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LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

DE L'UTILE ET DE L'HONNESTE.

Personne n'est exempt de dire des fadaises: le malheur est de les dire curieusement :

Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit.1

Cela ne me touche pas les miennes m'eschappent aussi nonchalamment qu'elles le valent; d'où bien leur prend : ie les quitterois soubdain, à peu de coust qu'il y eust, et ne les achette ny ne les vends que ce qu'elles poisent; ie parle au papier, comme ie parle au premier que ie rencontre. Qu'il soit vray, voicy dequoy.

A qui ne doibt estre la perfidie detestable, puisque Tibere la refusa à si grand interest? On luy manda d'Allemaigne que, s'il le trouvoit bon, on le desferoit d'Arminius par poison: c'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là. Il feit response, « que le peuple

1. Cet homme va me dire, avec grande emphase, de grandes sottises. TÉRENCE, Heaut., act. III, sc. v, v. 8.)

2. TACITE, Annal., II, 88. (C.)

1

romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main; non par fraude et en cachette: il quitta l'utile pour l'honneste. C'estoit, me direz vous, un affronteur : le le crois; ce n'est pas grand miracle à gents de sa profession : mais la confession de la vertu ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt; d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, au moins il s'en couvre pour s'en parer.

Nostre bastiment, et public et privé, est plein d'imperfection mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesme; rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est cimenté de qualitez maladifves: l'ambition, la ialousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes; voire et la cruauté, vice si desnaturé; car, au milieu de la compassion, nous sentons au dedans ie ne sçais quelle aigredoulce poincte de volupté maligne à veoir souffrir aultruy, et les enfants la sentent :

Suave mari magno, turbantibus æquora ventis.
E terra magnum alterius spectare laborem :

desquelles qualitez qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales conditions de nostre vie. De mesme, en toute police, il y a des offices necessaires, non seulement abiects, mais encores vicieux les vices y treuvent leur reng, et s'employent à la cousture de nostre

1. Non fraude, neque occultis, sed palam et armatum, populum romanum hostes suos ulcisci. (TACITE, Annal., II, 88.) (C.)

2. Il est doux, lorsque les vents bouleversent les mers, de contempler du rivage le péril des vaisseaux battus par la tempête. (LUCRÈCE, II, 1.)

liaison, comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité, il fault laisser iouer cette partie aux citoyens plus vigoreux et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces aultres anciens sacrifierent leur vie pour le salut de leur pays; nous aultres, plus foibles, prenons des roolles et plus aysez et moins hazardeux. Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gents plus obeïssants et plus soupples.

Certes, l'ay eu souvent despit de veoir des iuges attirer, par fraude et faulses esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son faict, et y employer la piperie et l'impudence. Il serviroit bien à la iustice, et à Platon mesme qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens plus selon moy : c'est une iustice malicieuse ; et ne l'estime pas moins blecee par soy mesme, que par aultruy. He respondis, n'y a pas long temps, qu'à peine1 trahirois ie le prince pour un particulier, qui serois tresmarry de trahir aulcun particulier pour le prince : et ne bais pas seulement à piper, mais ie hais aussi qu'on se pipe en moy; ie n'y veulx pas seulement fournir de matiere et d'occasion.

En ce peu que l'ay eu à negocier entre nos princes, en ces divisions et subdivisions qui nous deschirent auiourd'huy, i'ay curieusement evité qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gents du

1. Que difficilement je trahirois le prince pour un particulier, moi qui serois très fâché, etc. (J. V. L.)

2. Entre le roi de Navarre, depuis Henri IV, et le duc de Guise, Henri de Lorraine. Voy. J. A. de Thou, de Vita sua, III, 9. (J. V. L.)

mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens et les plus voysins qu'ils peuvent moy, ie m'offre par mes opinions les plus vifves, et par la forme plus mienne : tendre negociateur, et novice, qui aime mieulx faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant, iusques à cette heure, avecques tel heur (car certes fortune y a la principale part), que peu ont passé de main à aultre avecques moins de souspeçon, plus de faveur et de privauté. l'ay une façon ouverte, aysee à s'insinuer, et à se donner credit, aux premieres accointances. La naïfveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, treuvent encores leur opportunité et leur mise. Et puis de ceulx là est la liberté peu suspecte et peu odieuse, qui besongnent sans aulcun leur interest, et peuvent veritablement employer la response de Hyperides aux Atheniens, se plaignants de l'aspreté de son parler : « Messieurs, ne considerez pas si ie suis libre; mais si ie le suis sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires.'» Ma liberté m'a aussi ayseement deschargé du souspeçon de feinctise, par sa vigueur, n'espargnant rien à dire, pour poisant et cuisant qu'il feust (ie n'eusse peu dire pis, absent); et en ce qu'elle a une montre apparente de simplesse et de nonchalance. le ne pretends aultre fruict, en agissant, que d'agir; et n'y attache longues suittes et propositions : chasque action faict particulierement son ieu; porte s'il peult.

Au demourant, ie ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse, envers les grands; ny n'ay ma volonté garrotee d'offense ou d'obligation particuliere. le regarde nos roys d'une affection simplement legitime et

1. PLUTARQUE, De la différence du flatteur d'avec l'ami, ch. xxiv. (C. 2. Que le coup porte, s'il peut.

civile, ny esmeue ny desmeue par interest privé, dequoy ie me sçais bon gré; la cause generale et iuste ne m'attache non plus, que modereement et sans fiebvre; ie ne suis pas subiect à ces hypotheques et engagements penetrants et intimes. La cholere et la hayne sont au delà du debvoir de la iustice; et sont passions servant seulement à ceulx qui ne tiennent pas assez à leur debvoir par la raison simple : Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions legitimes et equitables sont d'elles mesmes equables et temperees; sinon elles s'alterent en seditieuses et illegitimes c'est ce qui me faict marcher par tout la teste haulte, le visage et le cœur ouvert. A la verité, et ne crainds point de l'advouer, ie porterois facilement au besoing une chandelle à sainct Michel, l'aultre à son serpent, suyvant le desseing de la vieille : ie suyvray le bon party iusques au feu, mais exclusifvement si ie puis : que Montaigne s'engouffre quand et la ruyne publicque, si besoing est; mais, s'il n'est pas besoing, ie sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve; et autant que mon debvoir me donne de chorde, ie l'emploie à sa conservation. Feutce pas Atticus, lequel se tenant au iuste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez? Aux hommes, comme luy, privez, il est plus aysé; et en telle sorte de besongne, ie treuve qu'on peult iustement n'estre pas ambitieux à s'ingerer et convier soy mesme.

De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile et sans inclination, aux troubles de son païs et . en une division publicque, ie ne le treuve ny beau ny

1. Que celui-là s'abandonne aux mouvements de l'âme, qui ne peut suivre la raison. (Cic., Tusc., IV, 25.)

2. CORNELIUS NÉPOS, Vie d'Atticus, ch. vi. (C.)

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