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le monarchique le loge quelques brasses audessus de Dieu, en puissance et souveraineté.

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Or, l'incommodité de la grandeur, que i'ay prins ici à remarquer par quelque occasion qui vient de m'en advertir, est cette cy: Il n'est, à l'adventure, rien plus plaisant au commerce des hommes que les essays que nous faisons les uns contre les aultres, par ialousie d'honneur et de valeur, soit aux exercices du corps ou de l'esprit; ausquels la grandeur souveraine n'a aulcune vraye part. A la vérité, il m'a semblé souvent qu'à force de respect on y traicte les princes desdaigneusement et iniurieusement; car, ce dequoy ie m'offensois infiniement en mon enfance, que ceulx qui s'exerceoient avecques moy espargnassent de s'y employer à bon escient, pour me trouver indigne contre qui ils s'efforceassent, c'est ce qu'on veoid leur advenir touts les iours, chascun se trouvant indigne de s'efforcer contre eulx si on recognoist qu'ils ayent tant soit peu d'affection à la victoire, il n'est celui qui ne se travaille à la leur prester, et qui n'aime mieulx trahir sa gloire, que d'offenser la leur; on n'y employe qu'autant d'effort qu'il en fault pour servir à leur honneur. Quelle part ont ils à la meslee, en laquelle chascun est pour eulx? Il me semble veoir ces paladins du temps passé, se presentants aux ioustes et aux combats avecques des corps et des armes faees. Brisson, courant contre Alexandre, se

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1. Charron a copié tout ce passage, de la Sagesse, I, LIX, 11. Le parallèle de ce livre avec les Essais, dont il est comme la table méthodique, seroit aussi fastidieux qu'inutile. (J. V. L.)

2. Des armes féées, enchantées. (C.)

3. PLUTARQUE, du Contentement ou repos de l'esprit, ch. xn de la traduction d'Amyot. Ce même homme est appelé Crisson dans un autre ouvrage de Plutarque, Comment on pourra discerner le flatteur d'avec l'ami, ch. xv. Comme toutes les anciennes édit. de Montaigne portent Brisson, et qu'il

feignit en la course: Alexandre l'en tansa: mais il luy en debvoit faire donner le fouet. Pour cette consideration, Carneades disoit « que les enfants des princes n'apprennent rien à droict, qu'à manier des chevaulx; d'autant qu'en tout aultre exercice, chascun flechit soubs eulx, et leur donne gaigné mais un cheval, qui n'est ni flateur ni courtisan, verse le fils du roy par terre, comme il feroit le fils d'un crocheteur. >>

Homere a esté contrainct de consentir que Venus feust blecee au combat de Troye, une si doulce saincte et si delicate, pour lui donner du courage et de la hardiesse : qualitez qui ne tumbent aulcunement en ceux qui sont exempts de dangier on faict courroucer, craindre, fuyr les dieux, s'enialouser, se douloir, et se passionner, pour les honnorer des vertus qui se bastissent entre nous de ces imperfections. Qui ne participe au hazard et difficulté, ne peult pretendre interest à l'honneur et plaisir qui suyt les actions hazardeuses. C'est pitié de pouvoir tant, qu'il advienne que toutes choses vous cedent: vostre fortune reiecte trop loing de vous la societé et la compaignie; elle vous plante trop à l'escart. Cette aysance et lasche facilité de faire tout baisser soubs soy, est ennemie de toute sorte de plaisir c'est glisser, cela; ce n'est pas aller c'est dormir; ce n'est pas vivre. Concevez l'homme accompaigné d'omnipotence, vous l'abysmez: il fault qu'il vous demande, par aulmosne, de l'empeschement et de la resistance; son estre et son bien est en indigence.

avoit trouvé l'un et l'autre dans Amyot, il convient peut-être de ne rien changer. (J. V. L.)

1. PLUTARQUE, Comment on pourra discerner le flatteur d'avec l'ami, ch. xv. (C.)

2. Déesse.

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Leurs bonnes qualitez sont mortes et perdues; car elles ne se sentent que par comparaison, et on les en met hors ils ont peu de cognoissance de la vraye louange, estants battus d'une si continuelle approbation et uniforme. Ont ils affaire au plus sot de leurs subiects? ils n'ont aulcun moyen de prendre advantage sur luy en disant, « C'est pource qu'il est mon roy,» il luy semble avoir assez dict qu'il a presté la main à se laisser vaincre. Cette qualité estouffe et consomme les aultres qualitez vrayes et essentielles, elles sont enfoncees dans la royauté; et ne leur laisse, à eulx faire valoir, que les actions qui la touchent directement et qui luy servent, les offices de leur charge: c'est tant estre roy, qu'il n'est que par là. Cette lueur estrangiere qui l'environne, le cache et nous le desrobbe; nostre veue s'y rompt et s'y dissipe, estant remplie et arrestee par cette forte lumiere. Le senat ordonna le prix d'eloquence à Tibere il le refusa, n'estimant pas que d'un iugement si peu libre, quand bien il eust esté veritable, il s'en peust ressentir. 3

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Comme on leur cede touts advantages d'honneur, aussi conforte lon et auctorise les defaults et vices qu'ils ont, non seulement par approbation, mais aussi par imitation. Chascun des suyvants d'Alexandre portoit, comme luy, la teste à costé; et les flatteurs de Dionysius s'entreheurtoient en sa presence, poulsoient et versoient ce qui se rencontroit à leurs pieds, pour dire qu'ils avoient la veue

1. Les bonnes qualités des princes. (C.)

2. Cette qualité, dis-je, ne laisse aux rois, pour se faire valoir, que les actions qui la touchent et l'intéressent directement; savoir, les offices de leur charge. (C.)

3. Prévaloir. (C.)

4. De côté.

ch. viu. (C.)

Voy. Plutarque, de la Différence entre le flatteur et l'ami,

aussi courte que lui.1 Les greveures ont aussi par fois servy de recommendation et faveur : i̇'en ay veu la surdité en affectation; et parce que le maistre haïssoit sa femme, Plutarque3 a veu les courtisans repudier les leurs qu'ils aimoient qui plus est, la paillardise s'en est veue en credit, et toute dissolution, comme aussi la desloyauté, les blasphemes, la cruauté, comme l'heresie, comme la superstition, l'irreligion, la mollesse, et pis, si pis il y a; par un exemple encores plus dangereux que celuy des flateurs de Mithridates, qui, d'autant que leur maistre pretendoit à l'honneur de bon medecin, luy portoient à inciser et cauteriser leurs membres; car ces aultres souffrent cauteriser leur ame, partie plus delicate et plus noble.

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Mais pour achever par où i'ay commencé, Adrian l'empereur debattant avecques le philosophe Favorinus de l'interpretation de quelque mot, Favorinus lui en quita bientost la victoire : ses amis se plaignants à luy : « Vous vous mocquez, feit il; vouldriez vous qu'il ne feust pas plus sçavant que moy, luy qui commande à trente legions? »> Auguste escrivit des vers contre Asinius Pollio: « Et moy, dict Pollio, ie me tais; ce n'est pas sagesse d'escrire à l'envy de celuy qui peult proscrire: » et avoient raison; car Dionysius, pour ne pouvoir egualer Philoxenus en la

1. PLUTARQUE, de la Différence entre le flatteur et l'ami, ch. viii. (C.) 2. Les hernies, du mot latin gravedo. (C.)

3. PLUTARQUE, de la Différence entre le flatteur et l'ami, ch. vi. Montaigne a légèrement altéré le fait dont Plutarque parle en cet endroit. (C.) 4. ID., ibid.

5. SPARTIEN, Vie d'Adrien, ch. xv. (J. V. L.)

6. MACROBE, Saturn., II, 4. (C.)

7. PLUTARQUE, du Contentement ou repos de l'esprit, ch. x. Mais la conduite du tyran de Sicile à l'égard de Philoxène et de Platon est rapportée avec plus d'exactitude par Diodore, XV, 6 et 7; DIOGÈNE LAERCE, III, 18 et 19. (J. V. L.)

poësie, et Platon en discours, en condamna l'un aux carrieres, et envoya vendre l'aultre esclave en l'isle d'Aegine.

CHAPITRE VIII.

DE L'ART DE CONFERER.

C'est un usage de nostre iustice d'en condamner aulcuns pour l'advertissement des aultres. De les condamner, parce qu'ils ont failly, ce seroit bestise, comme dict Platon,1 car ce qui est faict ne se peult desfaire; mais c'est à fin qu'ils ne faillent plus de mesme, ou qu'on fuye l'exemple de leur faulte: on ne corrige pas celuy qu'on pend; on corrige les aultres par luy. Ie fois de mesme : mes erreurs sont tantost naturelles et incorrigibles; mais ce que les honnestes hommes proufitent au public en se faisant imiter, ie le proufiteray à l'adventure à me faire eviter:

Nonne vides, Albi ut male vivat filius? utque

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Barrus inops? magnum documentum, ne patriam rem
Perdere quis velit; 3

publiant et accusant mes imperfections, quelqu'un apprendra de les craindre. Les parties que i'estime le plus en moy, tirent plus d'honneur de m'accuser, que de me recommender voylà pourquoy i'y retumbe, et m'y arreste plus souvent. Mais quand tout est compté, on ne parle

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1. Traité des Lois, XI, p. 934. (C.)

2. Les édit. de 1595 et de 1635 ajoutent, « et irremediables; » mais ce mot a été effacé par Montaigne dans un des exemplaires qu'il a revus.

3. Voyez-vous le fils d'Albius? qu'il a de peine à vivre! Voyez-vous la misère de Barrus? exemples qui nous apprennent à ne pas dissiper notre patrimoine. (HOR., Sat., I, IV, 109.)

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