle (I, 328), un autre exemple peut-être supérieur au précédent (celui qu'il cite dans le fragment rapporté, note du vers 132, p. 327) et à tout ce que notre langue nous offre dans ce genre.... Rien ne peint mieux que ces vers les nuances presque insensibles qui séparent le passage de la veille au sommeil; et c'est la distribution des repos multipliés dans le dernier qui en fait toute la magie. Écoutons, au sujet de cette distribution, un métaphysicien accoutumé à la réflexion et à l'analyse... En rendant compte des effets de l'imagination qui saisissent et entraînent celle des autres, de manière que, ne pouvant plus que sentir, elle ne saurait rien expliquer, il sait se rendre maitre de la sienne et raisonner sur ce qu'elle éprouve. repos du second dit Condillac (Dissertat. sur l'harmonie du style, chap. III), ralentissent les syllabes bras et œil, et le rendent sensiblement plus long que le premier. Le passage au sommeil se peint aussi dans la prononciation du mot s'endort, parce que la voix, qui s'est soutenue sur le même ton jusqu'à la syllabe s'en, baisse un peu et se laisse tomber pour ainsi dire sur la syllabe dort. »

vers,

<< Les

D'Olivet (Prosodie franç., art. 5) a aussi analysé ce morceau, en le considérant sous le point de vue de la prosodie..... « Quel est ici, dit-il, l'objet du

TOME II.

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Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'œil, et s'endort. 1

poète ? d'achever le portrait de la Mollesse. Et comment la peindrait-il mieux qu'en la supposant hors d'état de finir la phrase? Des cinq derniers mots qu'elle articule, il y en a quatre de monosyllabes, du moins ne permets pas, et si peu de chose suffit pour épuiser ce qui lui reste de forces. Ajoutons que ces deux finales, mets pas, marquent bien sa lassitude. »

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Oppressée est moins un mot qu'une image. Deux syllabes traînantes, et la dernière qui n'est composée que de l'e muet, ne font-elle pas sentir de plus en plus le poids qui l'accable? »>

« Tant de monosyllabes contribuent à me peindre l'état de la Mollesse ; et je vois effectivement sa langue glacée : je le vois par l'embarras que cause la rencontre de ces monosyllables sa, ce, sent, sa, et qui augmente encore par langue glacée, où gue gla me font presque à moi-même l'effet qu'on veut peindre. »

« Je cours au dernier vers: commençons par en marquer la quantité :

Soŭpire, étend lēs brās, fermě l'očil ět s'endōrt.

Assurément, si des syllabes peuvent figurer un soupir, c'est une longue precédée d'une brève et suivie d'une muette, soupire. Dans l'action d'étendre les bras, le commencement est prompt, mais le progrès demande une lenteur continuée, ětend lēs brās. Voici qu'enfin la Mollesse parvient où elle voulait, fĕrmě l'očil: avec quelle vitesse! trois brèves. Et de là, par un monosyllabe bref, suivi de deux longues, et s'endōrt, elle se précipite dans un profond assoupissement. - Cette analyse de d'Olivet a paru un peu subtile. M. Amar qui (1828) en rapporte le dernier alinéa s'écrie à la fin : « Vivent les grammairiens, pour commenter les poètes !

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Brossette raconte, au sujet de ce vers, une anecdote que nous examinerons, tome III, art. de ses Erreurs, no 40.

1 Vers 121 à 164. Voilà sans doute ce qu'il y a de meilleur et de mieux soutenu dans ce poème. Brienne.

CHANT III.

MAIS la Nuit aussitôt1 de ses ailes affreuses 2
Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses, 3
Revole vers Paris, et, hâtant son retour,
Déjà de Montlhéri* voit la fameuse tour. 5

1 On pourrait ici faire une petite chicane à Boileau; c'est que parfois il emploie des mots vagues et inutiles, des mots de remplissage, tels que celuici, aussitôt.., et, par une singulière habitude, ces mots se trouvent presque toujours au premier hémistiche. M. Andrieux, Cours.

Pour justifier cette dernière critique, M. Andrieux cite trois expressions que nous indiquerons aux notes des vers 22, 24 et 93, et il ajoute : Les vers suivans (2 à 18) sont parfaits; on ne peut y changer un seul mot sans risquer de changer une pensée... Ce hibou est-il assez triste, lui qui attriste de sa joie ses voisins?

2 On a vu (p. 206, note du vers 159) qu'affreux est une des épithètes dont les ennemis de Boileau lui reprochent un trop fréquent emploi. Ici, selon l'observation de M. Amar, il est pris dans le véritable sens de son étymologie latine ater, noir. Ajoutons que c'est probablement dans ce vers et non pas dans le 64° de la satire vir (tome I), comme le prétendait Clément, que Boileau aura cherché à imiter le nox atra de Virgile.

3

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Campagnes vineuses, épithète d'un excellent choix. Le Brun. - La Harpe (Lyc., VIII, 409) approuve aussi cette épithète, quoique vieillie parce que Boileau s'en est servi dans un genre de poème qui admet le familier. – Elle est également citée comme excellente par Clément, dans le fragment rapporté page 326, note du vers 132. « Les campagnes vineuses', ajoutet-il ensuite, sont une expression aussi riche, aussi neuve que juste. — Enfin, Delille (Géorg., II, à la fin) a dit aussi les côtes vineuses.

4 V. O. 1674 à 1698. Monlhéry, sans t (voy. p. 279, note 5).

5 V. O. ou E. Tour très haute, à six lieues de Paris, sur le chemin d'Orléans. Boil., 1713, in-12. – C'est aussi la distance indiquée par le Dictionnaire de Mac-Carthy. L'in-4° de 1713, suivi par tous les éditeurs (à l'exception de 1825, Aug.), porte cinq lieues.

« On ne sait du tout ici ce qu'il veut dire, ni d'où il vient, ni où il va. Les

1

Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue,
Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue, 1
Et, présentant de loin leur objet ennuyeux,
Du passant qui le fuit, semblent suivre les yeux. 2
Mille oiseaux effrayans, mille corbeaux funèbres
De ces murs désertés habitent 3 les ténèbres.
Là, depuis trente hivers, un hibou retiré
Trouvait contre le jour un refuge assuré.
Des désastres fameux ce messager fidèle
Sait toujours des malheurs la première nouvelle;
Et, tout prêt d'en semer le présage odieux,
Il attendait la Nuit dans ces sauvages lieux. 5

པ་

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campagnes vineuses des Bourguignons et la tour de Montlhéry sont bien loin l'une de l'autre ; ce n'est pas là garder l'unité de scène, Brienne,

1 On peut bien dire comme Voiture qu'une haute tour allonge son cou dans la nue, mais je doute qu'on en puisse dire autant des murs de cette tour. Ducatiana, dans Saint-Marc, V, 191.—S'allongent, mot qui donne du mouvement, de la vie, à ce vers, et le rend très pittoresque. Le Brun.— Harmonie imitative. Batteux, I, 145 (voy. épît. v, p. 67, note du vers 134 ). — Le dernier hémistiche est très prolongé, et l'e muet du mot nue fait comme la vue qui se perd dans l'éloignement. Clément, Nouv. obs., 386 (il fait aussi, on va le voir, l'éloge de l'inversion de ce vers).

-

2 L'image est frappante de vérité : les objets ennuyeux semblent toujours vous suivre. Le Brun.

Si vous mettez, dit Clément, après des remarques sur les avantages de l'inversion (on les rapporte à la note du vers 26), si vous mettez :

Semble suivre les yeux du passant qui le fuit...

S'allongent dans les airs sur la cime d'un roc,

vous détruisez toute la beauté et toute l'harmonie de ces images, et vous faites de deux excellens vers deux vers plus que médiocres. Clément, Lett. IX, p. 335.

3 V. E. On lit habitaient, au Boileau classique.

4 Semer le présage, expression nouvelle. Le Brun.

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5 Toute cette fiction du Hibou est fort ridicule. Brienne. Voici une admirable fiction! La Nuit apparemment était favorable à ceux qui voulaient tirer le lutrin de la sacristie pour le placer dans le chœur ; cependant elle

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