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Dès-lors à la richesse il fallut renoncer:
Ne pouvant l'acquérir, j'appris à m'en passer;
Et surtout redoutant la basse servitude,

La libre vérité fut toute mon étude. 1

Dans ce métier funeste à qui veut s'enrichir,

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Qui l'eût cru?2 que pour moi le sort dût se fléchir?
Mais du plus grand des rois la bonté sans limite,3
Toujours prête à courir au-devant du mérite,
Crut voir dans ma franchise un mérite inconnu,
Et d'abord de ses dons enfla mon revenu.
La brigue ni l'envie à mon bonheur contraires,
Ni les cris douloureux de mes vains adversaires,
Ne purent dans leur course arrêter ses bienfaits. 5
C'en est trop mon bonheur a passé mes souhaits.
Qu'à son gré désormais la fortune me joue;

Imitat... Regnier, satire vi, vers 177, avait déjà dit :

Ha! que c'est chose belle et fort bien ordonnée,
Dormir dedans un lit la grasse matinée!

1 V. O. 1674 à 1701. Fut mon unique étude.

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2 Ponctuation de 1674 à 1701. Elle nous paraît préférable à la virgule mise depuis 1713.

5 Limite ne se dit point au singulier. Pradon, K., 64.

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Voy. la note

5 On trouve dans ce vers et les deux précédens l'artifice de style qu'on a fait remarquer dans la note du vers 92. Voilà les bienfaits animés; les voilà qui courent: l'image est hardie, mais elle est si juste et l'expression si naturelle, qu'il faut réfléchir sur la cause du plaisir que donnent ces vers avant de la trouver. Ce qui rend ici cette figure plus parfaite, c'est qu'elle a déjà été annoncée d'une manière délicate ; c'est que Boileau venait de dire : Mais du plus grand des rois la bonté, etc. (v. 125 et 126)... Quand on a vu courir la bonté du roi, la course de ses bienfaits en paraît la suite naturelle. Ainsi se prépare une hardiesse par une hardiesse moins grande; ainsi dans une période, une page entière d'un grand écrivain, les mots s'appellent l'un l'au

On me verra dormir au branle de sa roue.
Si quelque soin encore agite mon repos,
C'est l'ardeur de louer un si fameux héros.

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tre, et se prêtent par leur enchaînement un mutuel appui. Voilà encore un des secrets du style de Boileau, l'art des préparations, celui de tous qu'on néglige le plus aujourd'hui, et qui peut-être est le plus nécessaire, comme il est le plus difficile. M. Fabre, Observat. (Voy. épît. ix, note du vers 58, et épît, IV, note du vers 121).

M. Amar loue aussi cette expression par laquelle Boileau anime les bienfaits. Nous les avons déjà vus, dit-il, aller en foule chercher le mérite (épît. 1, v. 156); ils courent ici (v. 126 et 131) au-devant du mérite... — Personnifier ainsi le bienfait, dit Le Brun, en lui prêtant, pour ainsi dire, des ailes, c'est louer le monarque d'une manière bien neuve.

1 Au branle de sa roue, expression qui fortifie la pensée. Le Brun. Beau vers, et non pas maxime. M. F., Merc. 7 oct. 1809 (voy. tome I, Essai, n° 109).

« On sent assez, dit M. de Jaucourt, ce que c'est qu'une pensée brillante; son éclat vient le plus souvent du choc des idées. » Il cite alors les vers 133 et 134, et il ajoute : « Les secousses de la fortune renversent les empires les plus affermis, et elles ne font que bercer le philosophe. » Encyclop., mot pensée.

Cette observation a été copiée dans Batteux, tome IV, p. 68..... Ce dernier cite ailleurs (tome I, p. 146) les deux mêmes vers comme un exemple de ces cadences sensibles que nos bons poètes se sont plu à faire pour produire une harmonie imitative. Ce n'est pas, ajoute-t-il, qu'on veuille dire par là que Boileau, Racine, etc., aient compté, pesé et mesuré chacune de leurs syllabes. « Je ne les en soupçonne pas, dit-il avec d'Olivet (Prosod. française, art. 5), non plus qu'Homère ni Virgile, quoique leurs interprètes soient en possession de le dire. Mais ce que je croirais volontiers, c'est que la nature, quand elle a formé un grand poète, le dirige par des ressorts cachés, qui le rendent docile à un art dont il ne se doute point, comme elle apprend au petit enfant du laboureur, sur quel ton il doit prier, appeler, caresser se plaindre. »

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Mêmes vers 133 et 134. Imitation (fort embellie, dit M. Amar) de Corneille (Illusion comique, acte V, sc. 5). Bross.

Ainsi de notre espoir la fortune se joue :

Tout s'élève ou s'abaisse au branle de sa roue.

Baron dans l'Andrienne (acte III, sc. 9), représentée en 1703, a copié

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Ce soin ambitieux me tirant par l'oreille, 1
La nuit, lorsque je dors, en sursaut me réveille;
Me dit: 2 que ces bienfaits, dont j'ose me vanter,
Par des vers immortels ont dû se mériter.

C'est là le seul chagrin qui trouble encor mon âme.
Mais si, dans le beau feu du zèle qui m'enflamme,
Par un ouvrage enfin des critiques vainqueur
Je puis sur ce sujet satisfaire mon cœur,
Guilleragues, plains-toi de mon humeur légère,
Si jamais, entraîné d'une ardeur étrangère,
Ou d'un vil intérêt reconnaissant la loi,

Je cherche mon bonheur autre part que chez moi.

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sans cérémonie le vers 133 de Boileau : Regnard moins hardi, a imité comme il suit, les vers 133 et 134 ( Légataire, IV, 8, représenté en 1708):

Avec quelle constance, au branle de sa roue,
La fortune ennemie et me berce et me joue!

Enfin, Parny a développé aiusi la même pensée ( Ma retraite, Élég., III):

Je suis au port, et je me ris

De ces écueils où l'homme échoue.

Je regarde avec un souris

Cette fortune qui se joue

En tourmentant ses favoris;
Et j'abaisse un œil de mépris
Sur l'inconstance de sa roue.

Pour dire un soin qui m'excite, qui m'anime... Ce tirement d'oreilles est bien tiré et bien bas. Pradon, 64.

2 V. E. Ponctuation de 1674 à 1713. Brossette et à son imitation les autres éditeurs, excepté Souchay (1740), ont supprimé, et peut-être mal-à-propos, les deux points.

3 V. E. Texte de 1674 à 1713. On lit ses (peut-être est-ce une faute ty-. pographique) dans quelques éditions, telles que 1821, S. S.; 1825, Dau...

EPITRE VI.'

A MONSIEUR DE LAMOIGNON,

AVOCAT GÉNÉRAL. 2

OUI, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique asile. 3
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau?
C'est un petit village ou plutôt un hameau,

1 Composée en 1677 après l'épître vi. Bross. partie dans son épître à M*** (III, 318).

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La Harpe fait l'éloge de l'épître vi, en lui comparant celle de Colardeau à Duhamel. Nous voyons, dit-il, dans celle de Boileau, un choix bien plus heureux d'idées et d'images; et quant à l'espèce de sensibilité que ce genre exige, n'est-elle pas dans ces vers (39 à 42) si bien imités d'Horace: O fortuné séjour, etc.? Lyc. XIII, 372. (On a aussi vu, p. 4, n. iv, qu'il met cette épitre au-dessus des meilleures d'Horace.)

2 Chrétien-François de Lamoignon, depuis président à mortier (en 1698), fils de Guillaume de Lamoignon, premier président du parlement de Paris. Boil., 1713.

V. O. 1683 (id. 1683 A, 1685 A, 1686 A et C, 1688 et 1689 A, 1692, C.), Lamognon sans i; et il en est de mème dans les vers 1, 21, 129, 153, et dans la note du vers 152 et l'avis du libraire (après le privilège ). 3 Imit. de B... Clément, sat. vii, v. 31, 32 et 34.

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C'est là qu'en des vallons de Pomone chéris,
Non loin des murs bruyans du superbe Paris...
J'oublie et le tumulte et l'ennui de la ville.

Hautisle, proche la Roche-Guyon. Boil., 1683 à 1698. — Proche et la Roche forment une consonnance que Brossette dit avoir fait remarquer à Boileau. Celui-ci mit en 1701: Hautile, petite seigneurie près de la

* Voilà une seconde manière d'écrire ce mot; on en verra d'autres au tome IV, pièces justif. 48, 51, 53 et 100.

Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,

D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines. 1
La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,
Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever,
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D'une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés. 2
Le village au-dessus forme un amphithéâtre :
L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre;
Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.

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Roche-Guyon, appartenant à mon neveu l'illustre M. Dongois.» A quoi on ajoute dans l'édition de 1713: «< greffier en chef du parlement.

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L'épithète illustre a choqué Voltaire ( Epitre à Boileau, note du vers 11), et D'Alembert. Ce dernier se récrie sur ce que Boileau l'accorde si facilement à un simple greffier. Hist. de l'Acad., III, 27. — Ils avaient sans doute oublié qu'on donnait alors cette épithète à tout individu jouissant de quelque réputation. C'est ce que nous apprend Furetière, qui, après avoir qualifié d'illustre une lingère, ajoute: « Je dis illustre, et ne vous étonnez pas, car le siècle est si fertile en illustres qu'il y en a qui ont acquis ce titre à faire des mouches. Roman bourgeois (publié en 1666 ), édit. 1704, p. 61. Illustre est aussi employé dans le même sens, soit par Furetière (ib., p. 136, 137, 150), soit par Molière (Pourceaugnac, acte I, scène 2 ), etc. Quant à Dongois, voy. tome I, Essai, n. 12 et ses renvois.

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1 Pradon a critiqué ce vers (Même Essai, no 112).

2 Ovide, élég. de Nuce, vers 1 et 2.

Nux ego juncta viæ, cum sim sine crimine vitæ,

A populo saxis prætereunte petor.

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Vers (11 et 12) pitoyables: qu'est-il besoin que le passant jette des pierres pour remplir ses poches de noix...? D'ailleurs les saules non plantés sont une autre cheville. Chapat, 79 (il refait les deux vers). Ces détails sont d'une naïveté charmante. Le saule, comme on sait, ne se plante point, et il n'y a pas d'écolier dont le caillou n'insulte le noyer. Le Brun.

3 Ce roc est une espèce de craie blanche très tendre. Il existe encore quel

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