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ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION. 47 vant pour, recueillir le fruit de la plus terrible leçon qui ait jamais effrayé la terre.

Quoi qu'en aient dit quelques sophistes, il est donc prouvé, par le fait, qu'un peuple athée ne sauroit subsister*, puisque la seule tentative de substituer l'athéisme à la Religion a bouleversé de fond en comble la société en France. Aussi l'opinion contraire, avancée d'abord comme un simple paradoxe par des hommes d'une imagination déréglée, n'a-t-elle pu devenir une croyance que pour un petit nombre d'insensés, non moins dépourvus de lumières que pleins d'orgueil, et si profondément pervertis, qu'en eux chaque pensée étoit un crime.

Dans tous les temps, on a senti que la Religion étoit l'unique fondement des devoirs, comme, à leur tour, les devoirs sont l'unique lien de la société. Rien ne peut suppléer la conscience, qui elle-même supplée tout. On a beau parler aux hommes de bien public, d'intérêt général, l'intérêt particulier sera constamment leur mobile; et la puissance même de la Religion consiste en ce qu'elle montre à chacun un intérêt immense à concourir au bien général. Il ne faut que du bon sens pour voir cela. Les législateurs de l'antiquité ne s'y méprirent point; au lieu de raisonner follement contre la Religion, ils s'en servirent pour consolider l'édifice social; ils la placèrent partout, dans la famille, près des foyers domestiques, et

* L'athée Diderot, appréciateur non suspect de sa propre doctrine, convient de ceci; et son aveu a d'autant plus de poids, qu'il est consigné dans une correspondance qui, n'étant point destinée à voir le jour, doit représenter plus fidèlement que ses autres ouvrages les véritables sentiments de l'auteur. Voici ses paroles : « On a dit quelquefois qu'un peuple chrétien, tel qu'il doit être suivant l'esprit de l'Évangile, ne sauroit subsister. Cela seroit bien plus vrai d'un peuple philosophe, s'il étoit possible d'en former un; il trouveroit sa perte, au sortir du berceau, dans le vice de sa constitution. » (Correspondance littéraire, etc., par Grimm et Diderot, t. I, p. 492,)

dans l'État, comme partie de la constitution et du gouvernement. Ils firent descendre les lois du ciel, et attachèrent, par l'opinion, quelque chose de divin à tous les événements de la vie humaine, à toutes les institutions civiles, aux objets inanimés mêmes, aux bois, aux fleuves,, aux pierres destinées à séparer les héritages; et, si l'on y regarde de près, on se convaincra que le paganisme ne multiplia les dieux à l'infini qu'à cause du besoin infini que l'homme a de la Divinité.

Quand les mœurs se corrompirent, quand la raison commença d'examiner ses croyances avec aversion, il lui fut aisé sans doute de reconnoître la fausseté du polythéisme; mais ce n'étoit pas ce qu'il y avoit de faux dans la Religion qui contrarioit les penchants du cœur, et par conséquent excitoit sa haine : aussi la philosophie, laissant l'idolâtrie en paix, dirigea principalement ses attaques contre les vérités importunes aux passions, contre les principes de la morale, contre les peines et les récompenses futures, contre l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu. La licence qu'elle protégeoit lui fournit de nombreux disciples; mais, loin de révoquer en doute la nẻcessité politique de la Religion, ils en furent tellement frappés, qu'ils la confondirent avec les institutions purement politiques, et la crurent une invention du législateur. A ce titre, elle demeura extérieurement sacrée comme les lois; et le magistrat, imbu des maximes athées d'Épicure, auroit puni, avec une inflexible sévérité, toute atteinte portée au culte établi.

Avant d'examiner ce système philosophique, il est à propos de le voir, pour ainsi dire, en action, chez les anciens et chez les modernes. C'est le plus court et le plus sûr moyen pour s'en former une juste idée.

Il s'introduisit chez les Romains vers le déclin de la république, et son origine concourt avec la décadence

des vertus publiques et privées. Cependant il pénétra d'abord parmi les grands et les riches, toujours aisément séduits par ce qui flatte l'amour-propre, tranquillise les passions et soulage le tourment de l'ennui; le peuple, assez longtemps, fut étranger à la nouvelle philosophie, et l'on doit rapporter à cette époque le tableau qu'a tracé Gibbon de l'état religieux de l'empire.

« Les différents genres de cultes qui régnoient dans le « monde romain étoient tous considérés par le peuple «< comme également vrais, par le philosophe comme égale«ment faux, par le magistrat comme également utiles et « cette tolérance produisoit non-seulement une indulgence « mutuelle, mais un véritable accord entre les religions. «La superstition du peuple n'étoit mêlée d'aucune haine, d'aucune aigreur théologique, ni enchaînée dans « le cercle d'un système exclusif. Le dévot polytheiste, tout << attaché qu'il étoit à son culte, et au rit national, admet« toit, avec une foi implicite, toutes les religions de la

<<< terre.....

<< Les philosophes conservoient, dans leurs écrits et dans << leurs conversations, l'indépendance et la dignité de leur « raison; mais, pour leurs actions, ils se soumettoient aux « règles établies par les lois et par l'usage. Regardant avec « un sourire de pitié et d'indulgence les erreurs du vulgaire, <«< ils pratiquoient avec exactitude les cérémonies religieuses « de leurs ancêtres; ils fréquentoient dévotement les temples des dieux; tel même d'entre eux, jouant un rôle sur « le théâtre de la superstition, cachoit les sentiments d'un << athée sous la robe d'un pontife. Il eût été difficile de déter« miner des hommes qui raisonnoient ainsi, à s'entre-dis«puter sur les différents modes de croyance ou de culte. Il « leur étoit fort indifférent que les folies de la multitude << prissent telle forme plutôt que telle autre : et ils appro«choient, avec le même mépris intérieur et le même respec

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<< apparent, des autels du Jupiter de Libye, de celui de l'Olympe, ou de celui du Capitole 1. »

On seroit moins surpris de la complaisance avec laquelle Gibbon peint l'incrédulité romaine, s'il en avoit ignoré les épouvantables effets. Mais il savoit mieux que personne que le mépris intérieur des philosophes, non pas seulement pour le Jupiter de Lybie et celui de l'Olympe, mais pour toute divinité quelconque, ne tarda pas à se propager parmi les dévots polytheistes, et qu'à l'exemple des grands, devenue indifférente à tout, hors au plaisir, la multitude se désabusa tellement des folies et des superstitions antiques, que l'empire, privé de l'appui qu'il empruntoit de. la Religion, chancela tout à coup comme un homme ivre, et disparut enfin dans la fange, où le trainèrent avec ignominie des peuples forts de leurs croyances et de leurs mœurs. Montesquieu ne craint pas d'attribuer sa chute à la philosophie d'Épicure, dont Gibbon admire si naïvement le résultat *. Il ne s'est pas aperçu que le tableau qu'il a voulu rendre attrayant n'est qu'une effrayante description du vice intérieur qui devoit irremediablement conduire Rome à sa perte.

Si l'on considère attentivement le genre humain, à l'époque où commence cette grande révolution, on n'aura pas de peine à démêler, à travers l'éclat des événements, les causes qui la rendoient nécessaire. Le corps social étoit épuisé, et l'apparence de vigueur qu'il continua de montrer quelque temps encore, tenoit presque unique

1 Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire romain, t. I, chap. 1.

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Bolingbrocke pense sur ce point absolument comme Montesquieu : « L'oubli et le mépris de la Religion furent, dit-il, la cause principale des maux que Rome éprouva dans la suite; la Religion et l'État déchurent dans la même proportion, » (T. IV, p. 428.)

ment à la conservation de la discipline militaire, qui s'altéra bientôt comme tout le reste. La puissance absolue des empereurs suppléa momentanément aux lois, aux mœurs, à la Religion. Il y eut je ne sais quelle triste imitation de l'ordre, parce qu'on obéit, et l'on obéit parce qu'on trembla. L'épée du légionnaire fut le sceptre avec lequel on gouverna ces fiers Romains qui avoient donné des fers au monde entier; et, comme il n'y avoit jamais eu d'exemple d'une semblable domination, jamais il n'en exista d'une pareille servitude.

A partir du règne de Tibère, on voit les âmes se dépraver à un point qui étonne même aujourd'hui; ou plutôt on voit se manifester une dégradation déjà existante, et qui n'attendoit, pour se produire au grand jour, et prendre, en quelque sorte, une solennelle possession de l'opprobre, qu'un premier exemple et un indigne salaire. A la vérité, quelques rares vertus apparoissoient encore de loin à loin dans la société, comme ces feux qu'on allume la nuit sur les bords d'une mer orageuse, pour indiquer la route au navigateur; mais elles sembloient ne briller que pour éclairer les naufrages qu'elles auroient dû prévenir. Et ces vertus elles-mêmes, examinées de sangfroid, qu'étoient-elles, après tout, que le facile courage de mourir, disons mieux, de se dérober à la fatigue de vivre? La force des plus hautes âmes consistoit à ployer sous le fardeau de ces temps effroyables. Qu'on juge du peuple entier par les exceptions.

L'esprit humain ne savoit plus où se prendre. Dépouillé de ses croyances et de ses opinions mêmes, il nageoit au hasard dans un océan immense d'incertitudes et de doutes. Il n'y avoit plus de paganisme, il n'y avoit plus même de philosophie, à moins qu'on n'appelle de ce nom ces vagues jeux de l'esprit, dont quelques Romains amusoient leurs loisirs dans les jardins de leurs villa, ou sous les

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