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Le vers est en déroute, et le poète à sec. 1

Encor si tes exploits, moins grands et moins rapides, Laissaient prendre courage à nos muses timides, Peut-être avec le temps, à force d'y rêver,

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Par quelque coup de l'art nous pourrions nous sauver.
Mais, dès qu'on veut tenter cette vaste carrière,
Pégase s'effarouche et recule en arrière; 2
Mon Apollon s'étonne; et Nimègue est à toi,
Que ma muse est encore au camp devant Orsoi. 3
Aujourd'hui toutefois mon zèle m'encourage :
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux passage. 30
Un trop juste devoir veut que nous l'essayons. *
Muses, pour le tracer, cherchez tous vos crayons:
Car, puisqu'en cet exploit tout paraît incroyable,
Que la vérité pure y ressemble à la fable,

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1 Vers 19 et 20. La difficulté vaincue rend ces deux vers doublement plaisans; j'ai osé dire de la difficulté vaincue qu'elle était une dixième muse. Le Brun.

Vers 5 à 20. Selon Desmarets, p. 66, et Sainte-Garde, p. 6, tout ce début est mauvais à cause de sa discordance avec le ton élevé que le poète va prendre. M. Amar se borne à reprocher à Boileau de trop insister sur la difficulté d'enchâsser des noms barbarés dans ses vers, et d'y attacher trop de prix. On vient de voir que Le Brun est d'un avis différent, et tel est aussi celui de M. F. (Mercure, 7 oct. 1809, p. 543.) — Enfin, Voltaire (Disc. prélim. du poème de Fontenoi ) pense que Boileau a pu, dans une épître, mêler le plaisant à l'héroïque et que ce mélange a même de la grâce (voy. note du vers 152).

2 Pégase volait, et rien de ce qui vole ne recule en volant... L'auteur a fait la même faute lorsqu'il dit ailleurs (Art poét., ch. 1, v. 5) que Pégase est rétif. Desmarets, 66.

5 Orsoi pris le 3 juin, et Nimègue le 6 juillet 1672. Bross.

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Ire. Le malheur sera grand, si nous nous y noyons.

2o. Il fait beau s'y noyer si nous nous y noyons.

TOME II.

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De tous vos ornemens vous pouvez l'égayer.
Venez donc, et surtout gardez bien d'ennuyer:
Vous savez des grands vers les disgrâces tragiques;
Et souvent on ennuie en termes magnifiques. 1

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Au pied du mont Adule, entre mille roseaux, Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux, 40 Appuyé d'une main sur son urne penchante, Dormait au bruit flatteur de son onde naissante, Lorsqu'un cri tout-à-coup suivi de mille cris,

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Remarque très plaisante, et malheureusement trop vraie. Le Brun. 2 Montagne où le Rhin prend sa source. Boil., 1672 à 1713. Virgile, Énéide, VIII, 31 à 34.

Huic deus ipse loci, fluvio Tiberinus amœno,
Populeas inter senior se attollere frondes
Visus. Eum tenuis glauco velabat amictu

Carbasus, et crines umbrosa tegebat arundo.

MM. Michaud (note sur la traduction de Delille) et Amar trouvent l'expression entre mille roseaux un peu vague et lui préfèrent crines umbrosa tegebat arundo. Mais, dit M. de S. S., la première expression n'est pas plus vague que les mots populeas inter frondes, auxquels il faut plutôt la com

parer.

5 Vers 39 à 42. C'est par le nombre qui y règne, qu'un vers est doux, coulant, sonore. Ces quatre vers sont par exemple très coulans. Encyclopédie, mot Nombre (voy. aussi note du vers 43).

Quand Boileau nous dit Au pied, etc. (mêmes vers), l'oreille attentive jouit de l'harmonie des sons qu'elle entend; l'imagination est arrêtée devant le tableau qu'on lui montre, tandis que la réflexion admire la savante méthode qui en a disposé les parties avec tant de goût. M. Laromiguière, Leçons de philos., 1826, I, 44.

Ces vers parfaits (vers 39 et suiv.), ces vers admirables par la richesse d'expression, par le choix des épithètes, et par la cadence, ces vers dignes de Virgile, valent mieux pour un connaisseur que trois ou quatre cents vers d'une facilité quelquefois brillante, et le plus souvent fautive, et de plus tout le reste de l'épisode répond à ce début. La Harpe, Lyc., VIII, 205.

4 Cette savante répétition des i produit ici un son monotone et terrible pour l'oreille. Le Brun.

Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.
Il se trouble, il regarde, et partout sur ses rives 2
Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives, 3
Qui, toutes accourant vers leur humide roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi. 5
Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire,

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Vers 39 à 43. Quelle rapidité succède dans ce vers (Lorsqu'un cri, etc.) à la molle nonchalance des vers précédens. De Belloy, VI, 61 (voy. aussi la note du vers 46).

1 V. O. ou E. (en part.). 1672 sép., 1674, in-4o et pet. in-12; 1675, pet. in-12 (id. 1674 Dur. et 1675 A.) Vint... à 1674, gr. in-12, il y a déjà vient. 2 Il se trouble, il regarde, beau mouvement. Le Brun.

3 Vers 39 à 46. « Quelle douceur dans cette période! Le second vers (le 40°) coupé avant le premier hémistiche par ces mots : le Rhin tranquille, imite heureusement le repos de ce dieu. Le reste du vers, où il y a quatre syllabes longues, est coulant et soutenu. Le troisième (le 41°) est plein de mollesse, et tombe négligemment par trois longues. Le dernier (le 42°) est enchanteur par l'expression. Il est presque tout composé de longues. Outre cela, le premier hémistiche a trois pieds égaux qui rendent très bien cette douce monotonie du bruit de l'eau qui endort. Le second hémistiche coule et entraîne doucement la voix pour marquer le cours paisible de ce fleuve. Voyez comme cette mélodie tranquille est interrompue brusquement, pour représenter le sursaut d'une personne éveillée par un grand bruit : Lorsqu'un cri, etc. v. 43 à 46.

N'est-on pas obligé de précipiter son haleine et sa voix pour prononcer ces vers où il n'y a presque rien que des syllabes brèves? Peut-on ne pas sentir le contraste du mouvement lent et calme des premiers »? Clément, N. obs., 362. Voltaire, Henriade, II, 181 à 184:

Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable:
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités.

Humide roi épithète ridicule en français. Saint-Marc, V, 476. Le Brun n'est point de cet avis. Vers leur humide roi... On ne l'avait point encore dit, s'écrie-t-il : cet hémistiche est glissé bien heureusement.

5 Affreux et effroi répandent bien de la terreur ! Il répète en bien des endroits le mot affreux. Pradon, 60.

6 Il serait bien plus glorieux pour le roi d'entraîner la victoire que de se

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A de ses bords fameux flétri l'antique gloire;
Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours,
D'un joug déjà prochain menacent tout son cours.
Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête
De cent foudres d'airain tournés contre sa tête.
Il marche vers Tholus et tes flots en courroux
Au prix de sa fureur sont tranquilles et doux.
Il a de Jupiter la taille et le visage;
Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords. 5

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laisser conduire par elle. Ce sont des délicatesses que Boileau n'a point vues. Pradon, 60.

'Molière n'approuva pas ce vers, parce qu'il signifie que la présence du roi a déshonoré le fleuve du Rhin. L'auteur lui représenta que ce sont les naïades de ce fleuve qui parlent du héros de la France comme d'un ennemi qui veut soumettre à son joug leur empire; qu'ainsi il est naturel qu'elles disent que Louis a flétri l'ancienne gloire du Rhin. Mais Molière ne se rendit pas. Bross. M. Amar paraît approuver la critique de Molière, qu'au contraire M. Daunou trouve étrange, et qui, au reste, pourrait bien avoir été imaginée par Brossette.

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Flétri est peut-être trop fort: un héros peut faire oublier la gloire par une gloire plus grande, mais il ne la flétrit pas. Le Brun.

2 Lieu sur la rive du Rhin (près du fort de Skinck), où était un bureau (Tol-huis) de péage. Bross.

3 Jupiter n'a jamais été représenté ni beau ni de belle taille par les poètes païens. Boileau n'est pas pardonnable de comparer un héros chrétien à Jupiter que nul ne vit jamais. Desmarets, 68.

C'est une imitation de deux vers d'Homère (Iliade, II, 478) traduits ainsi par L. Racine (Réflex. sur la poés.) :

Il a de Jupiter le front et les regards,

La force de Neptune et la taille de Mars.

4 (Ce romain) Jules César. Boil., 1672 à 1713.

Temps employé pour ce passage (vers 59); critique et réponse... Voy. tome IV, lett. du 8 avril 1703, à Brossette.

5 Vers 39 à 60. Les Avant-Scènes peuvent avoir plus ou moins d'étendue,

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Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles; Le feu sort à travers ses humides prunelles. 1 C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois Ait appris à couler sous de nouvelles lois; Et de mille remparts mon onde environnée De ces fleuves sans nom suivra la destinée? Ah! périssent mes eaux! ou par d'illustres coups, Montrons qui doit céder des mortels ou de nous. A ces mots essuyant sa barbe limoneuse,

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suivant la nature du sujet et l'espèce de poème dans lequel elles sont employées. Boileau nous présente un exemple de précision et un modèle de grande poésie dans son épître sur le passage du Rhin par l'armée de Louis XIV. Il veut chanter cet évènement : il remonte à la source même du fleuve pour venir au lieu où le passage s'est effectué; et embouchant la trompette héroïque, il en tire ces sons doux et harmonieux qui seront bientôt remplacés par ceux qui accompagnent la guerre, le carnage et la mort. Dubois-Fontanelle, II, 102.

Les vers de Boileau dans ce couplet ont toute l'énergie des belles tirades de Corneille, et leurs épithètes ont quelque chose qui rappelle les riches descriptions d'Homère. M. P., Mercure, pluv. x11, p. 355. - Voy. aussi M. Viennet, p. 269.

1 Humides prunelles se dit des yeux prêts à verser des larmes; il ne peut s'appliquer au Rhin, uniquement parce que ce dieu règne sur un fleuve Saint-Marc, V, 476.

Imit. de B... M. Parseval-Grandmaison (Amours épiques):

Le feu sort à travers son humide prunelle.

2 V. 39 et suiv. Cette image, que l'auteur forme du dieu du fleuve, n'a point d'art et est inutile. Sainte-Garde, 7.

3 Limoneuse... Est-ce que le dieu du Rhin est le dieu d'un marais bourbeux? Desmarets, 68.

L'image grotesque du fleuve essuyant sa barbe, choque la décence. Marmontel, Élém. littér., III, 250 (copié par Mermet, 42). — Boileau ne dit point essuyant sa barbe, mais essuyant sa barbe limoneuse; et il y a trop peu d'équité à omettre en citant ce trait, l'épithète qui l'ennoblit et le rend digne du style poétique. M. Daunou, 1809 (copié par MM. de S.-S. et Planc.) et

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