Obrázky na stránke
PDF
ePub

horrible sentence : « l'y estois preparé, dict il; ie vous estonnerai de ma patience. >>

Les Assassins,1 nation despendante de la Phoenicie, sont estimez, entre les Mahumetans, d'une souveraine devotion et pureté de mœurs. Ils tiennent que le plus court chemin à gaigner paradis, c'est de tuer quelqu'un de religion contraire. Parquoy on l'a veu souvent entreprendre, à un ou deux, en pourpoinct, contre des ennemis puissants, au prix d'une mort certaine, et sans aulcun soing de leur propre dangier. Ainsi feut assassiné (ce mot est emprunté de leur nom) nostre comte Raymond de Tripoli, au milieu de sa ville, pendant nos entreprinses de la guerre saincte; et pareillement Conrad, marquis de Montferrat :3 les meurtriers conduicts au supplice, touts enflez et fiers d'un si beau chef d'œuvre.

CHAPITRE XXX.

D'UN ENFANT MONSTRUEUX.

Ce conte s'en ira tout simple; car ie laisse aux medecins d'en discourir. le veis avant hier un enfant que deux hommes et une nourrice, qui se disoient estre le pere, l'oncle, et la tante, conduisoient pour tirer quelque soul de le montrer à cause de son estrangeté. Il estoit, en tout

1. Ou Assassiniens, peuples qui habitoient dix à douze villes de la Phénicie. On a publié beaucoup de fables à leur sujet. M. Silvestre de Sacy, dans une savante dissertation, a jeté tout récemment beaucoup de jour sur leur histoire. (A. D.)

2. En 1151, près de la porte de Tripoli.

3. A Tyr, le 24 d'avril 1192. Richard Cœur-de-Lion fut soupçonné d'être complice de cet assassinat; mais il produisit une lettre du Vieux de la Montagne, qui se déclaroit l'auteur du crime. (J. V. L.)

1

le reste, d'une forme commune, et se soubstenoit sur ses pieds, marchoit et gazouilloit, environ comme les aultres de mesme aage : il n'avoit encores voulu prendre aultre nourriture que du tettin de sa nourrice; et ce qu'on essaya en ma presence de luy mettre en la bouche, il le maschoit un peu, et le rendoit sans avaller ses cris sembloient bien avoir quelque chose de particulier : il estoit aagé de quatorze mois iustement. Au dessoubs de ses tettins, il estoit prins et collé à un aultre enfant, sans teste, et qui avoit le conduict du dos estouppé, 1 le reste entier; car il avoit bien l'un bras plus court, mais il luy avoit esté rompu par accident, à leur naissance : ils estoient ioincts face à face, et comme si un plus petit enfant en vouloit accoller un plus grandelet. La ioincture et l'espace par où ils se tenoient n'estoit que de quatre doigts, ou environ, en maniere que si vous retroussiez cet enfant imparfaict, vous voyiez au dessoubs le nombril de l'autre : ainsi la cousture se faisoit entre les tettins et son nombril. Le nombril de l'imparfaict ne se pouvoit veoir, mais ouy bien tout le reste de son ventre voilà comme ce qui n'estoit pas attaché, comme bras, fessier, cuisses et iambes de cet imparfaict, demouroient pendants et branslants sur l'aultre. et luy pouvoit aller sa longueur jusques à my iambe. La nourrice nous adioustoit qu'il urinoit par touts les deux endroicts; aussi estoient les membres de cet aultre nourris et vivants, et en mesme poinct que les siens, sauf qu'ils estoient plus petits et menus. Ce double corps, et ces membres divers se rapportants à une seule teste, pourroient bien fournir de favorable prognostique au roy, de maintenir sous l'union de ses loix ces parts

1. Bouché, fermé.

2. Henri III.

et pieces diverses de nostre estat: mais, de peur que l'evenement ne le desmente, il vault mieulx le laisser passer devant; car il n'est que de deviner en choses faictes, ut, quum fucta sunt, tum ad coniecturam aliqua interpretatione revocentur : comme on dict d'Epimenides, qu'il devinoit à reculons.2

1

le viens de veoir un pastre en Medoc, de trente ans ou environ, qui n'a aulcune montre des parties genitales : il a trois trous par où il rend son eau incessamment; il est barbu, a desir, et recherche l'attouchement des femmes.

:

Ce que nous appellons monstres ne le sont pas à Dieu, qui veoid en l'immensité de son ouvrage l'infinité des formes qu'il y a comprinses et est à croire que cette figure qui nous estonne se rapporte et tient à quelque aultre figure de mesme genre incogneu à l'homme. De sa toute sagesse il ne part rien que bon, et commun, et reglé mais nous n'en veoyons pas l'assortiement et la relation. Quod crebro videt, non miratur, etiamsi, cur fiat, nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse censet. Nous appellons contre nature, ce qui advient contre la coustume rien n'est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l'estonnement que la nouvelleté nous apporte.

1. Afin de pouvoir, par quelque interprétation, faire cadrer l'événement avec la conjecture. (Cic., de Divinat., II, 31.)

2. La remarque est d'Aristote, qui, dans sa Rhétorique, III, 12, dit qu'Epimenide n'exerçoit point sa faculté divinatrice sur les choses à venir, mais sur celles qui étoient passées et inconnues. (C.)

3. L'homme ne s'étonne pas de ce qu'il voit souvent, quoiqu'il en ignore la cause. Si ce qu'il n'a jamais vu arrive, c'est un prodige pour lui. (Ctc., de Divinat., II, 22.)

CHAPITRE XXXI.

DE LA CHOLERE.

1

Plutarque est admirable par tout, mais principalement où il iuge des actions humaines. On peult veoir les belles choses qu'il dict, en la comparaison de Lycurgus et de Numa, sur le propos de la grande simplesse que ce nous est, d'abandonner les enfants au gouvernement et à la charge de leurs peres. La plus part de nos polices, comme dict Aristote, laissent à chascun, en maniere des cyclopes, la conduicte de leurs femmes et de leurs enfants, selon leur folle et indiscrete fantasie: et quasi les seules Lacedemonienne et Cretense ont commis aux loix la discipline de l'enfance. Qui ne veoid qu'en un estat tout despend de cette education et nourriture? et cependant, sans aulcune discretion, on la laisse à la mercy des parents, tant fols et meschants qu'ils soient.

Entre aultres choses, combien de fois m'a il prins envie, passant par nos rues, de dresser une farce pour venger des garsonnets que ie veoyois escorcher, assommer et meurtrir à quelque pere ou mere furieux et forcenez de cholere! Vous leur veoyez sortir le feu et la rage des yeulx,

Rabie iecur incendente, feruntur

Præcipites; ut saxa iugis abrupta, quibus mons

Subtrahitur, clivoque latus pendente recedit,*

1. Morale à Nicomaque, X, 9, où se trouve cité le passage d'Homère sur les cyclopes, Odyssee, IX, 114. (C.)

2. Ils sont emportés par leur rage, comme un rocher qui, tout à coup perdant son point d'appui, se précipite du haut de la montagne où il étoit suspendu. (Juv., VI, 647.)

(et, selon Hippocrates, les plus dangereuses maladies sont celles qui desfigurent le visage), à tout une voix trenchante et esclatante, souvent contre qui ne faict que sortir de nourrice. Et puis les voylà estropiez, estourdis de coups; et nostre iustice qui n'en faict compte, comme si ces esboittements et eslochements n'estoient pas des membres de nostre chose publicque :

2 2

Gratum est, quod patriæ civem populoque dedisti,

Si facis, ut patriæ sit idoneus, utilis agris,
Utilis et bellorum et pacis rebus agendis.3

4

Il n'est passion qui esbransle tant la sincerité des iugements, que la cholere. Aulcun ne feroit doubte de punir de mort le iuge qui, par cholere, auroit condamné son criminel; pourquoy est il non plus permis aux peres et aux pedantes, de fouetter les enfants et les chastier estants en cholere? ce n'est plus correction, c'est vengeance. Le chastiement tient lieu de medecine aux enfants et souffririons nous un medecin qui feust animé et courroucé contre son patient?

:

Nous mesmes, pour bien faire, ne debvrions iamais. mettre la main sur nos serviteurs, tandis que la cholere nous dure. Pendant que le pouls nous bat et que nous sentons de l'esmotion, remettons la partie : les choses

1. Avec, comme on l'a vu déjà plusieurs fois.

2. Esboittement ou eslochement, termes synonymes qui signifient dislocation. On trouve eslocher dans Nicot, qui le fait venir d'exlocare; et dans Rabelais, deslocher. Frere Jean des Entommeures, dit Rabelais (I, 27), ayant donné brusquement sur les ennemis, qui vendangeoint le clos de son abbaye, ez ungs escarbouilloit la cervelle, ez aultres rompoit bras et iambes, ez aultres deslochoit les spondyles du col, » etc. (C.)

3. La patrie te sait bon gré de lui avoir donné un nouveau citoyen, pourvu que tu le rendes propre à la servir, soit en labourant la terre, soit dans les camps, soit dans les arts de la paix. (Juv., XIV, 70.)

4. Aux pédants, aux maîtres d'école. (C.)

« PredošláPokračovať »