QUAND de la Liberté le bienfaisant génie
Ranime par degrés la France rajeunie, Et, couronnant de fleurs nos sacrés étendards, Sur l'aile de la Paix ramène les beaux-arts, J'abandonne un moment la Melpomène antique, Et je chante aujourd'hui, sur le ton didactique, L'homme inculte et sauvage, isolé dans les bois; L'homme civilisé, cherchant l'appui des lois.
Ignorant, mais sensible en commençant la vie, L'homme enfin s'est connu par la philosophie. Elle a décrédité les pieuses erreurs;
Sur les besoins de tous elle a fondé les mœurs; Elle a créé des lois le joug utile et sage; Des sciences, des arts, elle a réglé l'usage; Et son heureux empire, affermi sans retour, Malgré les imposteurs s'étendra chaque jour. CEnvres posthumes. II.
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Fille de la Nature, ô Vierge tutélaire, Raison! que ton flambeau me dirige et m'éclaire; Et si, dès mon enfance amoureux de tes lois, Je me laissai conduire aux accens de ta voix, Fais passer dans mes mains la lyre enchanteresse Que ton disciple Pope hérita de Lucrèce, Et qui, du grand Voltaire animant les travaux, Lui dut des sons plus doux et des accords nouveaux. Viens, chante, inspire-moi; seconde mon courage; Sois libre des tyrans je ne crains point la rage. Trop de chantres fameux, abusant l'univers, De leur but véritable ont détourné les vers: L'aveugle des Anglais qui, dans sa docte ivresse, A souvent égalé l'aveugle de la Grèce, Milton, sut rajeunir, en ses chants admirés, De l'antique Israël les mystères sacrés; Milton d'un pur éclat en orna la peinture; Il puisa ses couleurs au sein de la nature; Son nom, percant la nuit de l'immense avenir, Vivra chez les humains dans un long souvenir; Mais je veux, dédaignant tout fabuleux langage, Par un autre océan tendre au même rivage.
Principe des vertus, mère des grands exploits, Puissante Liberté! viens animer ma voix.
Tes autels sont détruits dans la Grèce et dans Rome. Premier bienfait des cieux, premier besoin de l'homme, Guide du citoyen, du chantre et du guerrier,
Viens, le front couronné de chêne et de laurier, Comme on te vit jadis dans les beaux jours d'Athène, Viens enfin, sur les bords arrosés par la Seine, De ta main triomphante ouvrir en nos remparts Le temple de la Paix et le temple des Arts!
Il existe sans doute une cause éternelle: Tout fut créé, tout vit, tout se soutient par elle; Tout change, et rien ne meurt au sein de l'univers. Mais de voiles sacrés nos yeux long-tems couverts Idolâtrent encor de frivoles mystères, D'une trop longue enfance hochets héréditaires. Ces milliers de soleils aux fécondes clartés, Dans l'abîme des cieux pompeusement jetés; Des mondes infinis l'opulente structure : Tout proclame un seul Dieu, l'âme de la nature; Mais des dieux qu'il a faits l'homme a peuplé le ciel. On nous oppose en vain l'instinct universel, Les peuples policés, les peuplades sauvages, Créant, multipliant, adorant des images; De victimes, d'encens, les Dieux environnés, Et devant leurs autels les siècles prosternés; Ce long assentiment pourra-t-il nous confondre? Épicure et Lucrèce osèrent y répondre:
Le monde entier parlait; mais leur génie altier Prétendit réfuter la voix du monde entier. Leur flambeau me conduit; leur audace m'anime. Et que prouve en effet ce concours unanime?
Par les premiers humains le mensonge inventé S'accrut en vieillissant, tous les jours répété. La crainte fit les Dieux; l'intérêt fit les Prêtres; Nos pères effrayés en ont cru leurs ancêtres, Qui, des mêmes frayeurs se laissant dominer, S'étaient pressés de croire, au lieu d'examiner. Vous craignez; vous croyez; et vos enfans timides, Suçant, avec le lait, des préjugés stupides, Vont peut-être inspirer cette antique terreur A des enfans, comme eux héritiers de l'erreur. Avec notre univers le mensonge commence. Jusqu'au premier chaînon de cette chaîne immense, Je saurai, du vulgaire affrontant le courroux, D'un vol précipité remonter avec vous, Jusqu'au dernier chaînon pas à pas redescendre; Des siècles, des cités, interroger la cendre; Et, d'un ton simple et vrai chantant la vérité, Verser dans tous mes vers sa sainte austérité.
De l'univers Dieu seul est la cause première : Son souffle créateur fit jaillir la lumière, Alluma ce soleil qui semble roi des cieux, Et peupla de la nuit les champs silencieux. Aux élémens rivaux il assigna leur place. Immobile et planant au centre de l'espace, Le feu générateur circule dans les airs, Rend la terre fertile, et vit au sein des mers. C'était encor trop peu : la nature féconde
Créa le mouvement, seul organe du monde; Divisa les saisons, et les mois, et les jours; Des globes lumineux détermina le cours;
Et d'un tropique à l'autre, en sa route ordonnée, Fit monter tour-à-tour et descendre l'année. Le doux printems, paré de ses jeunes couleurs, En promettant des fruits, se couronna de fleurs; L'été de ses moissons prodigua les richesses; L'automne du printems acquitta les promesses; Et l'hiver conserva sous d'utiles glaçons. Le germe heureux des fleurs, des fruits et des moissons.
C'était pendant les jours où tout se renouvelle, Quand le ciel est plus pur, quand la terre est plus belle, Quand tous les animaux paissaient au fond des bois, Sous l'œil de la nature, et soumis à ses lois, Que l'homme, son chef-d'œuvre, objet de leur envie, Vint s'asseoir auprès d'eux au banquet de la vie. Sa mère, de bienfaits ardente à le combler, S'enorgueillit des dons qu'elle a su rassembler. L'homme unit dans son port la grâce et la noblesse, Dans ses membres nerveux la force et la souplesse; La flamme du génie étincelle en ses traits; Il s'avance; et, tandis qu'au sein de leurs forêts Ses sujets vagabonds sont courbés vers la terre, L'homme seul, déployant un plus grand caractère, Lève vers le soleil son front audacieux, Et dun regard sublime interroge les cieux.
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