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je pusse avoir de leur bonne volonté fut qu'ils m'avaient convié à dîner et que leur cuisine était en désordre, et leur marmite renversée 1. » Il vit à ce voyage l'abbé d'Estrées, depuis cardinal, qui donna un dîner où l'on devait essayer de rapprocher Descartes et Gassendi, et auquel assistèrent le théologien de Launoy, l'abbé de Marolles, qui était chargé de porter la parole en faveur de la réconciliation; l'abbé de Marivaux, celui qui, voulant passer en Amérique, se noya dans la Seine à Paris; Roberval, le père Mersenne et quelques autres savans. Gassendi ayant été retenu chez lui par une indisposition, l'abbé d'Estrées lui mena toute la compagnie après le dîner, et les deux illustres rivaux s'embrasserent. Gassendi rendit à Descartes sa visite, et en reçut une seconde de notre philosophe avant le départ de celui-ci pour la Hollande. Le jour de cette réconciliation, Roberval entreprit de démontrer l'impossibilité du mouvement sans le vide; il mit dans sa démonstration beaucoup de chaleur, mais elle ne put fondre la glace de Descartes. Ils eurent plusieurs réunions chez Picot et chez Mersenne. Descartes parla toujours peu, alléguant qu'il s'abstenait de répondre pour forcer Roberval à mettre ses difficultés par écrit. Mais celuici n'y voulut jamais consentir; et plusieurs fois, dans les assemblées qui se tenaient chez de Montmor, soit pendant la vie soit après la mort de Descartes, on lui offrit la plume sans qu'il ait jamais voulu la prendre, aimant mieux profiter de la liberté de la conversation pour se contredire à son aise.

Descartes trouvait toujours l'air de Paris fort incommode à sa santé, et plus propre à lui faire concevoir des chimères que des pensées de philosophie. Les troubles de la Fronde achevèrent de le dégoûter de la capitale ; et il partit le lendemain de la journée des Barricades, pour ne plus revenir.

Il avait laissé Mersenne fort malade; à son arrivée en Hollande, il apprit la mort de cet ami. Combien ne dut-il pas pleurer celui que Baillet appelle « l'homme de M. Des

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cartes, l'ancien de ses amis et de ses sectateurs !» Descartes réclama les lettres qu'il avait écrites à ce père; mais Rober val s'était introduit dans le couvent et avait, on ne sait sous quel prétexte, décidé les religieux à lui confier cette correspondance. Après la mort du philosophe, il refusa communication de ces lettres à Clerselier qui voulait confronter les brouillons originaux restés entre les mains de Descartes avec les expéditions envoyées aux destinataires.

Rentré dans son Egmond, Descartes reprit ses travaux ordinaires et sa correspondance philosophique; ce fut à cette époque qu'il reçut les lettres d'Henri Moore ou Morus, professeur à Cambridge, et qu'il y répondit. Il apprit par les soins de Carcavi, qui avait succédé au père Mersenne en qualité de son agent philosophique à Paris, que l'expérience du Puy-de-Dôme avait réussi, et il se félicita du succès d'une expérience qu'il se flattait d'avoir conseillée deux ans auparavant, et dont il s'était avisé avant Torricelli.

Ce fut aussi vers le même temps que parut la traduction latine de la Géométrie par Schooten. On l'avait ornée du portrait de Descartes et de vers composés à sa louange par M. de Zuitlichem le fils. Notre philosophe, à qui on communiqua les épreuves, demanda qu'on supprimât les vers et le portrait qu'il ne trouvait pas très ressemblant; ou que si l'on conservait ce dernier, on effaçât la date de sa naissance et la qualité de seigneur du Perron. La première lui paraissait une sorte de complaisance pour les faiseurs d'horoscope, et la seconde un étalage de titres qui ne lui convenait pas. Mais on n'eut pas égard à ses recommandations. Descartes ne corrigea pas cette traduction, qu'il trouvait trop mauvaise, et il l'appela toujours la Géométrie de M. Schooten.

Il n'avait plus beaucoup de temps à passer dans sa chère solitude d'Egmond de Binnen. Quoique nous n'ayons pas pu descendre beaucoup dans la familiarité de sa vie intime, et qu'il ne nous ait apparu que sous les traits secs et froids d'un pur esprit; quoique les principaux événemens de sa vie ne soient que les phases de sa pensée, et que rien dans tout cela n'ait ému beaucoup notre sympathie, cependant nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment pénible, en

voyant approcher l'époque d'un voyage qui sera pour lui le dernier, dont il porta lui-même un funeste présage, et qui ressemble au chemin de son tombeau.

En 1645 Chanut avait été nominé résident de France en Suède, et Descartes, qui l'avait connu à Paris par l'entremise de Clerselier, était allé d'Egmond à Amsterdam pour le voir à son passage. De même que M. de Zuitlichem se trouvant auprès d'Élisabeth, princesse favorablement disposée pour la philosophie, avait dû lui faire connaître notre philosophe, Chanut, arrivant auprès d'une reine savante et qui recherchait les savans, tie pouvait manquer de lui parler de Descartes. Voici le portrait que Chanut nous trace de Christine : « Le visage de cette jeune reine changeait si subitement, selon les mouvemens de son esprit, que souvent d'un moment à l'autre elle n'était pas reconnaissable..., mais dans toutes ces variations il gardait toujours quelque chose de serein et d'assez agréable..... Le ton de sa voix était pour l'ordinaire assez doux pour que l'oreille pût juger aisément que c'était la voix d'une fille, quoique ses paroles, en quelque langue qu'elle parlât, eussent une fermeté tout-à-fait mâle et extraordinaire..... Elle avait la taille un peu au-dessous de la médiocre ce qui n'aurait point paru, si elle avait voulu se servir de la chaussure ordinaire des dames; mais pour sa liberté, soit dans son palais, soit dans la campagne, à cheval et à pied, elle portait des souliers à simple semelle, d'un petit maroquin noir, tout semblables à ceux des hommes.

Elle avait un grand sentiment de la Divinité, et un attachement fidèle au christianisme, n'approuvant jamais que dans les entretiens des sciences on mît à part la doctrine de la grâce pour philosopher à l'antique. Ce qui n'était pas conforme à l'Évangile passait dans son esprit pour rêveries. Sur e fait des questions qui divisent les évangéliques et les réormés d'avec nous, elle n'avait point d'aigreur dans la contestation; mais il ne paraissait pas qu'elle eût pris un si grand soin de s'informer de ces difficultés comme de celles qui nous sont faites en général par les philosophes, les Genls et les Juifs, sur lesquelles son raisonnement clair et

pressant était une marque de l'application qu'elle avait eue s'en faire instruire, et à se faire un fondement ferme pour reste de sa vie.... On peut dire que dès-lors elle n'était L thérienne que par éducation, et par le défaut de connaissan qu'elle avait de notre croyance dans sa pureté..... Sa dév tion envers Dieu paraissait plus encore dans la confian qu'elle témoignait avoir en sa protection qu'en toute aut chose, n'étant pas du reste scrupuleuse aux démonstration d'une dévotion cérémonieuse et affectée.

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Après la piété elle n'avait rien de plus pressant da l'esprit que l'amour incroyable d'une haute vertu, et el méditait avec plaisir les moyens d'y parvenir; mais elle n' séparait pas le désir de la gloire, de sorte qu'on peut di qu'elle souhaitait la vertu accompagnée de l'honneur qui suit. Elle parlait quelquefois en stoïcienne de cette éminen de la vertu, qui fait notre souverain bonheur en cette vi Elle était forte en raisonnemens sur ce sujet ; lorsqu'elle en tr tait avec des personnes très familières, et qu'elle entrait da l'estime véritable des choses de ce monde, c'était un plais extraordinaire de lui voir mettre sa couronne sous ses pied et confesser que la vertu est le seul vrai bien auquel to les hommes ont une égale prétention sans avantage de le condition. Mais, certes, elle n'oubliait pas pour long-tem qu'elle était reine : elle reprenait incontinent cette couron elle en reconnaissait le poids, et mettait le principal exerci de sa vertu à bien faire son devoir. Aussi avait-elle de gran avantages du côté de la nature pour s'en acquitter dign ment: une facilité merveilleuse à comprendre et à pénét les affaires; une mémoire qui la servait si fidèlement, qu'e abusait quelquefois de sa facilité : en effet on aurait pe être eu raison de trouver à redire qu'une princesse qui pa lait parfaitement latin, français, flamand, allemand et su dois se chargeât encore de la langue grecque, où elle fais de grands progrès; mais elle n'en faisait que son divertis ment aux heures perdues, sans que l'étude de cette langue des autres troublât ses lectures sérieuses : c'est de ce dern nom qu'elle qualifiait entre autres l'Histoire de Tacite, de I ne se passait point de jour qu'elle ne lût

elques pas

Cet auteur, qui donne de l'exercice aux plus savans, lui était très familier.... Elle évitait pourtant, ou du moins se souciait peu de paraître avoir lu et savoir. Lorsque les savans traitaient en sa présence quelques questions où ils se trouvaient de différens sentimens (ce qui était un de ses plaisirs), elle écoutait fort attentivement et ne donnait son opinion que sur la fin, et en peu de paroles, mais si bien entendue qu'elle pouvait être reçue pour un jugement décisif, parce qu'elle pénétrait les choses avec lumière et précipitation; et partout elle observait de ne point former son avis à la hâte. Cette retenue paraissait plus dans les affaires que dans les entretiens des sciences: rarement pouvait-on découvrir de que'le part elle inclinait; elle se gardait à elle-même le secret avec fidélité, et elle ne se prévenait pas d'opinion sur les premiers rapports: d'où il arrivait que ceux qui l'abordaient avec quelque discours étudié, ne trouvant pas qu'elle les reçût avec un acquiescement aussi prompt qu'ils eussent souhaité, jugeaient aussitôt que cette princesse était défiante et difficile à persuader. A dire vrai, elle penchait un peu vers l'humeur soupçonneuse; elle paraissait quelquefois un peu trop lente à s'assurer de la vérité, et trop facile à présumer de la finesse dans autrui. Cette retenue à former ce qu'elle voulait croire et résoudre n'empêchait pas une promptitude raisonnable dans l'expédition des affaires. Pour celles de sa maison, et qui dépendaient purement de son autorité absolue, elle n'en faisait part à personne; et quant au gouvernement de l'État, elle en délibérait avec le sénat dans lequel il était incroyable combien elle avait élevé son autorité, ajoutant à la qualité de reine la grace, la force de persuader, le crédit et l'humeur bienfaisante. Les sénateurs eux-mêmes, étant hors du conseil, paraissaient étonnés du pouvoir que cette jeune personne avait sur leurs sentimens, lorsqu'ils étaient assemblés. Quelques-uns d'entre eux attribuaient leur soumission extraordinaire à la qualité de fille, s'imaginant que la secrète inclination de la nature à la déférence pour ce sexe les faisait plier insensiblement. Mais il est à croire que cette grande autorité naissait des bonnes qualités qu'on voyait en sa personne: un jeune roi avec les mêmes

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