il pas meux mettre ces deux poêtes à leur véritable place, en nous faisant observer que leurs épigramines, pour avoir un même nom, n'en diffèrent pas moins essentiellement les unes des autres. Les épigrammes de Martial, et tous les petits ouvrages de poésie qu'on désigne aujourd'hui par ce nom, ne doivent leur prix, leur caractère, je dis plus, leur essence, qu'aux mots heureux ou aux traits piquants qui les assaisonnent, et par lesquels surtout elles sont ordinairement terminées. Envi sagées sous cet aspect, elles prennent différentes formes. Souvent l'épigramme est d'autant plus maligne que son venin ne se montre qu'à la suite des douceurs et des caresses de la louange; ainsi, dans la corbeille de Cléopâtre, l'aspic était caché sous les fleurs. Quelquefois semblable à ces animaux que la nature a hérissés de dards et de pointes, elle pique et blesse par tous les bouts; tantôt, après s'être longtemps cachée, elle laisse tomber tout à coup son voile, dont elle ne s'était couverte que pour exciter plus d'attention et de curiosité; tantôt, sûre de ses coups, elle se montre audacieusement à découvert, et fait briller les traits aigus et perçants dont elle est armée. Mais sous quelque forme qu'elle paraisse, on voit qu'elle n'a rien de commun avec les épigrammes de Catulle, lesquelles en général doivent surtout leur effet à la pureté du style, à la | délicatesse des tournures et au charme secret qui en embellit toutes les parties. dans nos madrigaux et nos poésies légères, il n'est aucune de leurs parties sur lesquelles l'art ne doive agir, sans que l'art doive se faire sentir dans aucune de leurs parties. Préférer les pensées brillantes, les traits ingénieux épars çà et là, dans quelque ouvrage que ce puisse être, à l'élégance, à la justesse et à l'accord répandus sur le tout ensemble, c'est préférer l'éblouissante et fugitive clarté des éclairs à la douce et constante lumière du jour. J'ai dit que nous n'avions pas aujourd'hui tous les ouvrages de Catulle. En effet, Pline, dans son Histoire naturelle, parle d'un poëme sur les enchantements en amour, dont il ne reste pas un seul mot; et Térentianus Maurus cite quelques vers tirés d'un morceau de poésie qui a également péri. Quelques savants lui ont attribué le Pervigilium Veneris; c'est une méprise où l'on n'a pu tomber qu'en confondant les ornements recherchés et superflus avec la sage et vraie richesse, l'afféterie avec la grâce, et le raffinement avec la finesse. Quant au poëme intitulé Ciris, dont quelques-uns ont voulu que Catulle fût l'auteur, et que plus communément on donne à Virgile, il n'appartient, selon moi, ni à l'un ni à l'autre. Je terminerai ce mémoire par une observation qui sans doute a été faite plus d'une fois, mais dont il paraît qu'on perd trop aisément le souvenir. On a peine à concevoir comment un poëte aussi aimable, d'un aussi bon ton, et surtout aussi pur, aussi Ces dernières ressembleraient plutôt à nos ma- élégant dans sa diction que l'était Catulle, a pu se drigaux et à nos pièces de vers que nous nommons permettre tant de mots grossiers, tant d'expressions fugitives, si la monotonie des terminaisons, la né- obscènes. Un coup d'œil jeté sur les mœurs des Rocessité des verbes auxiliaires et le manque de flexi- mains suffit pour résoudre ce problème et faire cesbilité dans les mouvements permettaient à notre ser toute surprise. Les Romains n'avaient point langue d'atteindre à la précision, à l'élégance et à avec les femmes ces conversations intimes et famil'harmonie des langues grecque et latine. Et qu'on lières de tous les jours, de toutes les heures, et sur n'imagine pas qu'il en coûte moins pour réussir dans toutes les sortes d'objets, que nous avons avec elles, celle-ci que dans les premières. Un seul mot heu- et qui, sans nous rendre plus réservés et plus chas. reux, un seul trait piquant, une seule tournure fine tes dans nos mœurs, ont dù nécessairement impriet neuve suffit pour faire le succès d'une de nos épi- mer à notre langue le caractère de la circonspecgrammes; lorsque dans celles de Catulle, ainsi quetion, de la réserve et de la pudeur. CATULLE. 1. Aqui dédier ce livret nouveau et tout frais poli à la pierre ponce? A toi, Cornélius, à toi qui estimais déjà quelque peu ces bagatelles, alors que tu osas, le premier d'entre les Romains, écrire en trois volumes l'histoire des siècles passés, œuvre savante et laborieuse, par Jupiter! Reçois donc ce livre, quel que soit son contenu, quelle que soit sa valeur; et qu'il vive, ô muse protectrice! au delà d'un siècle. II. AU MOINEAU DE LESBIE. Moineau, délices de ma maîtresse, qui joues CARMEN I. Quoi dono lepidum novum libellum, Quare habe tibi, quidquid hoc libelli est, CARMEN II. AD PASSEREM LESBIE Passer, deliciæ meæ puellæ, avec elle, qu'elle cache dans son sein, qu'elle agace avec le doigt, et dont elle provoque les vives morsures, lorsqu'elle cherche, en m'attendant, je ne sais quelles agréables distrac tions (et cela, je pense, pour alléger sa douleur, et calmer la violence de ses désirs); que ne puis-je, comme elle, jouer avec toi, et rendre moins lourds les chagrins qui m'oppressent! Ces jeux me seraient aussi doux que le fut, dit-on, à la rapide Atalante, la pomme d'or qui fit tomber enfin sa ceinture virginale. III. IL DÉPLORE LA MORT DU MOINEAU. Pleurez, Grâces, Amours, et vous tous, Quicum ludere, quem in sinu tenere, Credo, ut tum gravis acquiescat ardor), Tam gratum mihi, quam ferunt puella CARMEN III. LUCTUS IN MORTE PASSERIS. Lugete, o Veneres, Cupidinesque Il n'est plus, le moineau de ma Lesbie, moineau ses délices, et qu'elle aimait plus que ses yeux! Il était si caressant! il connaissait sa maîtresse, comme une jeune fille connaît sa mère; il ne la quittait jamais, et sautillant autour d'elle, tantôt ici, tantôt là, il la charmait par son gazouillement continu. Et maintenant il erre sur les sombres rivages d'où personne, dit-on, ne revient. Sois maudite, fatale nuit du Ténare qui ensevelis dans tes ombres tout ce qui est beau! et il était si gracieux, le moineau que tu m'as ravi! O malheur! c'est à cause de toi, pauvre petit, que les yeux gonflés de mon amie sont à présent rougis de larmes. nommes qui avez le privilége de la beauté. | dont naguère, forêt chevelue, il couronnait les rivages, troublant du sifflement de ses rameaux les sommets du Cytore. Tout cela vous fut, ajoute-t-il, tout cela vous est encore bien connu, Amastris, Cytore aux bosquets de buis, toi dont la cime porta ses ancêtres depuis l'origine la plus reculée, toi qui le vis pour la première fois plonger ses rames dans les flots. C'est de là qu'à travers les ondes furieuses, il a ramené son maître, tantôt ayant le vent à droite ou à gauche, et tantôt en poupe. Jamais, depuis son départ de mers inconnues jusqu'à son arrivée dans ce lac limpide, on n'offrit pour lui des vœux aux dieux du rivage. Mais ce temps est passé; il vieillit maintenant dans le calme du port, et se consacre à vous, Castor et Pollux, tous deux frères et jumeaux. IV. DEDICACE D'UN NAVIRE. Amis, voyez ce navire; il fut, à l'en croire, le plus rapide des esquifs, et nul autre, soit à la rame, soit à la voile, ne put le devancer à la course. Il défie de le nier, et la côte orageuse de l'Adriatique, et les Cyclades, et l'illustre Rhodes, et la Thrace inhospitalière, et la Propontide, et la mer irritée du Pont, Et quantum est hominum venustiorum! CARMEN IV. DEDICATIO PHASELI. Phaselus ille, quem videtis, hospites, V. A LESBIE. Vivons, ô ma Lesbie, vivons pour nous aimer, et que les vains murmures de la vieillesse chagrine ne nous inquiétent pas. La lumière du soleil peut s'éteindre et reparaître; mais Rhodumve nobilem, horridaшve Thraciam, CARMEN V. AD LESBIAM. Vivamus, mea Lesbia, atque amemus, nous, lorsqu'une fois la lumière de nos jours, cette lueur fugitive, s'est éteinte, il nous faut tous dormir dans une nuit éternelle. Donnemoi donc mille baisers, puis cent, puis mille autres, et encore cent et encore mille, et cent autres encore. Qu'après des milliers enfin nous en embrouillions si bien le nombre que nous ne le sachions plus, et qu'un envieux ne puisse nous jalouser en apprenant qu'il s'est donné tant de baisers. VI. A FLAVIUS. Flavius, si celle qui fait tes délices n'était pas dépourvue de charmes ni de grâces, tu me le dirais bien, et ne pourrais me le taire à moi, ton cher Catulle. Assurément tu aimes je ne sais quelle basse courtisane aux caresses fiévreuses, et tu rougis de l'avouer. Car tes nuits ne se passent pas dans le veuvage; ton lit le dit assez haut, bien qu'il soit muet; les guirlandes dont il est orné, les parfums qu'il exhale; ces carreaux, ces coussins partout foulés, tout me révèle ce que tu voudrais me Laire. Pourquoi cette allure efflanquée, si elle ne trahit tes folies nocturnes? Je veux dans Nobis, quem semel occidit brevis lux, CARMEN VI. AD FLAVIUM. Flavi, delicias tuas Catullo, Cur nunc tam latera exfutata pandas, ses contrées, ses hauts faits, ses peuples divers. Suspendu à ton cou, j'embrasserai ton aimable visage, je couvrirai tes yeux de baisers. O vous, les plus heureux des mortels, qui de vous est plus joyeux, plus heureux que moi? X. SUR LA MAITRESSE DE VARRUS. sera jamais. Heureux moments qu'ont signalés tant de joyeux ébats! Ce que tu voulais, elle le voulait aussi. Oui, de beaux jours alors brillaient pour toi! Mais elle ne veut plus maintenant. Cesse donc toi-même de vouloir puisque tu ne peux plus rien sur elle; ne poursuis plus celle qui te fuit, et cesse de vivre malheureux. Souffre avec constance; endurcis ton âme. Adieu, Lesbie. Déjà Catulle est moins Je me promenais, sans but, dans le forum, sensible: il ne te cherchera plus, ne te fati- lorsque je rencontrai Varrus, mon cher Varrus, guera plus de ses prièrès; mais tu pleureras, qui m'entraîna chez l'objet de ses amours. Au perfide, lorsque tes nuits s'écouleront sans premier coup d'oeil, je ne la trouvai dénuée qu'on implore tes faveurs. Quel sort t'est ré-ni de beauté ni de grâces. A peine entrés, servé? Qui te recherchera? qui te trouvera belle? qui aimeras-tu? de qui seras-tu la conquête? pour qui réserveras-tu tes baisers? sur quelles lèvres s'imprimeront tes morsures? Mais toi, Catulle, courage! endurcis ton âme. IX. A VERANNIUS. Verannius, ô toi le plus cher de tous mes amis ! te voilà donc rendu à tes foyers, à tes dieux pénates, à tes frères qui t'aiment tous si tendrement, à ta vieille mère. Te voilà enfin, et je vais te revoir sain et sauf; je vais écouter ces récits où tu nous dépeindras, suivant ta coutume, les mœurs de l'Espagne, Amata nobis, quantum amabitur nulla. Nunc jam illa non vult: tu quoque, impotens,noli; CARMEN IX. AD VERANNIUM Veranni, omnibus e meis amicis Visam te incolumen, audiamque Hiberum : la conversation s'engagea sur différents sujets, entre autres sur la Bythinie, sur la nature de ce pays, son état actuel avais-je retiré de mon voyage un grand profit? Je répondis, ce qui était vrai, que ni moi, ni le préteur, ni aucun de ceux qui l'accompagnaient, nous n'en étions revenus plus riches: d'autant plus que le préteur, perdu de débauche, se souciait des gens de sa suite comme d'un poil de sa barbe? Cependant, les porteurs les plus renommés viennent de ce pays, et l'on prétend que vous en avez ramené quelques-uns pour votre litière.— Moi, afin de passer pour plus heureux que les autres, aux yeux de la belle. Le destin, dis-je, ne m'a pas été si con Ut mos est tuus; applicansque collum, CARMEN X. DE VARRI SCORTO. Varrus me meus ad suos amores 13 |