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vraie, et quelle est cette vraie Religion, pourquoi, dans . l'incertitude, vous astreindriez-vous à tant de gêne, à tant de pratiques pénibles? Vous le devez cependant d'après vos principes; mais ces principes contradictoires, exigeant et supposant l'impossible, vous forcent, et c'est l'unique profit que vous en tiriez, d'être inconséquents, même dans l'erreur.

Le système de Rousseau, compatible en apparence avec toutes les Religions, les détruit donc toutes par le fait. Il détruit donc aussi toute vertu; car, dit Rousseau : « Je « n'entends pas qu'on puisse être vertueux sans Religion : « j'eus longtemps cette opinion trompeuse dont je suis «< bien désabusé 1. » Or, en détruisant la vertu, en détruisant la Religion, il détruit nécessairement la société; et c'est encore Rousseau qui le dit: « Jamais état ne fut «fondé, que la Religion ne lui servit de base. » Otez la base, que devient l'édifice? Hélas! nous ne le savons que trop; et si l'on s'y trompoit aujourd'hui, ce ne seroit pas du moins faute d'expérience.

Fondé sur cette expérience à jamais mémorable, ne nous est-il pas permis de juger la doctrine de Rousseau comme il juge lui-même celle des philosophes que nous avons réfutės précédemment, et de lui adresser ses propres paroles: « Jamais, dites-vous, la vérité n'est nuisible <«< aux homines; je le crois comme vous, et c'est, à mon <«avis, une grande preuve que ce que vous enseignez n'est « pas la vérité. »

Il tombe, aussi bien que Hobbes, de tout le poids de ses principes, dans l'indifférence absolue des Religions. L'un les déclare toutes fausses ou d'institution humaine; l'autre ue sait pas s'il en est une vraie, et, supposé qu'il y en ait

Lettre à d'Alembert sur les spectacles. 2 Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

une, il prétend qu'il est impossible de la découvrir. Dans les deux hypothèses, il est également absurde de croire, et inutile d'examiner. Ainsi la conclusion est la même; les prémisses seules sont différentes. Je ne considère ici que les maximes avouées; car, au fond, Rousseau n'évite l'athéisme, où le conduit son système, qu'en multipliant les contradictions. Quoi qu'il en soit, en prouvant qu'il existe une véritable Religion, j'achèverai de réfuter les indifférents politiques; et je réfuterai Rousseau, en montrant que Dieu a donné à tous les hommes un moyen sûr, facile, infaillible, de discerner la vraie Religion des Religions fausses.

Que si le lecteur éprouvoit de la répugnance à nous suivre dans ces discussions importantes; si, insouciant. de la vérité, il refusoit de consacrer à de sérieuses méditations quelques-uns de ces instants dont il est si prodigue pour les plaisirs, il faudroit gémir profondément sur la misère de l'homme, que tout attache, remue, intéresse, hors ses éternelles destinées.

CHAPITRE V

SUITE DES CONSIDÉRATIONS SUR LE SECOND SYSTÈME D'INDIFFÉRENCE
ET RÉFLEXIONS SUR LA RELIGION NATURELLE.

La seule difficulté qu'on rencontre en combattant les doctrines philosophiques est de les réduire à des maximes fixes et précises. Quand on y est parvenu, tout est fait; elles se réfutent d'elles-mêmes. L'erreur n'est embarrassante que lorsque, revêtant mille formes diverses, et se dérobant, par sa mobile inconséquence, à l'esprit qui veut la saisir, elle échappe, à force de variations, aux prises du raisonnement. C'est le grand art de Rousseau, et sa constante méthode. Trop pénétrant pour s'abuser sur le vice de son système, apercevant à chaque pas les objections qui se présentent en foule, il cherche à les prévenir ou à les éluder, soit par des discours ambigus, soit par des concessions formelles, qu'il révoque bientôt tacitement; et, sûr d'en imposer, à l'aide d'une souple dialectique et d'un ton passionné, au lecteur inattentif, il change à tout instant de principes et de question; passe

« Cette doctrine venant de Dieu, doit porter le sacré « caractère de la Divinité; non-seulement elle doit nous « éclaircir les idées confuses que le raisonnement en trace << dans notre esprit; mais elle doit aussi nous proposer « un culte, une morale, des maximes convenables, aux « attributs par lesquels seuls nous concevons son es« sence1»

Ou la Religion naturelle ne vient pas de Dieu, c'est-àdire, est fausse, ou elle doit présenter les caractères que Rousseau juge inséparables d'une Religion qui vient de Dieu: elle doit donc nous proposer un culte convenable aux attributs par lesquels seuls nous concevons son essence. Or, par malheur, il se trouve que plus nous nous efforçons de contempler cette essence infinie, moins nous la concevons; que nous n'avons nulle idée absolue des attributs de Dieu; que nous les affirmons sans les com. prendre, ce qui, dans le fond, est n'affirmer rien. De sorte que « si la Religion naturelle est insuffisante, c'est « par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous enseigne; » obscurités qui résultent de ce qu'elle repose sur le seul raisonnement, lequel ne trace dans notre esprit que des idées confuses de la Divinité.

Je ne ferai point remarquer l'étroit enchaînement, la parfaite concordance de ces idées, et avec combien de raison Rousseau nous vante une Religion qui laisse dans l'obscurité les grandes vérités qu'elle nous enseigne, qui ne trace dans notre esprit que des idées confuses de la Divinité, et dont les sectateurs, dans le fond, n'affirment rien, parce qu'ils ne comprennent rien. Je l'avoue, pour

Emile, t. III, p. 148.

2 Ibid.,
p. 96.
5 lbid., p. 150.

<< savoir me répondre. Je n'y vois que les crimes des <<< hommes et les misères du genre humain1. >>

A s'en tenir strictement à ce tableau, il eût été difficile de faire à chaque homme un devoir d'aimer et de suivre la religion de son pays, c'est-à-dire, de croire des contradictions absurdes, d'être orgueilleux, intolérant, cruel; de suivre et d'aimer des doctrines qui, au lieu d'établir la paix sur la terre, y portent le fer et le feu, et dans lesquelles enfin Rousseau ne voit que les crimes des hommes et les misères du genre humain.

D'un autre côté, il sentoit qu'en proscrivant les cultes dont il trace ce portrait peu flatté, on anéantiroit toute Religion parmi les hommes: et une Religion est absolument indispensable aux hommes, dans son système. N'ayant, en conséquence, que le choix des contradictions, il a sagement préféré celle qui lui étoit utile dans le moment; et, cessant de représenter les Religions positives comme fausses et pernicieuses, il les a déclarées toutes également salutaires ou également vraies. Le devoir de professer sincèrement celle où l'on est né se dé'duisoit de là sans peine, et c'est tout ce qu'il falloit à Jean-Jacques pour l'instant.

Toutefois ne pensez pas qu'il abandonne pour cela ses premières maximes. Non; y renoncer, ce seroit admettre la révélation qu'il combat. Il pose des principes pour le besoin, les laisse là quand il n'en a plus que faire, et reproduit gravement ses précédentes assertions.

Ainsi, après avoir avancé qu'un fils n'a jamais tort de suivre la religion de son père, il ajoute : « Cherchons« nous donc sincèrement la vérité? Ne donnons rien au <«< droit de la naissance et à l'autorité des pères et des « pasteurs, mais rappelons à l'examen de la conscience et

1 Émile, t. III, p. 133.

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