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disant religieuses qui ont jarnais dégradé l'esprit humain, et formant des collections de cultes, comme on rassemble des tableaux dans un muséum. Grâce à cette neuve idée, la Religion publique n'est que l'assemblage de toutes les religions particulières. On paye des ministres pour enseigner que Jésus-Christ est le sauveur du monde, et on en paye d'autres pour le nier. Le sacerdoce, avili et placé, comme un mineur, sous la tutelle de l'administration, dépend des caprices du dernier commis; et, tandis que, chez les païens, il n'étoit pas un temple qui n'eût ses revenus sacrés, pas une divinité que ses adorateurs n'eussent rendue, en quelque sorte, indépendante, en dotant ses autels, le Dieu des Chrétiens, à peine admis à une solde provisoire, figure chaque année sur un budget outrageant, comme un salarié de l'État, en attendant sans doute que le moment soit venu de le réformer.

Que la politique du siècle sourie complaisamment à ce sublime résultat de ses maximes; qu'elle s'applaudisse de la paix qu'elle a su établir entre des religions ennemies, il n'y a pas lieu de s'étonner, mais de gémir. La paix, une profonde paix, régnoit aussi dans les champs lugubres où Germanicus trouva confondus les ossements des Germains et des soldats de Varus.

Contemplez la société : c'est en l'observant d'un œil,attentif qu'on peut apprécier équitablement le système philosophique qu'on nous vante. La Religion, comme croyance, étoit partout, et son absence s'est fait sentir partout. Elle étoit dans le Gouvernement, pour veiller aux intérêts du peuple, et le protéger contre l'abus du pouvoir ou la tyrannie; elle étoit dans le peuple, pour veiller à la perpétuité du Gouvernement, et le protéger contre les entreprises de la multitude, pu l'anarchie : il résultoit de là que le Gouvernement étoit doux et fort, et le peuple libre et soumis. Mais la Religion n'a pas plutôt cessé d'être une croyance

divine, que les Gouvernements et les peuples, établis dans une sorte d'état de guerre, parce que le pouvoir sans contrepoids tend au despotisme, et l'obéissance sans sécurité à la rébellion, ont été contraints de se demander des garauties mutuelles, et de chercher leur sûreté dans des pactes illusoires, attendu que les infractions n'ont d'autre juge que les parties mêmes. Telle est la cause qui enfante en Europe cette foule de constitutions moitié monarchiques, moitié républicaines: veritables traités temporaires entre le despotisme et l'anarchie.

La Religion étoit encore dans les nations, comme ressort, comme une source d'énergie patriotique, où la société, dans les moments de crise, puisoit une force de résistance et de conservation infinie. Ce qui s'est passé de nos jours en Espagne, rend ceci bien sensible. On n'oubliera de longtemps ce cri généreux inspiré par le Christianisme à tout un peuple Mourons pour la cause juste! Et les nobles efforts de ce peuple croyant, pour maintenir son indépendance, efforts que le succès a couronnés, et devoit nécessairement couronner, sont plus remarquables encore par le contraste de la foiblesse, on pourroit dire de la lâcheté de quelques autres nations. Ainsi la Religion, en forçant l'homme à obéir au pouvoir, assure la liberté des peuples; tandis que l'incrédulité, dont l'indifférence est le dernier terme, en détruisant le principe d'obéissance, dispose à la servitude, et y conduit tôt ou tard.

La Religion intervenoit comme législatrice et comme arbitre dans toutes les transactions sociales. Le mariage lui devoit sa sainteté; et, après avoir affermi et consacré le fondement de la famille, elle la conservoit par un sage accord d'autorité et de dépendance. Toutes les institutions empruntoient d'elle quelque chose de moral; et, comme le pouvoir est nécessaire partout où il y a réunion d'êtres semblables, dans la plus petite école aussi bien que dans

le plus vaste empire, partout elle ennoblissoit l'obéissance par de sublimes motifs. Chose admirable! elle substituoit la vénération à l'envie, en montrant l'image de Dieu dans tout ce qui participoit à sa puissance. L'esprit de charité qui lui est propre rapprochoit les rangs sans les confondre, et les bienfaits, la reconnaissance, formoient les doux liens qui les unissoient. De cette sorte, et en détachant le Chrétien des intérêts temporels, elle lioit étroitement l'homme à l'homme, les familles aux familles, les générations aux générations, les peuples mêmes aux peuples. Qu'a-t-on vu succéder à cet heureux état? Dans le mariage, une brutale dissolution, et l'anéantissement du lien conjugal transformé en convention temporaire; l'anarchie dans les familles, l'aversion de l'autorité dans les inférieurs, la dureté dans les grands, et dans tous l'égoïsme; la mauvaise foi dans les contrats, le mépris sacrilége des serments, la discorde des citoyens, la haine de peuple à peuple, qui rappellent les plus horribles époques de l'histoire.

La Religion enfin existoit dans les individus comme frein. Ce frein brisé, les actions que la loi ne sauroit atteindre sont demeurées sans autre règle que les passions. Toute la morale a été écrite dans les pages du Code criminel morale effrayante, dont le magistrat est le ministre, et le bourreau le vengeur. La distinction du bien et du mal commence au pied de l'échafaud, et là seulement finit le domaine de l'indifférence. On a dit à l'homme : La Religion est une invention de l'homme; alors tout lui a paru des inventions humaines, même la société, même la justice; et, se sentant assez grand pour n'obéir qu'à Dieu, il a rejeté dédaigneusement le joug de l'homme. De ce 'moment, les lois n'ont été pour lui que des obstacles, et des' obstacles impuissants; car on n'échappe point à la conscience, mais on peut échapper à la loi; et l'espérance d'y

réussir est souvent telle, que, sans la crainte d'une vie future, il y auroit de la folie à s'abstenir de le tenter. La sagesse consiste uniquement à compenser le risque avec l'intérêt. Ainsi, non-seulement les vertus se sont évanouies, mais le crime, j'ai horreur de le dire, le crime, sans infamie comme sans remords, n'est plus qu'une simple combinaison de chances, une spéculation vulgaire, un calcul; moins que cela, un jeu dont l'enfance même amuse son oisiveté, et qui devient pour elle une habitude, avant que les passions en aient fait un besoin.

Tel est le résultat de la doctrine dont je viens d'esquisser l'histoire. Le monde l'a vue deux fois, et la dernière fois avec un caractère plus dangereux, étendre ses ravages chez les nations énervées et séduites. Il y a dix-huit siècles, elle disparut devant le Christianisme naissant : elle disparoîtra de nouveau devant le Christianisme pleinement développé, ou la société et le genre humain disparoîtront devant elle.

CHAPITRE III

SUITE DU MÈME SUJET.

On a vu dans le chapitre précédent, que le système dont on y expose l'origine et les effets, est un système funeste : nous allons prouver de plus que c'est un système absurde.

Sans Religion, point de société : la philosophie l'avoue; mais qu'en conclut-elle? que puisque la société n'a pu s'établir et se conserver qu'à l'aide des croyances religieuses, ce sont les législateurs qui ont inventé la Religion1. Demandez-lui qui sont ces législateurs à qui le genre humain est redevable d'une si importante invention : elle n'en sait rien. Priez-la de nommer au moins un peuple chez qui l'on ait vu commencer la Religion, d'assigner à peu près l'époque de cette merveilleuse découverte ses connaissances historiques ne s'étendent pas jusque-là. Si haut qu'elle remonte, elle trouve toujours une foi et un culte

Bayle lui-même réfute cette absurde opinion dans son Dictionnaire historique et critique, article Abdas, note B.

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