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suffrage. Ce ne sont plus ces poëtes qui se plaignoient jadis des rigueurs de la fortune. Aujourd'hui nul mérite n'est méconnu, nul talent ne reste sans récompense. Il faut aussi rendre justice au luxe de leur imagination. Chacun d'eux possède un magasin inépuisable de rubis, d'émeraudes, de saphirs et d'azur; et il n'y a si petit poëte qui, lorsqu'il veut nous chanter quelque chose, n'ait maintenant une harpe d'or à son

service.

C'est M. Delille qui a jeté tous ces trésors dans la circulation poétique. Ses disciples les ont ramassés avec empressement, et les prodiguent sans mesure. Ces richesses ont à peu près conservé leur valeur dans les ouvrages du maître; mais elles courent le risque de devenir une espèce de papier-monnoie entre les mains des écoliers.

Il me paroît aussi qu'on se rend plus difficile sur la rime à mesure qu'on devient plus indulgent sur la contexture du poëme et sur le mérite des pensées. Ainsi, tout se compense dans le monde. Quand je voudrai lire des vers bienimitatifs et rimés avec une exactitude scrupuleuse, je choisirai les OEuvres descriptives de nos modernes versificateurs; mais toutes les fois qu'il me plaira de chercher dans un poëme la raison ornée par les grâces, des sentimens naturels, des images sublimes et la peinture du

cœur humain, je retournerai, comme madame de Sévigné, à mes vieilles admirations.

Je connois un poëte naissant qui n'a pour Voltaire qu'une estime médiocre ; il lui reproche de s'être quelquefois servi de rimes peu exactes. J'ai conseillé au jeune censeur d'attendre qu'il eût fait un poëme comme la Henriade, ou une tragédie comme Mérope, avant de hasarder son opinion sur le génie le plus étonnant qui peutêtre ait jamais existé.

Je suis loin de blâmer les descriptions en vers; mais il me semble qu'elles doivent entrer dans un poëme, non comme but principal, mais comme ces ornemens accessoires dont un habile architecte se sert pour embellir un édifice régulier et majestueux. Un goût sévère doit présider à leur distribution. Boileau se moque du poëte minutieux qui, dans sa fureur descriptive,

« Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
» Et joyeux à sa mère offre un caillou qu'il tient. »

Cette intempérance de descriptions ne se fait remarquer que dans une littérature encore imparfaite, ou qui penchie vers son déclin. Les personnes qui ont étudié les progrès de notre langue poétique savent, qu'avant l'époque où les règles du goût furent établies par les préceptes et par

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l'exemple de Boileau, ct confirmés par les chefs-d'œuvre de Racine, de Molière et de La Fontaine, l'abus des descriptions étoit un des vices principaux de ce qu'on appeloit alors la poésie française. Chapelain, qui jouissoit d'une grande renommée au Parnasse et d'un grand crédit à la cour, nous a laissé dans le poëme de la Pucelle des descriptions qui, sauf quelques tournures surannées, exciteroient, si elles paroissoient aujourd'hui pour la première fois, l'admiration des amateurs du genre descriptif. Il mettoit aussi dans ses vers beaucoup d'or, d'argent et de pierres précieuses. Voyez comment il décrit le char pompeux qui doit conduire la belle Agnès vers le duc de Bourgogne.

Le corps en est de cèdre, et sa noble structure
D'un grand et large trône imite la figure;
Bas devant, haut derrière, avec art travaillé ;
Et partout le dehors en diamans taillé.
En forme d'échiquier, leurs pointes compassées
Luisent, d'or et d'argent, par ordre entrelacées;
Et quand l'astre du jour de ses rayons les bat,
L'une à l'envi de l'autre accroissent leur éclat.
Le dedans est couvert d'une pourpre enflammée
De fleurs d'or et d'argent en échiquier semée;
Et son grand ciel de pourpre en échiquier encor
Est semé, près à près, de fleurs d'argent et d'or.
Deux cavales, de taille entre mille égalées,
Partout sur un fond blanc de jaune pommelées,

Tiennent le court timon entr'elles arrêté,
D'or et d'argent partout à carreaux marqueté.
De ces riches métaux, mais en légères chaînes,

Furent forgés leurs traits, leurs harnois et leurs rênes;
Et le mors écumeux par
leur bouche rongé,

De ces mêmes métaux fut encore forgé.

La belle assise au char prend les guides sonnantes;
A sa tête est Roger couvert d'armes brillantes;
Ses femmes et sa suite autour d'elle à cheval,
Pour commencer leur course attendent le signal.

Tel paroît le soleil, lorsque du sein de l'onde,
Il vient sur un char d'or rendre le jour au monde,
LA PUCELLE, liv. VII.

etc.

La plupart de ces vers, et surtout les deux derniers, me paroissent d'une facture tout-à-fait moderne: au reste il ne faut pas trop mépriser Chapelain; il a composé dans un bon moment une ode adressée au cardinal de Richelieu, qui vaut beaucoup mieux que certaines productions poétiques, dont je me garderai bien de nommer les auteurs, tant je redoute le genus irritabile

vatum.

CHAPITRE IV.

Confidence du Major.

LE major Floranville est venu me voir ce matin, de très bonne heure. Freeman, mon ami, m'at-il dit en entrant, allons déjeûner chez Tortoni; j'ai de grands secrets à vous communiquer. Je n'ai pas voulu vous en instruire devant le philosophe, quand nous nous sommes rencontrés aux Tuileries. Je vous en ai seulement touché deux mots à l'oreille. Notre ami est un homme excellent; mais il a une manière d'envisager les choses si originale, que je me garderai bien de lui faire mes confidences. Je ne vais guère lui rendre visite que lorsqu'il nous donne à dîner; ou bien quand j'ai besoin de lui emprunter quelque argent.

Ne savez-vous pas lui, répondis-je, que Kerkabon est l'indulgence même ?

S'il est indulgent sur certaines matières, répliqua le major, vous m'avouerez qu'il est très sévère sur d'autres, par exemple, sur l'article des

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