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en Europe après dix années d'invasion. Jamais, depuis l'origine du monde, une telle puissance de destruction n'avoit été donnée à l'homme. Dans les révolutions ordi*naires, le pouvoir se déplace, mais descend peu. Il n'en fut pas ainsi quand l'athéisme triompha. Comme s'il eût fallu que, sous l'empire exclusif de l'homme, tout portât un caractère particulier d'abjection, la force, fuyant les nobles et hautes parties du corps social, se précipita entre les mains de ses plus vils membres, et leur orgueil, que tout offensoit, n'épargna rien. Ils ne pardonnèrent ni à la naissance, parce qu'ils étoient sortis de la boue; ni aux richesses, parce qu'ils les avoient longtemps enviées; ni aux talents, parce que la nature les leur avoit tous refusés; ni à la science, parce qu'ils se sentoient profondément ignorants; ni à la vertu, parce qu'ils étoient couverts de crimes; ni enfin au crime même, lorsqu'il annonça quelque espèce de supériorité. Entreprendre de tout ramener à leur niveau, c'étoit s'engager à tout anéantir. Aussi dès lors gouverner, ce fut proscrire, confisquer, et proscrire encore. On organisa la mort dans chaque bourgade; et, achevant avec des décrets ce qu'on avoit commencé avec des poignards, on voua des classes entières de citoyens à l'extermination; on ébranla par le divorce le fondement de la famille; on attaqua le principe même de la population, en accordant des encouragements publics au libertinage *.

Cependant la haine de l'ordre, trop à l'étroit sur ce vaste théâtre de destruction, franchit les frontières, et alla menacer sur leur trône tous les souverains de l'Europe.

*

La sagesse des législateurs de 1793 jugea les filles publiques, ou, comme on les appeloit, les filles-mères, si utiles à l'État, qu'on proposa de leur assigner des pensions sur le trésor public. On voyoit sans doute en elles les prêtresses de la Raison; et, pour conserver la Divinité, on s'occupoit de doter son culte.

316 ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION.

L'athéisme eut ses apôtres, et l'anarchie ses séides. La guerre redevenant ce qu'elle est chez les sauvages, ́on arrêta de ne faire, aucun prisonnier. L'honneur du soldat frémit, et repoussa cet ordre barbare. Mais, hors des camps, l'enfance même ne put désarmer la rage, ni attendrir les bourreaux. Je me lasse de rappeler tant d'inexpiables horreurs. La France, couverte de débris, offroit l'image d'un immense cimetière, quand, chose étonnante! voilà qu'au milieu de ces ruines, les princes mêmes du désordre, saisis d'une terreur soudaine, reculent épouvantės, comme si le spectre du néant leur eût apparu. Sentant qu'une force irrésistible les entraîne eux-mêmes au tombeau, leur orgueil fléchit tout à coup. Vaincus d'ef froi, ils proclament en hâte l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme ; et, debout sur le cadavre palpitant de la société, ils appellent à grands cris le Dieu qui seul peut la ranimer.

Je m'arrête; qu'ajouterois-je à cet exemple éternellement mémorable? Le raisonnement, l'autorité, l'expérience s'accordent donc pour démontrer que la Divinitė est le premier besoin des nations, la raison de leur existence, et que toute philosophie irréligieuse tend à détruire l'ordre social, le bonheur des peuples, et les peuples mêmes. Je prouverai maintenant que la Religion seule les' conserve et les conduit au bonheur, en les établissant dans un état conforme à la nature de la société.

CHAPITRE IV.

SUITE DU MÊME SUJET.

Écoutons d'abord la sagesse antique : << L'ignorance «< du vrai Dieu est, pour les États, la plus grande des cala<«<mités ; et qui renverse la Religion renverse le fondement « de toute société humaine 1. C'est la vérité même, que, si

Dieu n'a pas présidé à l'établissement d'une cité, et « qu'elle n'ait eu qu'un commencement humain, elle ne << peut échapper aux plus grands maux. Il faut donc tâcher, « par tous les moyens imaginables, d'imiter le régime pri<«< mitif; et, nous confiant en ce qu'il y a d'immortel dans <«< l'homme, nous devons fonder les maisons, ainsi que les États, en consacrant comme des lois les volontés de l'Intelligence suprême. Que si un État est fondé sur le vice, et gouverné par des gens qui foulent aux pieds la << justice, il ne lui reste aucun moyen de salut 2. «Les villes et les nations les plus attachées au culte divin ont toujours été les plus durables et les plus sages;

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Plat. De Leg., lib. X.

Ibid., t. VIII, édit. Bip., p. 180, 181.

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« comme les siècles les plus religieux ont toujours été les « plus distingués par le génie 1. »

Ces maximes d'une haute raison appartiennent spécialement à l'école de Socrate, la moins corrompue des anciennes écoles de philosophie, parce qu'on y avoit mieux conservé, et en plus grand nombre, les traditions primitives.

Les philosophes mêmes, qui, de nos jours, se sont fait une triste gloire de combattre la Religion, n'en ont pas moins, pour la plupart, reconnu la nécessité, au risque de passer, avec trop de justice, pour de mauvais citoyens et des hommes pervers, en s'efforçant de détruire une institution souverainement utile et même indispensable, de leur aveu. « Cherchez, dit Hume, un peuple sans Religion; << si vous le trouvez, soyez sûr qu'il ne diffère pas beau« coup des bètes brutes 2. >>

Et Voltaire : « Les hommes ont toujours eu besoin d'un «frein; et, dans tous les lieux où il existe une société, la «Religion est nécessaire; les lois sont un frein pour les <«< crimes publics, et la Religion en est un pour les crimes « secrets. )

J'ai déjà cité ce mot de Rousseau : « Jamais État ne fut « fondé que la Religion ne lui servit de base. » La raison de cet homme et son cœur l'entraînoient vers le Christianisme, que son seul orgueil repoussoit, et il s'irritoit contre la Religion, par les mêmes motifs qui lui inspiroient pour la société civile cette profonde haine qu'on remarque dans ses écrits. Mais sitôt que ses passions se calment, la vérité reprend son empire sur son esprit. C'est ainsi que, dans l'Emile, il s'étend avec complaisance sur les heureux ef

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fets de la Religion dans la société. Le passage est si frappant que je ne craindrai point de le transcrire en entier, quoique assez long, d'autant qu'il est de mon dessein de m'appuyer le plus possible sur les concessions des adversaires.

<< Un des sophismes les plus familiers au parti philosophique est d'opposer un peuple supposé de bons philosophes à un peuple de mauvais chrétiens; comme si un peuple de vrais philosophes étoit plus facile à faire qu'un peuple de vrais chrétiens. Je ne sais si, parmi les individus, l'un est plus facile à trouver que l'autre; mais je sais bien que, dès qu'il est question de peuples, il en faut supposer qui abuseront de la philosophie sans Religion, comme les nôtres abusent de la Religion sans philosophie; et cela me paroît changer beaucoup l'état de la ques -tion *.

<< Bayle a très-bien prouvé que le fanatisme est plus pernicieux que l'athéisme, et cela est incontestable **; mais ce qu'il n'a eu garde de dire, et qui n'est pas moins vrai, c'est que le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l'homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu'il ne faut que mieux diriger pour én tirer les plus sublimes vertus; au lieu que l'irréligion, et en général l'esprit raisonneur et philosophique,

* Il y a de plus cette différence essentielle, que la philosophie a une tendance directe au désordre, et y conduit, par son effet propre, quiconque raisonne et est conséquent; tandis qu'au contraire la Religion a une tendance directe à la vertu, de sorte qu'on ne peut être à la fois -icieux et croyant sans contradiction: et de là vient que le vice mène à l'incrédulité.

L'athéisme lui-même s'est chargé naguère en France de réfuter les prétendues preuves de Bayle, preuves incontestables, au jugement de Rousseau; et peu de gens seront, je crois, tentés aujourd'hui d'en désirer, au même prix, une nouvelle réfutation

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