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gentilhomme, favori de Pantaleon, son frere, le mena en la boutique d'un foullon, où il le feit gratter et carder à coups de cardes et peignes de ce mestier, iusques à ce qu'il en mourut. George Sechel, chef de ces païsans de Poloigne, qui, soubs tiltre de la croisade, feirent tant de maulx, desfaict en battaille par le vayvode de Transsylvanie, et prins, feut trois iours attaché nud sur un chevalet, exposé à toutes les manieres de torments que chascun pouvoit apporter contre luy; pendant lequel temps on fit ieusner plusieurs aultres prisonniers. Enfin, luy vivant et veoyant, on abbruva de son sang Lucat, son cher frere, et pour le salut duquel seul il prioit, tirant sur soy toute l'envie de leurs mesfaicts: et feit lon paistre vingt de ses plus favoris capitaines, deschirants à belles dents sa chair, et en engloutissants les morceaux. Le reste du corps et parties du dedans, luy expiré, feurent mises bouillir, qu'on feit manger à d'aultres de sa suitte.

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CHAPITRE XXVIII.

TOUTES CHOSES ONT LEUR SAISON.

Ceulx qui apparient Caton le censeur au ieune Caton, meurtrier de soy mesme, apparient deux belles natures et de formes voisines. Le premier exploicta la sienne à plus

1. Vous trouverez ce fait, avec toutes ses circonstances, dans la Chronique de Carion, refondue par Mélanchthon et Gaspard Peucer, son gendre (liv. IV, p. 700), et dans les Annales de Silésie, compilées en latin par Joachim Cureus, p. 233. (C.)

2. Toute la haine que les méfaits de l'un et de l'autre devoient inspirer.

de visages, et precelle en exploicts militaires et en utilité de ses vacations publicques: mais la vertu du ieune, oultre ce que c'est blaspheme de luy en apparier null' aultre en vigueur, feut bien plus nette; car qui deschargeroit d'envie et d'ambition celle du censeur, ayant osé chocquer l'honneur de Scipion, en bonté et en toutes parties d'excellence de bien loing plus grand, et que luy, et que tout aultre homme de son siecle ?

Ce qu'on dict, entre aultres choses, de luy, qu'en son extreme vieillesse il se meit à apprendre la langue grecque, d'un ardent appetit, comme pour assouvir une longue soif, ne me semble pas luy estre fort honnorable : c'est proprement ce que nous disons, « Retumber en enfantillage. >> Toutes choses ont leur saison, les bonnes et tout; 2 et ie puis dire mon patenostre hors de propos; comme on defera T. Quintius Flaminius de ce qu'estant general d'armee, on l'avoit veu à quartier, sur l'heure du conflit, s'amusant à prier Dieu, en une battaille qu'il gaigna.3 Imponit finem sapiens et rebus honestis."

Eudemonidas, veoyant Xenocrates, fort vieil, s'empresser aux leçons de son eschole : « Quand sçaura cettuy

1. PLUTARQUE, Caton le Censeur, ch. 1. (C.)

2. Aussi. Et tout, dans ce sens-là, est un vrai gasconisme, dont voici encore un exemple que j'ai trouvé dans Brantôme, p. 432, t. II de ses Femmes galantes, où, parlant d'un homme marié à une belle et aimable femme, il dit : « Qui l'a telle, ne va point au pourchas, comme d'autres, autrement il est bien miserable; et qui n'y va, peu se soucie-il de dire mal des Dames, ni bien et tout, sinon que de la sienne. » (C.) — On dit encore itout pour aussi, en Sologne. (E. J.)

3. PLUTARQUE, Comparaison de T. Q. Flaminius avec Philopomen, ch. II. (C.)

4. Même dans la vertu, le sage sait s'arrêter. (JUVÉNAL, VI, 444.) - Ici Montaigne détourne les paroles de ce poëte du sens qu'elles ont dans l'original, où elles signifient tout autre chose. (C.)

cy, dict il, s'il apprend encores! » Et Philopomen, à ceulx qui hault louoient le roy Ptolemaeus de ce qu'il durcissoit sa personne touts les iours à l'exercice des armes : « Ce n'est, dict il, pas chose louable à un roy de son aage de s'y exercer; il les debvroit hormais reellement employer. Le ieune doibt faire ses apprests; le vieil, en iouïr, disent les sages; et le plus grand vice qu'ils remarquent en nous, c'est que nos desirs raieunissent sans cesse ; nous recommenceons tousiours à vivre.

Nostre estude et nostre envie debvroient quelquefois sentir la vieillesse. Nous avons le pied à la fosse; et nos appetits et poursuittes ne font que naistre :

Tu secanda marmora

Locas sub ipsum funus, et, sepulcri

Immemor, struis domos.5

Le plus long de mes desseings n'a pas un an d'estendue : ie ne pense desormais qu'à finir, me desfoys de toutes nouvelles esperances et entreprinses, prends mon dernier congé de touts les lieux que ie laisse, et me despossede touts les iours de ce que i'ay. Olim iam nec perit quidquam mihi, nec acquiritur....... plus superest viatici quam viæ. Vixi, et, quem dederat cursum fortuna, peregi.7

1. PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacedemoniens.

2. Désormais, à l'avenir.

- Désormais, en prenant la place de hormais, l'a dépossédé entièrement. Du temps de Nicot, on pouvoit écrire des ores mais, au lieu de désormais. (C.)

3. PLUTARQUE, Philopomen, ch. xi. (C.)

4. SENEQUE, Epist. 36. (J. V. L.)

5. Vous faites tailler des marbres à la veille de mourir; vous bâtissez une maison, et il faudroit songer à un tombeau. (HOR., Od., II, xv, 17.)

6. Depuis longtemps, je ne perds ni ne gagne;... il me reste plus de pro

visions que de chemin à faire. (SÉNÈQUE, Épist. 77.)

7. J'ai vécu, j'ai fourni la carrière que m'avoit donnée la fortune. (VIRG., Eneide, IV, 653.)

C'est enfin tout le soulagement que ie treuve en ma vieillesse, qu'elle amortit en moy plusieurs desirs et soings de quoy la vie est inquietee; le soing du cours du monde, le soing des richesses, de la grandeur, de la science, de la santé, de moy. Cettuy cy apprend à parler, lors qu'il luy fault apprendre à se taire pour iamais. On peult continuer à tout temps l'estude, non pas l'escholage : la sotte chose qu'un vieillard abecedaire ! 1

Diversos diversa iuvant; non omnibus annis

Omnia conveniunt.2

S'il fault estudier, estudions un estude sortable à nostre condition, à fin que nous puissions respondre, comme celuy à qui, quand on demanda à quoy faire ces estudes en sa decrepitude, « A m'en partir meilleur, et plus à mon ayse,» respondict il. Tel estude feut celuy du ieune Caton, sentant sa fin prochaine, qui se rencontra au discours de Platon, De l'eternité de l'ame; non, comme il fault croire, qu'il ne feust de long temps garny de toute sorte de munitions pour un tel deslogement; d'asseurance, de volonté ferme et d'instruction, il en avoit plus que Platon n'en a en ses escripts; sa science et son courage estoient, pour ce regard, au dessus de la philosophie : il print cette occupation, non pour le service de sa mort; mais, comme celuy qui n'interrompit pas seulement son sommeil en l'importance d'une telle deliberation, il continua aussi sans chois et sans changement ses estudes avec les aultres actions accoustumees de sa vie. La

1. Montaigne traduit Sénèque (Epist.. 36): « Turpis et ridicula res est elementarius senex. » (J. V. L.)

2. Les hommes aiment des choses diverses: toute chose ne convient pas à tout âge. (Pseudo-Gallus, I, 104.)

nuict qu'il veint d'estre refusé de la preture, il la passa à iouer; celle en laquelle il debvoit mourir, il la passa à lire la perte ou de la vie, ou de l'office, tout luy feut un.

CHAPITRE XXIX.

DE LA VERTU.

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le treuve, par experience, qu'il y a bien à dire entre les boutees et saillies de l'ame, ou une resolue et constante habitude: et veois bien qu'il n'est rien que nous ne puissions, voire iusques à surpasser la Divinité mesme, dict quelqu'un, d'autant que c'est plus de se rendre impassible, de soy, que d'estre tel, de sa condition originelle: et iusques à pouvoir ioindre à l'imbecillité de l'homme une resolution et asseurance de Dieu; mais c'est par secousses : et ez vies de ces heros du temps passé, il y a quelquesfois des traicts miraculeux, et qui semblent de bien loing surpasser nos forces naturelles; mais ce sont traicts, à la verité; et est dur à croire que de ces conditions ainsin eslevees, on en puisse teindre et abbruver l'ame en maniere qu'elles luy deviennent ordinaires et comme naturelles. Il nous escheoit à nous mesmes, qui ne sommes qu'avortons d'hommes, d'eslancer par fois nostre ame, esveillee par les discours ou exemples d'aultruy, bien loing au delà de

1. Ces mots, jusqu'à la fin du chapitre, sont traduits de Sénèque (Epist. 71 et 104). (C.)

2. Les élans, les boutades.

(NICOT.)

D'une boutée, uno impulsu, uno impetu.

3. SÉNÈQUE, Epist. 73; et surtout de Provident., ch. v: « Ferte fortiter; hoc est, quo Deum antecedatis ille extra patientiam malorum est, vos supra patientiam. » (J. V. L.)

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