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toutes les beautés et aussi tous les défauts qui caractérisent ce que nous appellons le style oriental.

Cet exemple est une nouvelle preuve, ajoutée à beaucoup d'autres, de la fausseté des inductions qu'on a tirées du style des écrivains d'Asie, pour leur attribuer une imagination plus vive que celle des peuples du Nord, et pour êtablir l'extrême influence qu'on a voulu donner au climat sur l'esprit et le caractère des nations.

Un auteur connu, peu satisfait de ce systême des climats, a cherché la cause du tour d'esprit des Orientaux dans la forme de leur Gouvernement. Suivant cet auteur, les écrivains intimidés par le despotisme, et n'ôsant exprimer crûment des vérités désagréables, ont êté forcés de les présenter sous le voile des allégories et des paraboles; et de là le style figuré est devenu le style dominant chez ces peuples. Mais cette conjecture est encore moins heureuse que l'explication fondée sur les influences du climat.

En effet, outre que le style énigmatique et parabolique est fort différent du style orné d'images et de métaphores, le langage allégorique seroit un moyen très-peu sûr pour se mettre à couvert du ressentiment d'un despote ou de ses ministres, à moins que l'allégorie ne fut absolu

ment inintelligible; auquel cas l'auteur auroit manqué son but, et n'en resteroit pas moins exposé aux soupçons et aux interprétations malignes. Les faits sont d'ailleurs entièrement contraires à cette explication, puisqu'on retrouve ce style figuré chez les nations les plus sauvages et les plus libres, aussi bien que chez les nations soumises au despotisme; de même qu'on le trouve indifféremment et dans les climats méridionaux et sous le pôle.

C'est donc à d'autres raisons qu'il faut avoir recours pour expliquer l'emploi fréquent que certains peuples font du style figuré; et la pauvreté de leurs langues, jointe à la simplicité de leurs mœurs, en présente une bien naturelle (1). Il est certain que moins un peuple a de termes

(1) Quelque naturelle que paroisse cette explication, je crois cependant que le célèbre Warburton est le premier qui l'ait proposée dans une des savantes digressions de son grand ouvrage sur la Mission divine de Moïse; encore ne présente-t-il cette cause que comme mêlée avec plusieurs autres purement locales, et par conséquent peu propres à expliquer le phénomène dans toute sa généralité telles que le passage des symboles hiéroglyphiques dans le langage ordinaire, etc. Cette partie de l'ouvrage de Warburton a été traduite en français par M. Léonard de Malpeines, sous le titre d'Essais sur les Hieroglyphes Egyptiens. (Note de l'Auteur.)

pour exprimer les idées abstraites, plus il est obligé, pour se faire entendre, d'emprunter à chaque instant le secours des images et des métaphores, et plus en même tems le champ dẹ ses idées est nécessairement renfermé dans le cercle des objets sensibles. Moins un peuple a fait de progrès dans les arts, plus ses écrivains sont nécessités à puiser dans la nature : ce qui leur est d'autant plus aisé, que les grands tableaux qu'elle présente, et les détails de la vie champêtre leur sont familiers dès l'enfance, et ont rempli de bonne heure leur imagination d'idées poëtiques.

Chez les peuples policés, au contraire, ces objets deviennent étrangers à tous ceux qui jouissent du loisir nécessaire pour cultiver la poësie, et qui presque tous habitent dans les villes. Là, sans cesse occupés d'idées abstraites, environnés de mille inventions ingénieuses des arts, leur imagination ne peut manquer de s'appauvrir en même tems que leur esprit s'enrichit.

Ces désavantages des nations cultivées sont compensés à bien des égards par la facilité que donnent les langues perfectionnées de varier les pensées et les tours; d'éviter les répétitions; de choisir entre plusieurs expressions, la plus harmonieuse et la plus élégante; de rendre des

nuances

nuances plus fines et plus délicates; de lier les idées trop éloignées par des transitions adroites; de ménager enfin des repos à l'imagination, et d'occuper cependant l'esprit par le langage tranquille, mais encore orné de la raison. On peut ajouter que la langue polie peut toujours exprimer tout ce qu'exprime la langue sauvage, et que si elle se refuse quelquefois à en imiter les hardiesses, c'est l'effet du goût et non de l'impuissance (2); au lieu que la langue sauvage

(2) Milton et Haller ont prouvé, par leur exemple, que les langues modernes peuvent très-bien se rendre propres toutes les beautés du style oriental, et que l'imagination des Européens ne le cède en rien à celle des Asiatiques.

Le caractère des écrivains Arabes présente une autre idée aussi frappante de la facilité avec laquelle une langue riche et perfectionnée se prête à ce style figuré. La pauvreté des langues sauvages en a fait une nécessité; mais cette nécessité ne leur donne pas un titre exclusif. On

ne s'étonnera pas que ce style se soit conservé chez les Arabes, si l'on considère que leur poësie a êté probablement formée dans son origine, à l'imitation des Hébreux et des peuples voisins, dont les Arabes sont descendans; que le caractère de cette poësie a êté décidé dans un tems où ce peuple ne connoissoit encore que la vie pastorale; et qu'enfin ce ton a êté fixé et consacré parmi eux par l'induence que le style de l'Alcoran et de ses premiers prédicateurs a dû avoir sur les écrivains qui Tome IX.

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ne peut rendre aucune des idées abstraites, dont la langue perfectionnée fait un si grand usage.

Mais mon dessein n'est pas de développer ici l'influence que le plus ou le moins de perfection et de richesse des langues doit avoir sur le génie des peuples et sur le tour d'esprit de leurs écrivains; il me suffit d'avoir fait sentir en général, qu'un peuple dont la langue est pauvre, et qui n'a fait aucun progrès dans les arts, doit faire un emploi fréquent des figures et des métaphores; que la grandeur et la multiplicité des images, la hardiesse des tours, et une sorte d'irrégularité dans la marche des idées doivent faire le caractère de sa poësie.

et

L'expérience dépose en faveur de cette vérité, et l'exemple des Montagnards d'Écosse vient se joindre à celui des anciens Germains dont nous parle Tacite, des anciens habitans de la Scandinavie, des nations Américaines et des écrivains Hébreux.

les ont suivis. C'est ainsi que l'imitation du style de l'Écriture Sainte a donné parmi nous, à l'éloquence de la chaire, un ton plus relevé, qui se seroit sans doute étendu à l'éloquence profane et à notre poësie, si l'usage de lire la Bible en langue vulgaire ent êté adopté dans le culte public, pendant le tems où le génie de notre langue se fixoit. (Note de l'Auteur.)

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