Charmer durant les nuits le silence des bois; Et le cygne, unissant la grâce et la noblesse, Roi du lac argenté, s'y baigne avec mollesse, Sans vouloir conquérir sur l'aigle audacieux, Ou la cime des monts, ou la plaine des cieux. La beauté s'enlaidit de beautés étrangères: Dans les regards malins des Dryades légères Ne cherchez point d'Hébé les attraits ingénus; Minerve imite mal le souris de Vénus. Les dons sont partagés: la Nature infinie Sépare les objets qu'elle étale au génie; Séparez donc les arts. Ces brillans créateurs Ne peuvent-ils régner sans être usurpateurs? Talens formés pour eux, la Gloire vous contemple! Quel que soit le chemin qui vous mène à son temple, Vous tous, qui prétendez, honorables rivaux, Léguer à l'avenir vos noms et vos travaux, Songez-y la Nature est votre seul modèle!
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L'Art, s'il imite un art, est déja trop loin d'elle.
CE style me charmait, mais ce n'est point le vôtre; Il me déplaît chez vous: c'est la grâce d'un autre. Même air, même maintien, ne convient pas à tous. C'est Racine, dit-on : ce n'est ni lui, ni vous; C'est d'un brûlant modèle une froide copie; C'est le corps d'un géant; mais on me l'estropie. A-t-on vu le Poussin, nivelant ses tableaux, Aux pinceaux du Corrège asservir ses pinceaux? Dans les discours d'Énée entendez-vous Achille? Sophocle a-t-il suivi les vestiges d'Eschyle? A n'être jamais soi qui peut s'humilier Ne deviendra jamais qu'un fort bon écolier. Imiter à propos veut beaucoup de science....
Tels sont de l'Hélicon les secrets importans. Ainsi les grands esprits, flambeaux des premiers temps, Ont prêté leur lumière à ceux des derniers âges: Latins, Français, Anglais, tous ont dans leurs ouvrages De leurs prédécesseurs introduit les beautés, Fruits conçus une fois et deux fois enfantés.
Ainsi, parmi les fleurs d'Homère et de Lucrèce, S'enrichissait Virgile, abeille enchanteresse; Ainsi Rousseau, Malherbe, et Pope, et Despréaux, Sur les accords d'Horace ont fait des chants nouveaux; Et Racine, éveillant les tragiques alarmes, Fut vainqueur d'Euripide, en lui volant ses armes. Ne vous tourmentez point du scrupule insensé De ne penser jamais ce qu'un autre a pensé : Ils ont tous imité; je veux qu'on les imite. Mais craignez toutefois de passer la limite: Ne devenez point eux. Pour être leur égal, Même en les imitant, soyez original.
Loin de moi cet auteur à l'oubli condamné, D'un stupide engoûment héros momentané! La faveur de son siècle est tout ce qu'il adore. Il faut plaire à son siècle; et ce n'est rien encore. Pour vivre célébré dans un long souvenir, Redoutez le présent, le passé, l'avenir. Redoutez, non ces cris, non ces langues ingrates, De tous les Apollons ces impurs Érostrates; D'autres mortels sont faits pour juger vos travaux: Voyez toujours Homère et ses nobles rivaux; Les chantres de Didon, d'Herminie et d'Alcine, Et Corneille, et Sophocle, et ce divin Racine; Ceux qui de votre tems ont pu leur ressembler;
Et ceux qui, quelque jour, les doivent égaler. Entendez de leurs yeux le langage sévère; Corrigez, effacez ce qui peut leur déplaire, Tous les vers, tous les mots, dont ils seraient honteux; Et, plein de leur génie, écrivez devant eux.
Un succès suffira, s'il est fondé surtout; Et vous verrez bientôt pleuvoir au nom du goût. Quelque libelle heureux, quelque honnête satire, Chefs-d'œuvre que l'on croit, et même sans les lire; Journaux, et petits vers dans les journaux loués, Oracles du public, et du public hués; D'une ignorante haine enfantemens stériles.
Lisez pourtant, lisez nos modernes Zoïles : Les Frérons, les Auberts, et jusques aux Charnois. A leur fatras stupide on les a vus parfois Mêler, sans y songer, une docte parole. Certain troupeau d'oisons sauva le Capitole; Ne l'oubliez jamais; et, pour bien des raisons, Prêtez toujours l'oreille aux clameurs des oisons. De Valère et d'Hector supportez l'ignorance, Ou bien de quelque Agnès la naïve impudence. Est-il bien vrai? Lisette, après avoir quitté Les bras d'un sot amant qui paya sa beauté, Juge en dernier ressort Idamé, Pénélope! A peine hors du sac où Scapin l'enveloppe, Géronte, encor tremblant, flétri sous le bâton,
Cite à son tribunal Mithridate ou Caton!
Si quelque bon esprit, sans fard, sans complaisance, De l'étrange sénat prêchait l'insuffisance, Mon dieu! lui dirait-on, c'est prendre un vain souci: Du tems de Pellegrin cela s'est fait ainsi; C'est la loi, c'est l'usage: il y faut satisfaire; Et Poisson décidait des talens de Voltaire.
Dans le calme des nuits, toi, que la gloire éveille, Qui, brûlant d'égaler et Racine et Corneille, Médites à loisir de durables succès!
A peine tu verras, au gré de tes souhaits, Tes efforts couronnés et ta muse applaudie; Bientôt, n'en doute pas, l'ignoble Parodie Va lancer contre toi ses traits mal aiguisés ; Railler tes plus beaux vers platement déguisés; Odieux instrument des fureurs de l'envie, Peut-être déchirer ta personne et ta vie; Te noircir des venins de sa malignité, Ou t'insulter encore avec aménité.
Dans son flegme important, qu'un autre aille te dire
Que de ces jeux malins, le premier, tu dois rire; Crois-moi ne ris jamais d'insipides bons mots; Mais ne t'en fâche point, et méprise les sots.
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