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Mon génie étonné, dépouillant sa vigueur,
S'abandonne aux conseils d'une oisive langueur.
Mais quel espoir soudain me luit et me ranime!
Si j'en crois cet espoir, de ta raison sublime
Le céleste flambeau va marcher devant moi;
Et tu viendras m'aider à lutter contre toi.
Allons, amis! surtout, si vous aimez la gloire,
De mes saintes leçons gardez bien la mémoire.
Aux champs élysiens, sous ces berceaux fleuris
D'où se dessine au loin le fastueux Paris,
Venez, je vous attends1. Des plus nobles mystères
Venez tous écouter mes chants dépositaires.
Du Louvre, ô mes amis! le faîte couronné
Réfléchit les regards de l'amant de Daphné;
La splendeur du matin perce nos doux ombrages;
Ils ont des longs frimas oublié les outrages;
Le fleuve, qui s'avance à pas majestueux,
Ralentit à ma voix ses flots respectueux;

Tout m'inspire et m'écoute, et je vois sur ces rives
Doucement s'approcher les nymphes attentives.

Que le sujet d'abord énoncé clairement
S'enflamme d'acte en acte, et vole au dénoûment;
Qu'entre elles avec art les scènes enchaînées,
Sans peine et sans effort, du sujet semblent nées;
Qu'un seul fait, jusqu'au bout sachant m'intéresser,

1. Chénier habitait alors à Passy.

Finisse au jour, au lieu, qui l'a vu commencer.
Soigneux de nos plaisirs, amans de Melpomène,
Du sang de vos héros ne souillez point la scène;
Éveillez la pitié, quelquefois la terreur;

Mais aux crayons anglais abandonnez l'horreur;
Et, sans nous révolter, nourrissant nos alarmes,
Dans nos yeux attendris ne séchez point les larmes.
Sur ses propres enfans l'amante de Jason
De son perfide époux vengeant la trahison;
D'une main forcenée aux mânes de son père
Le fils d'Agamemnon sacrifiant sa mère;
OEdipe, épouvanté de ses affreux destins,
De ce jour qu'il souillait exilé par ses mains:
Ces spectacles hideux, supportés dans la Grèce,
A bon droit choqueraient notre délicatesse.

Aussi bien que sa sœur, il n'en faut point douter,
Thalie a des objets qu'elle doit éviter.
Contrarié, joué, consumé de faiblesse,

Accablé sous les maux qu'enfante la vieillesse,
Que Géronte, un moment cédant à leur effort,
Tombe en un lourd sommeil qui ressemble à la mort;
Ou bien que, l'œil ardent, deux vieilles décoiffées,
D'une fureur grotesque au combat échauffées,
A de fréquens assauts mêlant leur aigre voix,
D'injures et de coups se chargent à la fois;
Si devant des Français votre muse agréable
N'empruntait d'un récit le secours favorable,

Avec un long dégoût sachez que tous les
Repousseraient bientôt ces objets odieux.

yeux

Chez les Grecs inventeurs la Poésie épique
Précéda de Thespis le tombereau tragique,
Spectacle encor naissant d'un peuple ingénieux;
Mais, lorsque des héros le bras victorieux
Dans les murs de Pallas eut accru l'opulence,
Un théâtre épuré, grand, somptueux, immense,
Remplaça de Thespis les tréteaux vagabonds.
Athènes sur ses bords, désormais si féconds,
Vit fleurir trois rivaux, nés du souffle d'Homère,
Comme lui chers aux Dieux, et maîtres du vulgaire.
Siècles! prosternez-vous; Peuples! donnez des pleurs;
Hommes! partout de l'homme entendez les douleurs;
Partout la voix du ciel, la puissante nature,
La haine des forfaits, la vertu belle et pure,
Partout l'amitié sainte, et ces devoirs plus saints
De respecter les dieux et surtout d'être humains!
Républicains heureux! tout leur offrait la gloire:
Tandis que leurs drapeaux couraient à la victoire,
Le maître de Platon, du beau vraiment épris,
Faisait dans la dispute enfanter les esprits';

1. Sans doute Chénier fait ici allusion à cet esprit, à ce génie particulier, que Socrate prétendait lui servir de guide, et lui obéir constamment lorsqu'il le consultait.

Eschyle, en vers pompeux rappelant Salamine,
Étalait du grand roi l'orgueilleuse ruine;

Poètes enchanteurs, et Sages, et Guerriers:
Tous les fronts à l'envi s'ombrageaient de lauriers.

Cependant quand le tems, roi des choses humaines,
De sa grandeur première eut fait tomber Athènes,
Les fils de Romulus, ennemis des beaux-arts,
Dédaignaient Apollon sous les tentes de Mars.
Des intérêts publics l'active turbulence
Au forum, au sénat, fit tonner l'éloquence;
Et de la Grèce enfin l'exemple généreux

De leurs vers cadencés forma le pied nombreux.
Mais de cet art divin les fruits long-tems précoces
N'atteignaient point ces cœurs sublimement féroces:
Ah! la lyre est muette en des jours odieux!
Eh! comment pouviez-vous, nobles amis des Dieux,
Au milieu des combats et des paix sanguinaires,
Élever jusqu'au ciel vos palmes ordinaires?
Leurs fronts majestueux se courbaient ébranlés.
L'adroit, l'heureux Octave, en ces murs désolés,
Faisant taire à jamais les tempêtes publiques,
Appela d'Hélicon les vierges pacifiques;
Et la Grèce, égalée en ses nobles travaux,
D'un œil respectueux contempla ses rivaux.
Les uns faisaient couler les pleurs de l'élégie;
Les autres sans aigreur faisaient rire Thalie;
Le vieillard de Théos et le Chantre thébain

Unis, virent contre eux lutter un seul Romain:
Un seul fit admirer les sons de la musette
Et le chant didactique et l'altière trompette.
Mais, dût-on m'opposer Ovide et Varius,
Dont les essais vantés ne nous sont point connus,
Aucun n'a fait revivre en ses veilles brûlantes
Des tragiques héros les familles sanglantes.
L'Attique en ce grand art brillait sans héritiers;
Melpomène en frémit; et, vingt siècles entiers,
Fermant aux nations son temple et son oreille,
Dans un sommeil oisif elle attendit Corneille.

Respectez la pudeur, observez la décence.
Regnard a peu connu cette grande science:
L'honnête homme chez lui souvent parle en Crispin;
La pupille d'Albert agit même en catin.

Recherchez ses bons mots, son comique, ses grâces;
Mais sachez tout à coup abandonner ses traces,
Lorsque, bravant des mœurs le criant désaveu,
Il peint à nos regards cet impudent neveu
Qui, d'un valet matois servant l'effronterie,
Et complice enchaîné de sa friponnerie,
Voit largement s'inscrire au testament volé
Le faux oncle, de biens par soi-même comblé.
Bientôt, du vrai Géronte abusant la vieillesse,

OEuvres posthumes. II.

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