Obrázky na stránke
PDF
ePub

enfoncé le premier, le second et tiers corps de garde, et le quastriesme, et puis le reste, et, ayant faict du tout abandonner les trenchees, les chasserent iusques dans les navires; et Octavius mesme se sauva à Dyrrachium, où estoit Pompeius.' le n'ay point memoire pour cett' heure d'avoir veu aulcun aultre exemple, où les assiegez battent en gros les assiegeants, et gaignent la maistrise de la campaigne; ny qu'une sortie ayt tiré en consequence une pure et entiere victoire de battaille.

CHAPITRE XXXV.

DE TROIS BONNES FEMMES.

Il n'en est pas à douzaines, comme chascun sçait, et notamment aux debvoirs de mariage; car c'est un marché plein de tant d'espineuses circonstances, qu'il est malaysé que la volonté d'une femme s'y maintienne entiere long temps: les hommes, quoyqu'ils y soyent avecques un peu meilleure condition, y ont trop affaire. La touche d'un bon mariage, et sa vraye preuve, regarde le temps que la societé dure; si elle a esté constamment doulce, loyale, et commode. En nostre siecle, elles reservent plus communement à estaler leurs bons offices et la vehemence de leur affection, envers leurs maris perdus; cherchent au moins lors à donner tesmoignage de leur bonne volonté : tardif tesmoignage et hors de saison! Elles preuvent plustost par là qu'elles ne les aiment que morts: la vie est

1. CESAR, de Bello civili, III, 9. (J. V. L.)

2

pleine de combustion; et le trespas, d'amour et de courtoisie. Comme les peres cachent l'affection envers leurs enfants; elles volontiers, de mesmes, cachent la leur envers le mary, pour maintenir un honneste respect. Ce mystere n'est pas de mon goust: elles ont beau s'escheveler et s'esgratigner, ie m'en voys à l'aureille d'une femme de chambre et d'un secretaire : « Comment estoient ils? Comment ont ils vescu ensemble ? » Il me souvient tousiours de ce bon mot, iactantius mærent, quæ minus dolent leur rechigner est odieux aux vivants, et vain aux morts. Nous dispenserons volontiers qu'on rie aprez, pourveu qu'on nous rie pendant la vie. Est ce pas de quoy resusciter de despit, qui m'aura craché au nez pendant que l'estois, me vienne frotter les pieds quand ie ne suis plus? S'il y a quelque honneur à pleurer les maris, il n'appartient qu'à celles qui leur ont ri: celles qui ont pleuré en la vie, qu'elles rient en la mort, au dehors comme au dedans. Aussi, ne regardez pas à ces yeulx moites et à cette piteuse voix; regardez ce port, ce teinct et l'embonpoinct de ces ioues soubs ces grandes voiles; c'est par là qu'elle parle françois : il en est peu de qui la santé n'aille en amendant, qualité qui ne sçait pas mentir. Cette cerimonieuse contenance ne regarde pas tant derriere soy, que devant; c'est acquest, plus que payement : en mon enfance, une honneste et tresbelle dame qui vit

1. Celles qui sont les moins affligées, pleurent avec le plus d'ostentation. (TACITE, Ann., II, 77.) Il y a dans Tacite : « Periisse Germanicum, nulli jactantius mœrent, quam qui maxime lætantur. » (C.)

2. On a mis, dans quelques éditions, qu'on pleure après. Ce changement n'étoit point, nécessaire. Dispenser signifioit autrefois permettre, comme on peut voir dans Nicot; et c'est dans ce sens que Montaigne l'emploie ici : « Nous permettrons volontiers à nos femmes de rire après notre mort, pourvu qu'elles nous rient pendant notre vie. » C'est là précisément la pensée de Montaigne, qui est plaisante, et dans le fond très-raisonnable. (C.)

encores, veufve d'un prince, avoit ie ne sçais quoy plus en sa parure qu'il n'est permis par les loix de nostre veufvage : à ceulx qui le luy reprochoient, « C'est, disoit elle, que ie ne practique plus de nouvelles amitiez, et suis hors de volonté de me remarier. »

Pour ne disconvenir du tout à nostre usage, i'ai icy choisi trois femmes qui ont aussi employé l'effort de leur bonté et affection autour la mort de leurs maris : ce sont pourtant exemples un peu aultres, et si pressants, qu'ils tirent hardiment la vie en consequence.

Pline le ieune avoit, prez d'une sienne maison en Italie, un voisin merveilleusement tormenté de quelques ulceres qui lui estoient survenues ez parties honteuses. Sa femme, le veoyant si longuement languir, le pria de permettre qu'elle veist à loisir et de prez l'estat de son mal, et qu'elle luy diroit plus franchement qu'aulcun aultre ce qu'il avoit à en esperer. Apres avoir obtenu cela de luy, et l'avoir curieusement consideré, elle trouva qu'il estoit impossible qu'il en peust guarir, et que tout ce qu'il avoit à attendre, c'estoit de traisner fort long temps une vie douloureuse et languissante: si luy conseilla, pour le plus seur et souverain remede, de se tuer; et le trouvant un peu mol à une si rude entreprinse : « Ne pense point, luy dict elle, mon amy, que les douleurs que ie te veois souffrir ne me touchent autant qu'à toy, et que pour m'en delivrer ie ne me vueille servir moy mesme de cette medecine que ie t'ordonne. Ie te veulx accompaigner à la guarison, comme i'ay faict à la maladie : oste cette crainte, et pense que nous n'aurons que plaisir en ce passage qui nous doibt delivrer de tels torments: nous nous en irons

1. Epist., VI, 24.

heureusement ensemble. » Cela dict, et ayant rechauffé le courage de son mary, elle resolut qu'ils se precipiteroient en la mer par une fenestre de leur logis qui y respondoit. Et pour maintenir iusques à sa fin cette loyale et vehemente affection de quoy elle l'avoit embrassé pendant sa vie, elle voulut encores qu'il mourust entre ses bras : mais de peur qu'ils ne luy faillissent, et que les estreinctes de ses enlacements ne veinssent à se relascher par la cheute et la crainte, elle se feit lier et attacher bien estroictement avecques luy par le fauls du corps; et abandonna ainsi sa vie pour le repos de celle de son mary. Celle là estoit de bas lieu; et parmy telle condition de gents, il n'est pas si nouveau d'y veoir quelque traict de rare bonté :

1

Extrema per illos

Justitia excedens terris vestigia fecit."

Les aultres deux sont nobles et riches, où les exemples de vertu se logent rarement.

Arria, femme de Cecina Paetus, personnage consulaire, feut mere d'un' aultre Arria, femme de Thrasea Paetus, celuy duquel la vertu feut tant renommee du temps de Neron, et, par le moyen de ce gendre, mere grand' de Fannia; car la ressemblance des noms de ces hommes et femmes, et de leurs fortunes, en a fait mesconter plusieurs. Cette première Arria, Cecina Paetus, son mary, ayant esté prins prisonnier par les gents de l'empereur Claudius, aprez la desfaicte de Scribonianus, duquel il

1. Par le milieu du corps. (E. J.)

2.

La justice, fuyant nos coupables climats,
Sous le chaume innocent porta ses derniers pas.

(VIRG., Géorg., II, 473, trad. de Delille.)

3. Tout ce long récit est extrait d'une lettre de Pline le jeune, III, 16. (C.)

avoit suyvi le party, supplia ceulx qui l'emmenoient prisonnier à Rome de la recevoir dans leur navire, où elle leur seroit de beaucoup moins de despense et d'incommodité qu'un nombre de personnes qu'il leur fauldroit pour le service de son mary; et qu'elle seule fourniroit à sa chambre, à sa cuisine, et à touts aultres offices. Ils l'en refuserent: et elle, s'estant iectee dans un batteau de pescheur qu'elle loua sur le champ, le suyvit en cette sorte depuis la Sclavonie. Comme ils feurent à Rome, un iour, en presence de l'empereur, lunia, veufve de Scribonianus, s'estant accostee d'elle familierement pour la societé de leurs fortunes, elle la repoulsa rudement avecques ces paroles : « Moy, dict elle, que ie parle à toy, ni que ie t'escoute! à toy, au giron de laquelle Scribonianus feut tué! et tu vis encores! >> Ces paroles, avecques plusieurs aultres signes, feirent sentir à ses parents qu'elle estoit pour se desfaire elle mesme, impatiente de supporter la fortune de son mary. Et Thrasea, son gendre, la suppliant sur ce propos de ne se vouloir perdre, et luy disant ainsi : « Quoy! si ie courois pareille fortune à celle de Cecina, vouldriez vous que ma femme, vostre fille, en feist de mesme ? »> « Comment doncques? si ie le vouldrois ! respondit elle : ouy, ouy, ie le voudrois, si elle avoit vescu aussi longtemps et d'aussi bon accord avecques toy, que i'ay fait avecques mon mary.» Ces responses augmentoient le soing qu'on avoit d'elle, et faisoient qu'on regardoit de plus prez à ses deportements. Un iour, aprez avoir dict à ceulx qui la gardoient, «< Vous avez beau faire, vous me pouvez bien faire plus mal mourir, mais de me garder de mourir, vous ne sçauriez,» s'eslancant furieusement d'une chaire où elle estoit assise, elle s'alla de toute sa force chocquer la teste contre la paroy voisine; duquel coup estant cheute de son long esvanouïe, et

« PredošláPokračovať »