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les entendent, qu'en réfutant les véritables. Il n'en est pas de même dans la philosophie, où, chacun croyant que tout y est problématique, peu de personnes s'adonnent à la recherche de la vérité; et même beaucoup, se voulant acquérir la réputation d'esprits forts, ne s'étudient à autre chose qu'à combattre avec arrogance les vérités les plus apparentes.

(5) C'est pourquoi, Messieurs, quelque force que puissent avoir mes raisons, parce qu'elles appartiennent à la philosophie, je n'espère pas qu'elles fassent un grand effet sur les esprits, si vous ne les prenez en votre protection. Mais l'estime que tout le monde fait de votre Compagnie étant si grande, et le nom de Sorbonne d'une telle autorité que non-seulement en ce qui regarde la foi, après les sacrés couciles, on n'a jamais tant déféré au jugement d'aucune autre Compagnie, mais aussi en ce qui regarde l'humaine philosophie, ohacun croyant qu'il n'est pas possible de trouver ailleurs plus de solidité et de connaissance, ni plus de prudence et d'intégrité pour donner son jugement, je ne doute point, si vous daignez prendre tant de soin de cet écrit que de vouloir premièrement le corriger (car ayant connaissance non-seulement de mon infirmité, mais aussi de mon ignorance, je n'oserais pas assurer qu'il n'y eût aucunes erreurs), puis après y ajouter les choses qui y manquent, achever celles qui ne sont pas parfaites, et prendre vous-mêmes la peine de donner une explication plus ample à celles qui en ont besoin, ou du moins de m'en avertir afin que j'y travaille; et enfin, après que les raisons par lesquelles je prouve qu'il y a un Dieu et que l'ame humaine diffère d'avec le corps auront été portées jusques à ce point de clarté et d'évidence, où je m'assure qu'on les peut conduire, qu'elles devront être tenues pour de très exactes démonstrations, vous daignez les autoriser de votre approbation, et rendre un témoignage public de leur vérité et certitude,

si

DESCARTES. T. I.

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je ne doute point, dis-je, qu'après cela toutes les erreurs et fausses opinions qui ont jamais été touchant ces deux questions ne soient bientôt effacées de l'esprit des hommes. Car la vérité fera que tous les doctes et gens d'esprit souscriront à votre jugement; et votre autorité, que les athées, qui sont pour l'ordinaire plus arrogans que doctes et judicieux, se dépouilleront de leur esprit de contradiction, ou que peut-être ils défendront eux-mêmes les raisons qu'ils verront être reçues par toutes les personnes d'esprit pour des démonstrations, de peur de paraître n'en avoir pas l'intelligence; et enfin tous les autres se rendront aisément à tant de témoignages, et il n'y aura plus personne qui ose douter de l'existence de Dieu et de la distinction réelle et véritable de l'ame humaine d'avec

le corps.

(6) C'est à vous maintenant à juger du fruit qui reviendrait de cette créance, si elle était une fois bien établie, vous qui voyez les désordres que son doute produit: mais je n'aurais pas ici bonne grace de recommander davantage la cause de Dieu et de la religion à ceux qui en ont toujours été les plus fermes colonnes.

PRÉFACE.

(1) J'ai déjà touché ces deux questions de Dieu et de l'ame humaine dans le Discours français que je mis en lumière, en l'année 1637, touchant la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences; non pas à dessein d'en traiter alors à fond, mais seulement comme en passant, afin d'apprendre par le jugement qu'on en ferait de quelle sorte j'en devrais traiter par après car elles m'ont toujours semblé être d'une telle importance, que je jugeais qu'il était à propos d'en parler plus d'une fois; et le chemin que je tiens pour les expliquer est si peu battu, et si éloigné de la route ordinaire, que je n'ai pas cru qu'il fût utile de le montrer en français, et dans un discours qui pût être lu de tout le monde, de peur que les faibles esprits ne crussent qu'il leur fût permis de tenter cette voie.

(2) Or, ayant prié dans ce Discours de la Méthode tous ceux qui auraient trouvé dans mes écrits quelque chose digne de censure de me faire la faveur de m'en avertir, on ne m'a rien objecté de remarquable que deux choses sur ce que j'avais dit touchant ces deux questions, auxquelles je veux répondre ici en peu de mots, avant que d'entreprendre leur explication plus exacte.

(3) La première est qu'il ne s'ensuit pas de ce que l'esprit humain, faisant réflexion sur soi-même, ne se connaît être autre chose qu'une chose qui pense, que sa nature ou son essence ne soit seulement que de penser; en telle sorte que ce mot seulement exclue toutes les autres choses qu'on pourrait peut-être aussi dire appartenir à la nature de l'ame,

(4) A laquelle objection je réponds que ce n'a point aussi été en ce lieu-là mon intention de les exclure selon l'ordre de la vérité de la chose (de laquelle je ne traitais pas alors), mais seulement selon l'ordre de ma pensée; si bien que mon sens était que je ne connaissais rien que je susse appartenir à mon essence sinon que j'étais une chose qui pense, ou une chose qui a en soi la faculté de penser. Or je ferai voir ci-après comment, de ce que je ne connais rien autre chose qui appartienne à mon essence, il s'ensuit qu'il n'y a aussi rien autre chose qui en effet lui appartienne.

(5) La seconde est qu'il ne s'ensuit pas de ce que j'ai en moi l'idée d'une chose plus parfaite que je ne suis, que cette idée soit plus parfaite que moi, et beaucoup moins que ce qui est représenté par cette idée existe.

(6) Mais je réponds que dans ce mot d'idée il y a ici de l'équivoque car ou il peut être pris matériellement pour une opération de mon entendement, et en ce sens on ne peut pas dire qu'elle soit plus parfaite que moi; ou il peut être pris objectivement pour la chose qui est représentée par cette opération, laquelle, quoiqu'on ne suppose point qu'elle existe hors de mon entendement, peut néanmoins être plus parfaite que moi, à raison de son essence. Or dans la suite de ce traité je ferai voir plus amplement comment, de cela seulement que j'ai eu moi l'idée d'une chose plus parfaite que moi, il s'ensuit que cette chose existe véritablement '.

(7) De plus, j'ai vu aussi deux autres écrits assez amples sur cette matière, mais qui ne combattaient pas tant mes raisons que mes conclusions, et ce par des argumens tirés des lieux communs des athées. Mais, parce que ces sortes d'argumens ne peuvent faire aucune impression dans l'esprit de ceux qui entendront bien mes raisons,

Voyez toute la troisième Méditation.

et

que

les jugemens de plusieurs sont si faibles et si peu rai. sonnables qu'ils se laissent bien plus souvent persuader par les premières opinions qu'ils auront eues d'une chose, pour fausses et éloignées de la raison qu'elles puissent ètre, que par une solide et véritable mais postérieurement entendue réfutation de leurs opinions, je ne veux point ici y répondre, de peur d'être premièrement obligé de les rapporter.

(8) Je dirai seulement en général que tout ce que disent les athées, pour combattre l'existence de Dieu, dépend toujours ou de ce que l'on feint dans Dieu des affections humaines, ou de ce qu'on attribue à nos esprits tant de force et de sagesse que nous avons bien la présomption de vouloir déterminer et comprendre ce que Dieu peut et doit faire; de sorte que tout ce qu'ils disent ne nous donnera aucune difficulté pourvu seulement que nous nous ressouvenions que nous devons considérer nos esprits comme des choses finies et limitées, et Dieu comme un être infini et incompréhensible.

(9) Maintenant, après avoir suffisamment reconnu les sentimens des hommes, j'entreprends derechef de traiter de Dieu et de l'ame humaine, et ensemble de jeter les fondemens de la philosophie première, mais sans en attendre aucune louange du vulgaire, ni espérer que mon livre soit vu de plusieurs. Au contraire je ne conseillerai jamais à personne de le lire sinon à ceux qui voudront avec moi méditer sérieusement, et qui pourront détacher leur esprit du commerce des sens, et le délivrer entièrement de toutes sortes de préjugés; lesquels je ne sais que trop être en fort petit nombre. Mais pour ceux qui, sans se soucier beaucoup de l'ordre et de la liaison de mes raisons, s'amuseront à épiloguer sur chacune des parties, comme font plusieurs, ceux-là, dis-je, ne feront pas grand profit de la lecture de ce traité; et bien que peutêtre ils trouvent occasion de pointiller en plusieurs lieux,

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