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interieures, et en establir plus de certitude en leur art :1 car, s'il se fault desbaucher, on est plus excusable le faisant pour la santé de l'ame, que pour celle du corps; comme les Romains dressoient le peuple à la vaillance et au mespris des dangiers et de la mort, par ces furieux spectacles de gladiateurs et escrimeurs à oultrance qui se combattoient, detailloient et entretuoient en leur presence:

Quid vesani aliud sibi vult ars impia ludi,

Quid mortes iuvenum, quid sanguine pasta voluptas??

et dura cet usage iusques à Theodosius, l'empereur :

Arripe dilatam tua, dux, in tempora famam,
Quodque patris superest, successor laudis habeto...
Nullus in urbe cadat, cuius sit pœna voluptas...
Iam solis contenta feris, infamis arena

Nulla cruentatis homicidia ludat in armis.3

C'estoit, à la verité, un merveilleux exemple, et de tresgrand fruict pour l'institution du peuple, de veoir touts les iours en sa presence cent, deux cents, voire mille couples d'hommes, armez les uns contre les aultres, se hacher en pieces, avecques une si extreme fermeté de courage, qu'on ne leur veit lascher une parole de foiblesse ou commiseration, iamais tourner le dos, ny faire seulement un mouvement lasche pour gauchir au coup de leur adversaire,

1. A. CORN. CELSI Medicina, Præfat., p. 7, édit Th. J. ab Almeloven, Amst.,, 1713. (C.)

2. Autrement, quel seroit le but de l'art insensé des gladiateurs, de ces jeux barbares, de ces fêtes de la mort, de ces plaisirs sanguinaires?

3. Saisissez, grand prince, une gloire réservée à votre règne; ajoutez à l'héritage de gloire de votre père, la seule louange qui vous reste à mériter... Que le sang humain ne coule plus pour le plaisir du peuple... Que l'arène se contente du sang des bêtes, et que des jeux homicides ne souillent plus nos yeux. (PRUDENCE, contre Symmaque, II, 643.)

ains tendre le col à son espee, et se presenter au coup il est advenu à plusieurs d'entre eulx, estant blecez à mort de force playes, d'envoyer demander au peuple s'il estoit content de leur debvoir, avant que de se coucher pour rendre l'esprit sur la place. Il ne falloit pas seulement qu'ils combattissent et mourussent constamment, mais encores alaigrement; en maniere qu'on les hurloit et mauldissoit, si on les veoyoit estriver1 à recevoir la mort les filles mesmes les incitoient :

Consurgit ad ictus,

Et, quoties victor ferrum iugulo inserit, illa
Delicias ait esse suas, pectusque iacentis
Virgo modesta iubet converso pollice rumpi.

Les premiers Romains employoient à cet exemple les criminels mais depuis on y employa des serfs innocents, et des libres mesmes qui se vendoient pour cet effect, iusques à des senateurs et chevaliers romains, et encores des femmes :

Nunc caput in mortem vendunt, et funus arenæ,

Atque hostem sibi quisque parat, quum bella quiescunt :

Hos inter fremitus novosque lusus...

Stat sexus rudis insciusque ferri,

Et pugnas capit improbus viriles :

1. Résister, témoigner de la répugnance. (C.)

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2. La vierge modeste se lève à chaque coup; et toutes les fois que le vainqueur égorge son adversaire, elle est charmée, ravie, et, d'un signe fatal, elle ordonne que le vaincu périsse. (PRUDENCE, contre Symmaque, II, 617.)

3. Maintenant ils vendent leur sang, et, pour un prix convenu, ils vont mourir sur l'arène : au milieu de la paix, chacun d'eux se fait un ennemi. (MANIL., Astron.., IV, 225.)

4. Parmi ces frémissements et ces nouveaux plaisirs, un sexe inhabile aux armes descend dans l'arène, et s'exerce avec audace aux jeux dés ́guerriers. (STACE, Sylv., 1, vi, 51.)

ce que ie trouverois fort estrange et incroyable si nous n'estions accoustumez de veoir touts les iours', en nos guerres, plusieurs milliasses d'hommes estrangiers, engageants, pour de l'argent, leur sang et leur vie à des querelles où ils n'ont aulcun interest.

CHAPITRE XXIV.

DE LA GRANDEUR ROMAINE.

le ne veulx dire qu'un mot de cet argument infiny, pour montrer la simplesse de ceulx qui apparient à celle là les chestives grandeurs de ce temps. Au septiesme livre des Epistres familieres de Cicero (et que les grammairiens en ostent ce surnom de familieres, s'ils veulent; car, à la verité, il n'y est pas fort à propos; et ceulx qui, au lieu de familieres, y ont substitué ad familiares, peuvent tirer quelque argument pour eulx de ce que dict Suetone en la vie de Cesar,' qu'il y avoit un volume de lettres de luy ad familiares), il y en a une qui s'adresse à Cesar estant lors en la Gaule, en laquelle Cicero redict ces mots, qui estoient sur la fin d'une aultre lettre que Cesar luy avoit escript « Quant à Marcus Furius, que tu m'as recom« mendé, ie le feray roy de Gaule; et si tu veulx que j'ad«vance quelque autre de tes amis, envoye le moy. » Il

1. SUÉTONE, César, ch. LIV. (C.)

2. Cic., Epist. fam., VII, 5. On lit ordinairement dans le texte de cette lettre, M. Orfum: mais il y a de nombreuses variantes. Quelques interprètes ont regardé l'offre de César comme un badinage : Montaigne la prend au sérieux, et il a peut-être raison. Ne sait-on pas quels étoient ces petits chefs de peuplades, véritables lieutenants de la république, nommés ou protégés par les Romains, et qu'ils appeloient reguli? (J. V. L.)

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n'estoit pas nouveau à un simple citoyen romain, comme estoit lors Cesar, de disposer des royaumes; car il osta bien au roy Deiotarus le sien, pour le donner à un gentilhomme de la ville de Pergame, nommé Mithridates :1 et ceulx qui escrivent sa vie enregistrent plusieurs royaumes par luy vendus; et Suetone dict qu'il tira pour un coup, du roy Plolemaeus, trois millions six cent mill' escus, qui feut bien prez de luy vendre le sien.

Tot Galatæ, tot Pontus eat, tot Lydia nummis.3

Marcus Antonius disoit que la grandeur du peuple romain ne se montroit pas tant par ce qu'il prenoit, que par ce qu'il donnoit si en avoit il, quelque siecle avant Antonius, osté un, entre aultres, d'auctorité si merveilleuse, que, en toute son histoire, ie ne sçache marque qui porte plus haut le nom de son credit. Antiochus possedoit toute l'Aegypte, et estoit aprez à conquerir Cypre et aultres demourants de cet empire. Sur le progrez de ses victoires, C. Popilius arriva à luy de la part du senat; et, d'abordee, refusa de luy toucher à la main, qu'il n'eust` premierement leu les lettres qu'il luy apportoit. Le roy les ayant leues, et dict qu'il en delibereroit, Popilius circonscrit la place où il estoit, à tout sa baguette, en luy disant : « Rends moy response que ie puisse rapporter au senat, avant que tu partes de ce cercle. » Antiochus, estonné de la rudesse d'un si pressant commandement, aprez y avoir un peu songé : « le feray (dict il) ce que le senat me com

1. Cic., de Divin., II, 37 : « assecla suo, Pergameno nescio cui. » (C.) 2. Vie de César, ch. LIV, (C.)

3. A tel prix la Galatie, à tel prix le Pont, à tel prix la Lydie. (Claudien, in Eutrop., I, 203.)

4. PLUTARQUE, Antoine, ch. vii. (C.)

mande. » Lors le salua Popilius, comme amy du peuple romain. Avoir renoncé à une si grande monarchie et cours d'une si fortunee prosperité, par l'impression de trois traits d'escripture! il eut vrayement raison, comme il feit, d'envoyer depuis dire au senat, par ses ambassadeurs, qu'il avoit receu leur ordonnance, de mesme respect que si elle feust venue des dieux immortels.2

Touts les royaumes qu'Auguste gaigna par droit de guerre, il les rendit à ceulx qui les avoient perdus, ou en feit present à des estrangiers. Et, sur ce propos, Tacitus, parlant du roy d'Angleterre Cogidunus, nous faict sentir, par un merveilleux traict, cette infinie puissance: Les Romains, dict il, avoient accoustumé, de toute ancienneté, de laisser les roys qu'ils avoient surmontez, en la possession de leurs royaumes, soubs leur auctorité, « à ce qu'ils « eussent des roys mesmes, utils de la servitude : >> Ut haberent instrumenta servitutis et reges. Il est vraysemblable que Solyman, à qui nous avons veu faire liberalité du royaume de Hongrie et aultres estats, regardoit plus à cette consideration, qu'à celle qu'il avoit accoustumé d'alleguer, « Qu'il estoit saoul et chargé de tant de monarchies et de dominations que sa vertu ou celle de ses ancêtres luy avoient acquis.

1. TITE-LIVE, XLV, 12. (C.)

2. ID., ibid., 13.

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3. TACITE, Agricola, ch. xiv. - Montaigne a traduit ce passage avant de le citer. (C.)

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