Obrázky na stránke
PDF
ePub

roient l'oreille à la raison. Si quelqu'un conservoit le tristé courage de nous vanter les religions politiques, au milieu des ruines de la foi, des mœurs, de la société, toutes ces ruines ensemble élèveroient la voix pour le confondre. Ainsi la Religion est indispensable dans le système, et, en admettant le système, la Religion ne sauroit subsister : lecteur, tirez la conclusion.

Mais accordons aux indifférents politiques ce qu'ils prétendent, admettons que la Religion est une erreur, la morale une erreur, et voyons ce qui s'ensuivra. Ces erreurs, de leur aveu, sont nécessaires à la société. Or l'homme ne se conserve que dans l'état de société; ce n'est non plus que dans l'état de société que ses facultés intellectuelles se développent, qu'il s'élève au-dessus de la brute, par l'exercice de sa raison, par la culture des sciences, et par la pratique des vertus. D'un autre côté, l'erreur n'existe pas nécessairement; elle a pu être ou n'être pas inventée; elle est le produit contingent de ce qu'on appelle hasard. D'où il résulte :

1° Que la société est un pur effet du hasard, et que, selon toutes les vraisemblances, le genre humain devoit périr en naissant, puisqu'il n'a pu se perpétuer qu'à l'aide d'une invention fortuite, infiniment moins probable que l'invention des aérostats; car enfin, celle-ci n'est que l'application de lois certaines et immuables, tandis que la première ne se lie à rien de réel, et n'a de fondement que dans l'imagination.

2. Que d'après les lois de la nature, qui ne sont que l'expression des vérités éternelles, ou des rapports nécessaires des êtres, la société ne devoit pas s'établir, ni le genre humain se perpétuer, et que par conséquent la vẻrité est destructive de la société, et destructive de l'homme.

3° Que le développement de ses facultés intellec.. tuelles, ou l'exercice de sa raison, qui n'a lieu que dans

l'état de société, est opposé à la nature, ou, comme s'exprime Rousseau, que « l'homme qui pense est un animal « dépravé1. »

4° Que tout ce qu'il y a de plus grand et de plus noble dans l'homme, ses lumières, son génie, ses vertus, sont le produit de l'erreur; conséquence si absurde, que Diderot lui-même établit en principe la proposition contraire: « L'erreur de droit, dit-il (ou l'erreur de doc«<trine), influe dans toute créature raisonnable et consé«quente, et ne peut manquer de la rendre vicieuse 2. »

5° Que la perfection de l'homme, et son existence même, est fondée sur la violation des lois naturelles; la connoissance de la vérité sur la persuasion de l'erreur; enfin, que sais-je? car les absurdités se compliquent, se multiplient à un point qui ne permet plus de les supputer. Et cependant il faut, ou les admettre toutes, ou abjurer la logique, ou renoncer au système d'où elles découlent nécessairement. Se peut-il qu'on hésite dans cette alternative? Se peut-il que la raison se condamne volontairement au supplice de croire, je ne dis pas ce qu'elle ne sauroit comprendre, mais ce dont elle conçoit clairement l'impossibilité? Qu'y a-t-il dans cette crédulité stupide et dégradante qui puisse flatter l'orgueil? Quiconque imagineroit en physique une théorie fondée sur d'aussi palpables contradictions exciteroit la risée et le mépris général. Or les contradictions changent-elles de nature, et deviennent-elles des preuves, lorsqu'il s'agit de renverser les devoirs et la Religion? Dans le système que j'examine, il est impossible que la Religion soit vraie; dans le même système, il est impossible qu'elle soit fausse. De ces deux propositions contradictoires, l'une est

1 Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

Essai sur le Mérite et la Vertu. part. II. sect. II.

le fondement du système, l'autre en est la conséquence. Comment sortir de là, qu'en niant la raison même, en transformant l'absurdité en motif certain de croyance? Je suis chrétien; mais je le déclare, je rejette le Christianisme, je désavoue sa doctrine, dès l'instant où l'on me montrera que ma foi repose sur une base aussi humiliante.

Je ne puis ici m'empêcher d'offrir au lecteur une réflexion que je le supplie de méditer sérieusement. En écrivant ce chapitre, je n'ai pas eu dessein de prouver la vérité de la Religion; j'ai voulu seulement réfuter un système particulier de philosophie; et pourtant la conséquence immédiate de ce qu'on vient de lire est que la Religion est nécessairement vraie, puisqu'il est évidem. ́ment absurde de la supposer fausse tant il est certain qu'on ne sauroit s'occuper de la Religion, et la considérer sous un aspect quelconque, sans que sa vérité éclate d'une manière aussi frappante qu'elle est quelquefois inattendue. Mille chemins différents aboutissent au même but, mille raisonnements divers à la même conclusion, en sorte que, dans la multitude presque infinie de preuves qui concourent à établir la plus importante des vérités, il n'est pas un seul homme, quelles que soient la nature et la portée de son esprit, qui ne découvre aisément celle qui lui convient, celle qui lui étoit, pour ainsi dire, des tinée par la Providence, pourvu néanmoins qu'il la cherche, au lieu d'employer tous ses efforts à la repousser.

En résumant les considérations développées dans ce chapitre et dans le précédent, on voit:

1°. Que la doctrine de ceux pour qui la Religion n'est qu'une institution politique, nécessaire au peuple seul, est destructive de la société, parce qu'elle est destructive de la Religion, sans laquelle on avoue que la société ne peut subsister.

2o Que cette doctrine est absurde et contradictoire; en premier lieu, parce qu'elle suppose qu'il ne sauroit exis ter de société sans Religion, et que la Religion n'a pu être inventée ou établie que dans une société déjà existante; en second lieu, parce qu'il en résulte que la société, état nécessaire, est un état contre nature, une invention fortuite, une institution arbitraire fondée sur l'erreur, et qui ne subsiste qu'à l'aide de l'erreur; que, selon les lois immuables de l'ordre, et les rapports qui dérivent de la nature des êtres, l'homme ne devoit point se conserver; qu'ainsi son existence est contraire à la nature; que les devoirs sont également contraires à la nature; le développement de la raison humaine, contraire à la nature; la vertu, contraire à la nature; que la vẻrité est une cause de désordre et de mort, l'erreur un principe de perfection et de vie ; qu'enfin il est impossible que la Religion soit vraie, et en même temps impossible qu'elle soit fausse.

5° Que ce système, ne permettant de considérer les Religions diverses et la Religion en général que sous un point de vue purement politique, repose, par conséquent, sur l'indifférence absolue de la vérité en matière de Religion. Réfuter la doctrine fondamentale de l'indifférence, ce sera donc renverser par sa base ce système particulier.

Et déjà ne serois-je pas en droit de terminer la discussion, en sommant les adversaires, ou d'abandonner leurs principes, ou de prouver qu'ils n'entraînent pas les con-séquences que je leur attribue? Mais non; je sais ce qu'il en coûte à l'homme de reconnoître qu'il s'est mépris; je sais combien longtemps il lutte contre cette douloureuse conviction. Tout ce que j'attends, tout ce que je demande, c'est qu'après avoir médité les réflexions qui précident, les philosophes à qui elles s'adressent consentent

seulement à douter, à soupçonner que peut-être il est possible qu'ils s'abusent, et que la Religion ne soit pas une invention humaine. Ce simple doute leur impose le devoir d'examiner. Ils y sont tenus comme êtres raisonnables; comme philosophes, ils y sont doublement obligés. Car enfin, que reprochent-ils si amèrement au vulgaire? de croire sans examen, par habitude, par préjugé. Or est-il honorable, est-il sage d'être incrédule, comme on soutient qu'il est absurde d'être croyant? Le peuple au moins, dans ses préjugés, se réserve l'espérance; et, s'il se trompoit, s'il falloit opter entre ce sentiment céleste et des lumières désolantes qui n'éclairent que le néant, le partage du Chrétien seroit encore assez beau.

« PredošláPokračovať »