Obrázky na stránke
PDF
ePub

Dieu même. Nous avons vu Rousseau tomber alternativement dans ces deux excès, envier presque le sort des bétes, dont il ne se jugeoit distingué que par le triste privilége de s'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe; et vouloir que cette même raison, sans aucun appui, sans aucun guide, sans aucun enseignement étranger, décidant elle seule des plus hauts dogmes, soit l'arbitre exclusif de la foi. Or, prendre notre propre esprit pour unique règle de croyance, repousser avec dédain les vérités qu'il n'auroit pas découvertes immédiatement, interdire à Dieu le droit de nous révéler, par une autre voie, quelques-uns des secrets de son être, qu'est-ce autre chose qu'enchaîner sa sagesse et sa puissance, l'asservir aux lois qu'il nous plaît de lui dicter et soumettre l'éternelle raison à notre raison débile? Étrange délire! Qui sommesnous pour prescrire fièrement à Dieu un mode d'action, dont il ne sera pas libre de s'écarter; pour oser lui dire : voilà le seul moyen que nous te permettons d'employer pour nous éclairer ? Et si ce moyen est insuffisant, si vous convenez vous-même que notre raison sans principe n'est propre qu'à nous égarer d'erreurs en erreurs, il faudra donc, de nécessité, ou nous égarer en l'écoutant, ou lui imposer silence, et languir éternellement dans une ignorance irremediable, et dans les épaisses ténèbres d'une volontaire imbécillité? Tel est, en résultat, l'unique choix que vous laissiez à l'homme; et la vérité, pour lui, n'est plus qu'une énigme indéchiffrable, une chimère, une illusion.

Eh! qui en doute, répond Rousseau; vous ai-je dit que l'homme fût fait pour connoître la vérité, qu'il pût la découvrir, qu'il dût la chercher? Non, non, comprenez mieux ma doctrine; et souvenez-vous qu'à mes yeux,

l'homme qui pense est un animal dépravé1. Le meilleur usage de la raison est d'apprendre à n'en faire aucun usage; elle-même elle nous avertit d'étouffer sa voix trompeuse, d'anéantir en nous, autant qu'il se peut, la faculté qui conçoit et qui juge, d'éteindre avec un soin scrupuleux toutes les lumières de l'entendement. «< Puis<«< que plus les hommes savent, plus ils se trompent, le «seul moyen d'éviter l'erreur est l'ignorance. Ne jugez <«< point, vous ne vous abuserez jamais. C'est la leçon de « la nature aussi bien que de la raison 2. »

Étoit-ce la peine de tant raisonner, pour conclure par ce conseil? Comparez les méthodes aux méthodes, et les doctrines aux doctrines. Le Christianisme, en promulguant, avec autorité et sans hésitation, les vérités nécessaires à l'homme, n'exige pas qu'il les conçoive pleinement, car l'homme ne conçoit rien de la sorte; mais veut que les motifs de sa foi soient conformes à la raison, rationabile obsequium vestrum 5. La philosophie propose, en tremblant, des doutes, y oppose aussitôt d'autres doutes, et, désespérant d'arriver à rien de certain, pour éviter l'erreur qui la presse de toutes parts, renonce à la vérité, et proclame solennellement cet axiome, qui renferme en abrégé toute la sagesse humaine : détruire en soi la raison, est la leçon de la raison; et ne point penser, ne point juger, tout ignorer, est la perfection de l'être raisonnable.

La plume tombe des mains. Que dire à des hommes qui en sont venus là? Le scepticisme absolu est une doctrine sensée en comparaison d'un pareil délire. Quoi! Dieu nous a donné l'intelligence pour nous être un piége; et penser, c'est errer presque infailliblement? Enfin voilà ce que la

1 Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inégalité parmi les hommes.

Émile, t. II, P. 156. 5 Ep. ad Rom., XII, 1.

philosophie promet à ceux qui s'engagent à sa suite; l'erreur, et rien que l'erreur. On a vu, ce me semble, assez clairement, que sur ce point on peut l'en croire. Le Christianisme promet, avec non moins d'assurance, la vérité. Y auroit-il donc tant de risque à l'écouter à son tour? S'il nous trompe, qu'aurons-nous perdu? quelques-unes de ces heures dont le poids souvent nous fatigue : et ne nous restera-t-il pas toujours assez de temps à consacrer au soin sublime d'éteindre en nous la raison, et de nous élever à l'ignorance et à la sage stupidité des brutes?

CHAPITRE VI

CONSIDÉRATIONS SUR LE TROISIÈME SYSTÈME D'INDIFFÉRENCE, OU SUR LA DOCTRINE DE CEUX QUI ADMETTENT UNE religion révélée, DE MANIÈRE NÉANMOINS QU'IL SOIT PERMIS DE REJETER

LES VÉRITÉS QU'ELLE ENSEIGNE, A L'EXCEPTION DE QUELQUES ARTICLES

FONDAMENTAUX.

Quelques philosophes, nourris à l'école du protestantisme, furent conduits, en creusant opiniâtrément une seule erreur, à nier toutes les vérités religieuses, morales et politiques. Contraints, par un enchaînement de conséquences inévitables, de rejeter une cause première intelligente, ils expliquèrent l'ordre par le hasard, l'univers par le chaos, la société par l'anarchie, les devoirs par la force, la pensée même par l'étendue animée d'un mouvement aveugle. Cependant deux faits les embarrassèrent. Partout, dans tous les temps, l'homme a eu l'idée de Dieu, et lui a rendu un culte public partout, dans tous les temps, l'homme a reconnu la distinction essentielle du bien et du mal, du juste et de l'injuste; et malgré diverses méprises dans l'appréciation des actes libres, considérés. comme vertueux ou criminels, jamais aucun peuple ne confondit les notions opposées du crime et de la vertu.

ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION. 159

:

Ces notions immuables sont, avec les sentiments et les obligations qui en dérivent, la base de toute société, de même que l'existence d'un Être éternel, rémunérateur et vengeur, est l'unique fondement de ces notions. Que firent donc nos philosophes pour concilier leur système avec la conscience du genre humain? Ils convinrent de la nécessité de la Religion, et conclurent de cette nécessité même que la Religion n'étoit qu'une institution politique. Ils dirent Pour que les hommes renoncent à leur indépendance naturelle, et acceptent le joug des lois, il faut qu'ils imaginent au-dessus de leur tête une puissance infinie qui leur impose ce joug pesant, et qui réparera un jour, avec une stricte équité, les injustices du pouvoir et les torts mêmes de la fortune; sans cette croyance, point de société : les législateurs s'en aperçurent,, et ils inventèrent Dieu. Point de société encore, sans des devoirs réciproques, d'où résultent un concours général des volontés au maintien de l'ordre, et les sacrifices de l'intérêt de chacun à l'intérêt de tous; les législateurs s'en aperçurent, et ils inventèrent la morale. Telle est la doctrine des indifférents athées.

Frappés des absurdités qu'elle renferme, des suites funestes qu'elle entraine, les déistes, armés d'arguments irrésistibles, en démontrent évidemment l'extravagance et le danger. Nous vous abandonnons, disent-ils à leurs adversaires, toutes les Religions positives;. quand une d'elles seroit véritable, nous n'aurions aucun moyen de la discerner. Mais nier l'existence de Dieu, la vie future, la différence essentielle du bien et du mal, c'est s'aveugler volontairement, c'est autoriser tous les crimes, c'est renverser la société par ses fondements. Écoutez la voix intérieure; elle vous dira qu'il existe une Religion vraie, nécessaire; Religion qui repose sur la raison seule, et que nous appelons naturelle, parce que la nature l'enseigne à

« PredošláPokračovať »