<«< Mes languissantes mains tenaient l'urne d'Émile... << Mais j'ai de mon bonheur des présages certains; « Et les dieux adoucis m'accordent tes destins.
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Regarde autour de toi : Cette terre est captive; « Du Tibre sans honneur vois l'aigle fugitive
<< Abandonnant la foudre à l'aigle des Germains; « Au joug accoutumés, les enfans des Romains « Ne savent plus rougir au nom de leurs ancêtres; « L'Empire et ses soldats, la tiare et les prêtres, « De l'Italie en pleurs s'arrachent les lambeaux;
Rome, veuve et muette, erre au fond des tombeaux. Qu'aux bords de l'Éridan, de l'Adige et du Tibre, « Le peuple roi s'éveille aux chants du peuple libre!
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« A l'auguste Vesta rends ses feux immortels!
<< Chez les enfans de Mars que Mars ait des autels! Que le Dieu qu'invoquaient Décius et Scévole
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<«< Rallume encor sa foudre, et veille au Capitole! Elle dit: d'un coup d'œil elle implore les cieux, Et fuit dans l'épaisseur des bois silencieux.
L'ART DU THÉATRE',
POËME EN QUATRE CHANTS.
FRAGMENS.
JE dirai l'art des plans, et des mœurs et du style,
Et la scène française en obstacles fertile.
Vous tous, qui recherchez les palmes de la scène, Soit que vous courtisiez Thalie ou Melpomène, Cependant qu'à mes yeux les couleurs du printems A peine encor vingt fois ont embelli nos champs, Excusez de mes vers la généreuse audace; Pardonnez si, nourri dans l'école d'Horace, J'ose vous ramener aux principes sacrés Des Jodelles nouveaux sottement abjurés! Et toi, de l'Hélicon législateur sévère! Lorsque je vois tes pas écrits dans ma carrière,
1. Chénier n'avait pas vingt ans lorsqu'il entreprit ce poëme.
Mon génie étonné, dépouillant sa vigueur, S'abandonne aux conseils d'une oisive langueur. Mais quel espoir soudain me luit et me ranime! Si j'en crois cet espoir, de ta raison sublime Le céleste flambeau va marcher devant moi; Et tu viendras m'aider à lutter contre toi. Allons, amis! surtout, si vous aimez la gloire, De mes saintes leçons gardez bien la mémoire. Aux champs élysiens, sous ces berceaux fleuris D'où se dessine au loin le fastueux Paris, Venez, je vous attends1. Des plus nobles mystères Venez tous écouter mes chants dépositaires. Du Louvre, ô mes amis! le faîte couronné Réfléchit les regards de l'amant de Daphné; La splendeur du matin perce nos doux ombrages; Ils ont des longs frimas oublié les outrages; Le fleuve, qui s'avance à pas majestueux, Ralentit à ma voix ses flots respectueux;
Tout m'inspire et m'écoute, et je vois sur ces rives Doucement s'approcher les nymphes attentives.
Que le sujet d'abord énoncé clairement S'enflamme d'acte en acte, et vole au dénoûment; Qu'entre elles avec art les scènes enchaînées, Sans peine et sans effort, du sujet semblent nées; Qu'un seul fait, jusqu'au bout sachant m'intéresser,
1. Chénier habitait alors à Passy.
Finisse au jour, au lieu, qui l'a vu commencer. Soigneux de nos plaisirs, amans de Melpomène, Du sang de vos héros ne souillez point la scène; Éveillez la pitié, quelquefois la terreur; Mais aux crayons anglais abandonnez l'horreur; Et, sans nous révolter, nourrissant nos alarmes, Dans nos yeux attendris ne séchez point les larmes. Sur ses propres enfans l'amante de Jason De son perfide époux vengeant la trahison; D'une main forcenée aux mânes de son père Le fils d'Agamemnon sacrifiant sa mère; OEdipe, épouvanté de ses affreux destins, De ce jour qu'il souillait exilé par ses mains: Ces spectacles hideux, supportés dans la Grèce, A bon droit choqueraient notre délicatesse.
Aussi bien que sa sœur, il n'en faut point douter, Thalie a des objets qu'elle doit éviter. Contrarié, joué, consumé de faiblesse, Accablé sous les maux qu'enfante la vieillesse, Que Géronte, un moment cédant à leur effort, Tombe en un lourd sommeil qui ressemble à la mort; Ou bien que, l'œil ardent, deux vieilles décoiffées, D'une fureur grotesque au combat échauffées, A de fréquens assauts mêlant leur aigre voix, D'injures et de coups se chargent à la fois; Si devant des Français votre muse agréable N'empruntait d'un récit le secours favorable,
Avec un long dégoût sachez que tous les Repousseraient bientôt ces objets odieux.
Chez les Grecs inventeurs la Poésie épique Précéda de Thespis le tombereau tragique, Spectacle encor naissant d'un peuple ingénieux; Mais, lorsque des héros le bras victorieux Dans les murs de Pallas eut accru l'opulence, Un théâtre épuré, grand, somptueux, immense, Remplaça de Thespis les tréteaux vagabonds. Athènes sur ses bords, désormais si féconds, Vit fleurir trois rivaux, nés du souffle d'Homère, Comme lui chers aux Dieux, et maîtres du vulgaire. Siècles! prosternez-vous; Peuples! donnez des pleurs; Hommes! partout de l'homme entendez les douleurs; Partout la voix du ciel, la puissante nature, La haine des forfaits, la vertu belle et pure, Partout l'amitié sainte, et ces devoirs plus saints. De respecter les dieux et surtout d'être humains! Républicains heureux! tout leur offrait la gloire: Tandis que leurs drapeaux couraient à la victoire, Le maître de Platon, du beau vraiment épris, Faisait dans la dispute enfanter les esprits 1;
1. Sans doute Chénier fait ici allusion à cet esprit, à ce génie particulier, que Socrate prétendait lui servir de guide, et lui obéir constamment lorsqu'il le consultait.
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