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parmy les accidents publicques, sont aussi les bruits et opinions populaires. C'est leur roole de reciter les communes creances, non pas de les regler; cette part touche les theologiens et les philosophes directeurs des consciences pourtant tres-sagement, ce sien compaignon, et grand homme comme luy: Equidem plura transcribo, quam credo; nam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec subducere, quæ accepi:1 et l'aultre: Hæc neque affirmare, neque refellere opera pretium est... fama rerum standum est. Et escrivant en un siecle auquel la creance des prodiges commenceoit à diminuer, il dict ne vouloir pourtant laisser d'inserer en ses annales, et donner pied à chose receue de tant de gents de bien et avecques si grande reverence de l'antiquité : c'est tresbien dict. Qu'ils nous rendent l'histoire, plus selon qu'ils receoivent, que selon qu'ils estiment. Moy qui suis roy de la matiere que ie traicte, et qui n'en doibs compte à personne, ne m'en crois pourtant pas du tout ie hazarde souvent des boutades de mon esprit, desquelles ie me desfie, et certaines finesses verbales dequoy ie secoue les aureilles: mais ie les laisse courir à l'adventure. Ie veois qu'on s'honnore de pareilles choses; ce n'est pas à moy seul d'en iuger. le me presente debout et couché; le devant et le derriere; à droicte et à gauche, et en tous mes naturels plis. Les esprits, voire pareils en force, ne sont pas tousiours pareils en application et en goust.

Voylà ce que la memoire m'en presente en gros, et assez incertainement touts iugements en gros sont lasches et imparfaicts.

1. J'en dis plus que je n'en crois; mais, comme je n'ai garde d'assurer les choses dont je doute, aussi ne puis-je pas supprimer celles que j'ai apprises. (QUINTE-Curce, IX, 1.)

2. Je ne dois pas me mettre en peine d'affirmer ni de réfuter ces choses...; il faut s'en tenir à la renommée. (TITE LIVE, I, Præfat., et VIII, 6.)

CHAPITRE IX.

DE LA VANITÉ.

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Il n'en est, à l'adventure, aulcune plus expresse que d'en escrire si vainement. Ce que la divinité nous en a si divinement exprimé1 debvroit estre soigneusement et continuellement medité par les gents d'entendement. Qui ne veoid que l'ay prins une route par laquelle, sans cesse et sans travail, i'iray autant qu'il y aura d'encre et de papier au monde? le ne puis tenir registre de ma vie par mes actions; fortune les met trop bas ie le tiens par mes fantasies. Si ay ie veu un gentilhomme qui ne communiquoit sa vie, que par les operations de son ventre vous veoyiez chez luy, en montre, un ordre de bassins de sept ou huict iours c'estoit son estude, ses discours; tout aultre propos luy puoit. Ce sont icy, un peu plus civilement, des excrements d'un vieil esprit, dur tantost, tantost lasche, et tousiours indigeste. Et quand seray ie à bout de representer une continuelle agitation et mutation de mes pensees, en quelque matiere qu'elles tumbent, puisque Diomedes remplit six mille livres du seul subiect de la grammaire? Que doibt produire le babil, puisque le begayement et desnouement de la langue estouffa le monde d'une si horrible charge de volumes! Tant de paroles pour les

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1. Vanitas vanitatum, et omnia vanitas. (Ecclesiast., I, 2.) (J. V. L.) 2. Vases de nuit. (E. J.)

3. Montaigne paroît prendre ici Diomède pour Didyme, à qui Sénèque (Epist, 88) attribue, non pas six mille, mais quatre mille ouvrages. On ne voit pas que le grammairien Diomède, dont il reste des recherches sur la langue et la versification latine, en trois livres, ait été aussi fécond que ce Grec d'Alexandrie. (J. V. L.)

paroles seules! O Pythagoras, que n'esconiuras tu cette tempeste! On accusoit un Galba, du temps passé, de ce qu'il vivoit oyseusement: il respondit que « chascun debvoit rendre raison de ses actions, non pas de son seiour.1 » Il se trompoit; car la iustice a cognoissance et animadversion aussi sur ceulx qui choment.

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Mais il y debvroit avoir quelque coerction des loix contre les escrivains ineptes et inutiles, comme il y a contre les vagabonds et faineants: on banniroit des mains de nostre peuple, et moy, et cent aultres. Ce n'est pas mocquerie: l'escrivaillerie semble estre quelque symptome d'un siecle desbordé : quand escrivismes nous tant, que depuis que nous sommes en trouble? quand les Romains tant, que lors de leur ruyne? Oultre ce, que l'affinement des esprits, ce n'en est pas l'assagissement, en une police cet embesongnement oisif naist de ce que chascun se prend laschement à l'office de sa vacation, et s'en desbauche. La corruption du siecle se faict par la contribution particuliere de chascun de nous les uns y conferent la trahison, les aultres l'iniustice, l'irreligion, la tyrannie, l'avarice, la cruauté, selon qu'ils sont plus puissants les plus foibles y apportent la sottise, la vanitė, l'oysifveté; desquels ie suis. Il semble que ce soit la saison des choses vaines, quand les dommageables nous pressent : en un temps où le meschamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable. Ie me console que ie seray des derniers sur qui il fauldra mettre la

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1. De son oisiveté, de son repos. Ce mot est de l'empereur Galba, et il est singulier que Montaigne le cite comme étant d'un homme inconnu. Voy. Suétone, Galb., ch. ix. (C.)

2. Ce n'est pas ce qui les rend sages, dans un gouvernement. (E. J.) 3. Cette besogne ou occupation oisive naît de ce que chacun se livre lâchement aux devoirs de sa place. (E. J.)

main ce pendant qu'on pourvoira aux plus pressants, i'auray loy1 de m'amender; car il me semble que ce seroit contre raison de poursuyvre les menus inconvenients, quand les grands nous infestent. Et le medecin Philotimus, à un qui luy presentoit le doigt à panser, auquel il recognoissoit, au visage et à l'haleine, un ulcere aux poulmons: « Mon amy, feit il, ce n'est pas à cette heure le temps de t'amuser à tes ongles. >>

le veis pourtant sur ce propos, il y a quelques annees, qu'un personnage de qui i'ay la memoire en recommendation singuliere, au milieu de nos grands maulx, qu'il n'y avoit ny loy, ny iustice, ny magistrat qui feist son office non plus qu'à cette heure, alla publier ie ne sçais quelles chestifves reformations sur les habillements, la cuisine, et la chicane. Ce sont amusoires dequoy on paist un peuple malmené, pour dire qu'on ne l'a pas du tout mis en oubly. Ces aultres font de mesme, qui s'arrestent à deffendre, à toute instance, des formes de parler, les danses et les ieux, à un peuple abandonné3 à toute sorte de vices exsecrables. Il n'est pas temps de se laver et descrasser, quand on est attainct d'une bonne fiebvre : c'est à faire aux seuls Spartiates, de se mettre à se peigner et testonner, sur le poinct qu'ils se vont precipiter à quelque extreme hazard de leur vie.

Quant à moy, i'ay cette aultre pire coustume, que si l'ay un escarpin de travers, ie laisse encores de travers et ma chemise et ma cappe: ie desdaigne de m'amender à demy. Quand ie suis en mauvais estat, ie m'acharne

1. J'aurai le loisir, la faculté de, etc.

2. PLUTARQUE, Comment on discerne le flatteur d'avec l'ami, ch. xxxi. (C.) 3. Edit. de 1588, « perdu de toute sorte, etc. » 4. Et à se friser les cheveux avec soin. (E. J.)

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au mal; ie m'abandonne par desespoir, et me laisse aller vers la cheute, et iecte, comme lon dict, le manche aprez la coignee; ie m'obstine à l'empirement, et ne m'estime plus digne de mon soing: ou tout bien, ou tout mal. Ce m'est faveur, que la desolation de cet estat se rencontre à la desolation de mon aage ie souffre plus volontiers que mes maulx en soient rechargez, que si mes biens en eussent esté troublez. Les paroles que l'exprime au malheur sont paroles de despit: mon courage se herisse, au lieu de s'applatir: et, au rebours des aultres, ie me trouve plus devot en la bonne qu'en la mauvaise fortune, suyvant le precepte de Xenophon, sinon suyvant sa raison; et fois plus volontiers les doulx yeulx au ciel, pour le remercier, que pour le requerir. l'ay plus de soing d'augmenter la santé, quand elle me rit, que ie n'ay de la remettre, quand ie l'ay escartee: les prosperitez me servent de discipline et d'instruction; comme aux aultres, les adversitez et les verges. Comme si la bonne fortune estoit incompatible avecques la bonne conscience, les hommes ne se rendent gents de bien qu'en la mauvaise. Le bonheur m'est un singulier aiguillon à la moderation et modestie : la priere me gaigne, la menace me rebute; la faveur me ploye, la crainte me roidit.

Parmy les conditions humaines, cette cy est assez commune, de nous plaire plus des choses estrangieres que des nostres, et d'aimer le remuement et le changement:

Ipsa dies ideo nos grato perluit haustu,

Quod permutatis hora recurrit equis:

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1. Cyropédie, I, VI, 3; passage cité par Plutarque, du Contentement ou repos de l'esprit, ch. 1 de la version d'Amyot. (J. V. L.)

2. La lumière même du jour ne nous plaît que parce que les heures ont changé de coursiers. (Fragm. de PÉTRONE, p. 678.)

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