Obrázky na stránke
PDF
ePub

huit cents stades de tour. Entre le couchant et le midi, la mer de Messénie formoit une brillante barrière; à l'orient et au septentrion, la chaîne du Taygète, les sommets du Lycée et les montagnes de l'Élide arrêtoient les regards. Cet horizon, unique sur la terre, rappeloit le triple souvenir de la vie guerrière, des mœurs pastorales et des fêtes d'un peuple qui comptoit les malheurs de son histoire par les époques de ses plaisirs.

Quinze ans s'étoient écoulés depuis la dédicace du temple. Démodocus vivoit paisiblement retiré à l'autel d'Homère. Sa fille Cymodocée croissoit sous ses yeux, comme un jeune olivier qu'un jardinier élève avec soin au bord d'une fontaine, et qui est l'amour de la terre et du ciel. Rien n'auroit troublé la joie de Démodocus s'il avoit pu trouver pour sa fille un époux qui l'eût traitée avec toute sorte d'égards, après l'avoir emmenée dans une maison pleine de richesses; mais aucun gendre n'osoit se présenter, parce que Cymodocée avoit eu le malheur d'inspirer de l'amour à Hiéroclès, proconsul d'Achaïe et favori de Galérius. Hiéroclès avoit demandé Cymodocée pour épouse; la jeune Messénienne avoit supplié son père de ne point la livrer à ce Romain impie, dont le seul regard la faisoit frémir. Démodocus avoit aisément cédé aux prières de sa fille : il ne pouvoit confier le sort de Cymodocée à un barbare soupçonné de plusieurs crimes, et qui, par des traitements inhumains, avoit précipité une première épouse au tombeau.

Ce refus, en blessant l'orgueil du proconsul,

n'avoit fait qu'irriter sa passion : il avoit résolu d'employer, pour saisir sa proie, tous les moyens que donne la puissance unie à la perversité. Démodocus, afin de dérober sa fille à l'amour d’Hiéroclès, l'avoit consacrée aux Muses. Il l'instruisoit de tous les usages des sacrifices: il lui montroit à choisir la génisse sans tache, à couper le poil sur le front des taureaux, à le jeter dans le feu, à répandre l'orge sacrée; il lui apprenoit surtout à toucher la lyre, charme des infortunés mortels. Souvent assis avec cette fille chérie sur un rocher élevé, au bord de la mer, ils chantoient quelques morceaux choisis de l'Iliade et de l'Odyssée: la tendresse d'Andromaque, la sagesse de Pénélope, la modestie de Nausicaa; ils disoient les maux qui sont le partage des enfants de la terre; Agamemnon sacrifié par son épouse; Ulysse demandant l'aumône à la porte de son palais; ils s'attendrissoient sur le sort de celui qui meurt loin de sa patrie, sans avoir revu la fumée de ses foyers paternels; et vous aussi, jeunes hommes, ils vous plaignoient, vous qui gardiez les troupeaux des rois vos pères, et qu'une occupation si innocente ne put sauver des terribles mains d'Achille !

Nourrie des plus beaux souvenirs de l'antiquité dans la docte familiarité des Muses, Cymodocée développoit chaque jour de nouveaux charmes. Démodocus, consommé dans la sagesse, cherchoit à tempérer cette éducation toute divine, en inspirant à sa fille le goût d'une aimable simplicité. Il aimoit à la voir quitter son luth pour aller remplir une

urne à la fontaine, ou laver les voiles du temple au courant d'un fleuve. Pendant les jours de l'hiver, lorsque, adossée contre une colonne, elle tournoit ses fuseaux à la lueur d'une flamme éclatante, il lui disoit :

«Cymodocée, j'ai cherché dès ton enfance à t'enrichir de vertus et de tous les dons des Muses, car il faut traiter notre âme, à son arrivée dans notre corps, comme un céleste étranger que l'on reçoit avec des parfums et des couronnes. Mais, ô fille d'Épicharis, craignons l'exagération, qui détruit le bon sens : prions Minerve de nous accorder la raison, qui produira dans notre naturel cette modération, sœur de la vérité, sans laquelle tout est mensonge. »

Ainsi de belles images et de sages propos charmoient et instruisoient Cymodocée. Quelque chose des Muses auxquelles elle étoit consacrée avoit passé sur son visage, dans sa voix et dans son cœur. Quand elle baissoit ses longues paupières, dont l'ombre se dessinoit sur la blancheur de ses joues, on eût cru voir la sérieuse Melpomène; mais, quand elle levoit les yeux, vous l'eussiez prise pour la riante Thalie. Ses cheveux noirs ressembloient à la fleur d'hyacinthe, et sa taille au palmier de Délos. Un jour elle étoit allée au loin cueillir le dictame avec son père. Pour découvrir cette plante précieuse, ils avoient suivi une biche blessée par un archer d'OEchalie; on les aperçut sur le sommet des montagnes : le bruit se répandit aussitôt que Nestor et la plus jeune de ses filles, la belle

Polycaste, étoient apparus à des chasseurs dans les bois d'Ira.

La fête de Diane-Limnatide approchoit, et l'on se préparoit à conduire la pompe accoutumée sur les confins de la Messénie et de la Laconie. Cette pompe, cause funeste des guerres antiques de Lacédémone et de Mécène, n'attiroit plus que de paisibles spectateurs. Cymodocée fut choisie des vieillards pour conduire le chœur des jeunes filles qui devoient présenter les offrandes à la chaste sœur d'Apollon. Dans la naïveté de sa joie, elle s'applaudissoit de ces honneurs, parce qu'ils rejaillissoient sur son père: pourvu qu'il entendît les louanges qu'on donnoit à sa fille, qu'il touchât les couronnes qu'elle avoit gagnées, il ne demandoit pas d'autre gloire ni d'autre bonheur.

ger

Démodocus, retenu par un sacrifice qu'un étranétoit venu offrir à Homère, ne put accompagner sa fille à Limné. Elle se rendit seule à la fête avec sa nourrice Euryméduse, fille d'Alcimédon de Naxos. Le vieillard étoit sans inquiétude, parce que le proconsul d'Achaïe se trouvoit alors à Rome auprès de César Galérius. Le temple de Diane s'élevoit à la vue du golfe de Messénie, sur une croupe du Taygète, au milieu d'un bois de pins, aux branches desquels les chasseurs avoient suspendu la dépouille des bêtes sauvages. Les murs de l'édifice avoient reçu du temps cette couleur de feuilles séchées que le voyageur observe encore aujourd'hui dans les ruines de Rome et d'Athènes. La statue de Diane, placée sur un autel au milieu du

temple, étoit le chef-d'œuvre d'un sculpteur célèbre. Il avoit représenté la fille de Latone debout, un pied en avant, saisissant de la main droite une flèche dans son carquois suspendu à ses épaules, tandis que la biche Cérynide, aux cornes d'or et aux pieds d'airain, se réfugioit sous l'arc que la déesse tenoit dans sa main gauche abaissée.

Au moment où la lune, au milieu de sa course, laissa tomber ses rayons sur le temple, Cymodocée, à la tête de ses compagnes, égales en nombre aux nymphes Océanies, entonna l'hymne à la Vierge Blanche. Une troupe de chasseurs répondoit à la voix des jeunes filles :

<< Formez, formez la danse légère! Doublez, ra« menez le choeur, le chœur sacré !

་་

[ocr errors]

Diane, souveraine des forêts, recevez les vœux « que vous offrent des vierges choisies, des enfants chastes, instruits par les vers de la Sibylle. Vous naquîtes sous un palmier, dans la flottante Délos. « Pour charmer les douleurs de Latone, des cygnes <<firent sept fois en chantant le tour de l'île har« monieuse. Ce fut en mémoire de leurs chants « votre divin frère inventa les sept cordes de la lyre. « Formez, formez la danse légère! Doublez, ra«menez le choeur, le chœur sacré !

que

« Vous aimez les rives des fleuves, l'ombrage des « bois, les forêts du Cragus verdoyant, du frais Al«gide et du sombre Érymanthe. Diane, qui portez « l'arc redoutable; Lune, dont la tête est ornée du <«< croissant; Hécate, armée du serpent et du glaive, «faites que la jeunesse ait des mœurs pures, la

« PredošláPokračovať »