Obrázky na stránke
PDF
ePub

contraint le sabot de tourner en rond: ce qui fait que le sabot est plutôt pâtissant que non pas agissant; comme une pierre qui est jetée en l'air, et un boulet qui sort d'un canon.

RÉPONSE.

Quand on dit qu'un sabot n'agit pas sur soi-même lorsqu'il se tourne en rond, mais seulement qu'il souffre par le fouet, encore qu'il soit absent, je voudrois bien savoir de quelle manière un corps peut souffrir d'un autre qui est absent, et comment l'action et la passion sont distinguées l'une de l'autre; car j'avoue que je ne suis pas assez subtil pour pouvoir comprendre comment une chose peut souffrir d'une autre qui n'est point présente, et même qu'on peut supposer n'être plus, si, par exemple, aussitôt que le sabot a reçu le coup de fouet, le fouet cessoit d'être. Et je

ne vois pas ce qui pourroit empêcher qu'on ne pût aussi pareillement dire qu'il n'y a plus maintenant d'actions dans le monde, mais que tout ce qui se fait sont des passions des premières actions qui ont été dès la création de l'univers. Pour moi j'ai toujours cru que l'action et la passion ne sont qu'une seule et même chose à qui on a donné deux noms différents, selon qu'elle peut être rapportée, tantôt au terme d'où part l'action, et tantôt à celui où elle se termine, ou en qui elle est reçue; en sorte qu'il répugne qu'il y ait durant le moindre moment une passion sans action.

TOME IV.

15

CHAPITRE V.

De la certitude.

$ 1.

Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'effacerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parcequ'à peine cela se peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses; et ainsi m'entretenant seulement moi-même, et considérant mon intérieur, je tâcherai de me rendre peu à peu plus connu et plus familier à moimême. Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connoît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent; car, ainsi que j'ai remarqué ci-devant, quoique les choses que je sens et que j'imagine ne soient peut-être rien du tout hors de moi et en elles-mêmes, je suis néanmoins assuré que ces façons de penser que j'appelle sentiments et imaginations, en tant seulement qu'elles sont des façons de penser, résident et se rencontrent certainement en moi. Et dans ce peu que je viens de dire, je crois avoir rapporté tout ce que je sais véritablement, ou du moins tout ce que jusques ici j'ai remarqué que je savois.

Maintenant, pour tâcher d'étendre ma connoissance plus avant, j'userai de circonspection, et considérerai avec soin si je ne pourrai point encore découvrir en moi quelques autres choses que je n'aie point encore jusques ici aperçues. Je suis assuré que je suis une chose qui pense; mais ne

[ocr errors]

sais-je donc pas aussi ce qui est requis pour me rendre certain de quelque chose? Certes, dans cette première connoissance, il n'y a rien qui m'assure de la vérité, que la claire et distincte perception de ce que je dis, laquelle de vrai ne serait pas suffisante pour m'assurer que ce que je dis est vrai, s'il pouvoit jamais arriver qu'une chose que je concevrois ainsi clairement et distinctement se trouvât fausse et partant il me semble que déjà je puis établir pour règle générale que toutes les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies.

Toutefois j'ai reçu et admis ci-devant plusieurs choses comme très certaines et très manifestes, lesquelles néanmoins j'ai reconnu par après être douteuses et incertaines. Quelles étoient donc ces choses-là? C'étoit la terre, le ciel, les astres, et toutes les autres choses que j'apercevois par l'entremise de mes sens. Or qu'est-ce que je concevois clairement et distinctement en elles? Certes rien autre chose, sinon que les idées ou les pensées de ces choses-là se présentoient à mon esprit. Et encore à présent je ne nie pas que ces idées ne se rencontrent en moi. Mais il y avoit encore une autre chose que j'assurois, et qu'à cause de l'habitude que j'avois à la croire, je pensois apercevoir très clairement, quoique véritablement je ne l'aperçusse point, à savoir qu'il y avoit des choses hors de moi d'où procédoient ces idées, et auxquelles elles étoient tout-à-fait semblables et c'étoit en cela que je me trompois; ou si peut-être je jugeois selon la vérité, ce n'étoit aucune connoissance que j'eusse qui fût cause de la vérité de mon jugement.

Mais lorsque je considérois quelque chose de fort simple et de fort facile touchant l'arithmétique et la géométrie, par exemple que deux et trois joints ensemble produisent le nombre de cinq, et autres choses semblables, ne les

concevois-je pas au moins assez clairement pour assurer qu'elles étoient vraies? Certes si j'ai jugé depuis qu'on pouvoit douter de ces choses, ce n'a point été pour autre raison que parcequ'il me venoit en l'esprit que peut-être quelque Dieu avoit pu me donner une telle nature que je me trompasse même touchant les choses qui me semblent les plus manifestes. Or toutes les fois que cette opinion cidevant conçue de la souveraine puissance d'un Dieu se présente à ma pensée, je suis contraint d'avouer qu'il lui est facile, s'il le veut, de faire en sorte que je m'abuse même dans les choses que je crois connoître avec une évidence très grande et au contraire toutes les fois que je me tourne vers les choses que je pense concevoir fort clairement, je suis tellement persuadé par elles, que de moi-même je me laisse emporter à ces paroles: Me trompe qui pourra, si est-ce qu'il ne sauroit jamais faire que je ne sois rien, tandis que je penserai être quelque chose, ou que quelque jour il soit vrai que je n'aie jamais été, étant vrai maintenant que je suis, ou bien que deux et trois joints ensemble fassent plus ni moins que cinq, ou choses semblables, que je vois clairement ne pouvoir être d'autre façon que je les conçois.

Et certes, puisque je n'ai aucune raison de croire qu'il y ait quelque Dieu qui soit trompeur, et même que je n'ai pas encore considéré celles qui prouvent qu'il y a un Dieu, la raison de douter qui dépend seulement de cette opinion est bien légère, et pour ainsi dire métaphysique. Mais afin de la pouvoir tout-à-fait ôter, je dois examiner s'il y a un Dieu, sitôt que l'occasion s'en présentera ; et si je trouve qu'il y en ait un, je dois aussi examiner s'il peut être trompeur : car, sans la connoissance de ces deux vérités je ne vois pas que je puisse jamais être certain d'aucune chose (1).

(1) Ici vient la démonstration de l'existence de Dieu. Voyez chap. XI, XII et XIII.

OBJECTION FAITE PAR UN THÉOLOGIEN OU PHILOSOPHE.

Puisque vous n'êtes pas encore assuré de l'existence de Dieu, et que vous dites néanmoins que vous ne sauriez être assuré d'aucune chose, ou que vous ne pouvez rien connoître clairement et distinctement si premièrement vous ne connoissez certainement et clairement que Dieu existe, il s'ensuit que vous ne savez pas encore que vous êtes une chose qui pense, puisque, selon vous, cette connoissance dépend de la connoissance claire d'un Dieu existant, laquelle vous n'avez pas encore démontrée, aux lieux où vous concluez que vous connoissez clairement ce que vous êtes. Ajoutez à cela qu'un athée connoît clairement et distinctement que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, quoique néanmoins il soit fort éloigné de croire l'existence de Dieu.

:

RÉPONSE.

Où j'ai dit que nous ne pouvons rien savoir certainement, si nous ne connoissons premièrement que Dieu existe j'ai dit en termes exprès que je ne parlois que de la science de ces conclusions, « dont la mémoire nous >> peut revenir en l'esprit lorsque nous ne pensons plus aux >> raisons d'où nous les avons tirées. » Car la connoissance des premiers principes ou axiomes n'a pas acoutumé d'être appelée science par les dialecticiens. Mais quand nous apercevons que nous sommes des choses qui pensent, c'est une première notion qui n'est tirée d'aucun syllogisme : et lorsque quelqu'un dit, je pense, donc je suis, ou j'existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par force de quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi; il la voit par une simple inspection de l'esprit : comme il paroît de ce que s'il la déduisoit d'un syllogisme, il auroit dû auparavant connoître cette majeure, tout ce

la

« PredošláPokračovať »