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AVERTISSEMENT

DU

TRADUCTEUR.

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appartenait sans doute au poète qui avait si bien chanté les amours, à ce galant Ovide,

Enfant gâté des Muses et des Grâces,
De leurs trésors brillant dissipateur,
Et des plaisirs savant législateur,

de donner des leçons de l'art d'aimer, qu'il avait appris parexpérience, et dans lequel il savait joindre l'exemple au précepte.

Les commentateurs ne sont point d'accord sur le véritable titre de cet ouvrage, qui, selon les uns, est Ars amatoria; selon les autres, Ars amandi. Ces derniers se fondent sur ce qu'Ovide lui-même dit dans le premier vers de son poëme :

Si quis in hoc artem populo non novit amandi.

Mais cela ne prouve rien; car les règles de la poésie latine ne lui permettaient pas de faire entrer dans un vers hexamètre ces mols ars amatoria. Tel est cependant l'intitulé du plus ancien manuscrit de la Bibliothèque royale; et François Jurétus, Joseph Scaliger, Claude Putéanus, Eutychès le Grammairien, Sénèque, dans ses Controverses, Aurelius Victor, dans la Vie d'Auguste, Fréculphe, livre vi de ses Chroniques, enfin tous les scoliastes, ne le désignent pas autrement. J'ai donc préféré ce titre, adopté par le savant Heinsius,

et qui répond mieux d'ailleurs au but de ce poëme, qui n'est pas d'enseigner à aimer, car nul n'a besoin de maître pour cela; mais d'enseigner à faire l'amour, ce qui est bien différent.

Autre difficulté. En supposant même qu'Ovide ait intitulé son poëme Ars amandi, comment doit-on rendre ces mots en français ? Tous les anciens interprètes, et M. de Saint-Ange lui-même, les ont traduits par l'art d'aimer. « Mais, dit M. Domergue', c'est une traduction fautive, » et voici la raison qu'il en donne : « Tous les gérondifs ne sont que des cas du participe futur passif en dus, da, dum, ainsi que l'établit le savant commentateur de la Minerve de Sanctius. Tout gérondif a donc une signification passive. Alors, ars amandi, où il faut sous-entendre sui, signifie littéralement l'art de soi devant être aimé, l'art de se faire aimer, l'art d'inspirer de l'amour, l'art de plaire. »

Voilà quatre titres pour un nous n'avons que l'embarras du choix. Procédons par ordre : 1° l'Art de soi devant être aimé est littéral sans doute, mais n'est pas français; 2o l'Art de se faire aimer, répond exactement au latin; mais il y a différentes manières de se faire aimer; on se fait aimer de ses parens, de ses amis, par sa bonté; de ses égaux, par sa politesse, par son amabilité; de ses inférieurs, par des manières affables; de tous, par sa générosité : ce titre est donc trop vague, trop peu spécial; 3° l'Art d'inspirer de l'amour est plus positif, mais trop long pour un titre; 4° l'Art de plaire: ce titre est gracieux; c'est celui que M. Pirault-des-Chaumes a cru devoir donner à sa traduction en vers dont nous aurons bientôt l'occasion de parler; et puis Voltaire a dit dans un joli quatrain à Gentil Bernard:

Au nom du Pinde et de Cythère,
Gentil Bernard est averti

Que l'Art d'aimer doit, samedi,
Venir dîner chez l'Art de plaire.

1. Solutions grammaticales, page 494.

Mais ces vers me rappellent que Bernard a composé, sur le même sujet qu'Ovide, un poëme un peu oublié aujourd'hui, mais qui eut du succès dans son temps; et ce poëme, il l'a 1 intitulé l'Art d'aimer. Cependant Bernard ne traduisait pas, et rien ne le forçait à adopter ce titre plutôt qu'un autre : ces mots, l'art d'aimer, étaient donc consacrés par l'usage pour exprimer l'art de faire l'amour; or, l'usage,

:

Quem penes arbitrium est, et jus, et norma loquendi,

l'usage est la loi suprême du langage. Horace l'a dit suivons l'avis d'Horace, et ne donnons pas à cette vaine discussion de mots plus d'importance qu'elle n'en mérite.

Une question plus grave se présente. Quelques censeurs rigoristes ont prétendu que l'Art d'aimer était un ouvrage toutà-fait immoral. Sans doute il y a dans ce poëme certains passages que l'on voudrait pouvoir en retrancher, des tableaux où, sortant des bornes de la galanterie, Ovide semble emprunter les pinceaux de l'Arétin; mais ces passages sont peu nombreux; et si les images qu'ils présentent sont un peu trop vives, du moins l'expression en est toujours décente. On me reprochera peut-être de n'avoir pas gazé ces détails dans ma traduction, de ne les avoir pas montrés dans ce demi-jour qui convient aux mystères de Vénus; mais alors, que devenait la fidélité scrupuleuse qui est le premier devoir du traducteur? Que dirait-on d'un graveur, qui, en copiant un tableau du Corrège ou de l'Albane, couvrirait les nudités du peintre? D'ailleurs, comme l'a judicieusement remarqué l'auteur des Études sur la littérature romaine1: « Aujourd'hui cette licence de langage, cette liberté de tableaux a moins d'inconvéniens peut-être. Non que ce soit, comme on l'a dit, un grand signe d'amélioration dans nos mœurs, que ce regard indifférent et froid que nous promenons sur des peintures trop vives, sur

1. M. Charpentier, dans un article sur ma traduction de Pétrone. Voir le Journal général de l'instruction publique du jeudi 23 juillet 1835.

des images irritantes; mais du moins, dans ces contemplations indiscrètes, nous apportons une pensée plus grave que celle qu'on y apportait autrefois : nous sommes assez sages ou assez vieux pour ne point nous émouvoir au spectacle des folies, des excès, des débauches romaines, et pour n'y chercher que des jouissances d'antiquaires. »

Mais, dira-t-on encore, vous êtes moins scrupuleux sur cet article que les Romains, qui pourtant ne l'étaient guère ; car ce poëme, dont la lecture n'offre, selon vous, aucun danger, a été la cause de l'exil d'Ovide? A cela je répondrai que l'Art d'aimer a pu être le prétexte, mais non pas la cause de la disgrâce de notre poète. Quel en est donc le véritable motif? je l'ignore; et, jusqu'à ce jour, on n'a présenté sur ce sujet que des conjectures dont je n'ai ni le temps ni l'intention d'examiner le plus ou moins de probabilité.

Le lieu même de l'exil d'Ovide n'est pas bien déterminé. Les uns placent la ville de Tomes, où il fut relégué, en Bulgarie, sur un bras de la mer Noire, dans l'emplacement qu'occupe maintenant la ville de Babadaji, ou plutôt celle de Tomiswar, dont le nom rappelle celui de l'ancienne Tomes. D'un autre côté, on rapporte que, lorsqu'en 1789 le fameux Potiemkin, le ministre tout-puissant de Catherine II, vint mettre le siège devant Akerman, sur les bords du Dniester, il entendit parler du lagoul Ovidouloni (lac d'Ovide) qui se trouvait dans le voisinage. Le pays fut ajouté à la domination russe, pour l'amour d'Ovide sans doute; et Catherine, dit-on, fut plus flattée de la découverte des lieux où ce grand poète était mort, que d'une importante victoire.

Quoi qu'il en soit, le poëme de l'Art d'aimer a été, sous le rapport littéraire, l'objet de jugemens passionnés, tant de la part de ses admirateurs que de celle de ses détracteurs. Jules Scaliger prétend « que les Amours et l'Art d'aimer n'offrent que des obscénités, sans sel, sans goût, sans aucune bonne qualité; que ce n'est qu'un fatras, qu'un tissu de sottises. » Celui-là, comme on voit, n'y va pas de main morte en fait

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