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SUR LA POËSIE ALLEMANDE.

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ON ne trouve presque aucun ouvrage de M. Turgot qui ne soit une preuve de la bonté de son cœur autant que de l'étendue de ses lumières et de la beauté de son esprit.

M. Huber était maître et bon maître de langue allemande à Paris. Il en donnait des leçons à M. Turgot. Mais M. Huber ne savait encore le français que très-faiblement: ce qui n'est ni surprenant, ni repréhensible chez un Étranger.

La traduction de la Mort d'Abel est le premier travail dont ils s'occupèrent ensemble. Nous en avons presque tout le premier chant et une grande partie du quatrième de la main de M. Turgot. Comme dans toute version pour laquelle un maître et un élève se sont réunis, M. Huber eut sans doute la plus grande part à la fidélité: mais comme il arrive aussi lorsque la langue dans laquelle ils traduisent est mieux connue de l'élève que du maître, M. Turgot eut presque seul le mérite de la diction.

Il crut en devoir à son maître l'hommage honorable et utile. La difficulté êtait d'obtenir de M. Huber qu'il voulût bien l'accepter. M. Turgot le lui demanda comme un service.

Je suis Magistrat, lui dit-il (il était alors Maître

des Requêtes, et c'êtait environ un an avant sa nomination à l'Intendance de Limoges), une occupation de ce genre pourrait me nuire auprès de mes collègues et de mes supérieurs; permettez que notre traduction de la Mort d'Abel soit imprimée sous votre nom, et adoptez aussi la Préface que j'y mettrai. M. Huber n'ôsa le refuser.

L'année suivante M. Turgot traduisit seul le premier volume des Idylles que Gessner avait publié avant la Mort d'Abel, et il y mit une autre Préface.

Il en avait préparé une troisième pour le second livre des Idylles. Mais celle-là n'a point êté imprimée, la traduction ayant ête finie ou par M. Huber ou par une autre main.

Nous donnerons ces trois Préfaces, dont la dernière contient sur les Poëtes de l'Allemagne et la versification mètrique des observations très-curieuses qui seront neuves encore aujourd'hui.

M. Turgot prit et conserva dans toutes trois le nom et le caractère de M. Huber: comme Allemand, y dit-il ; et plusieurs fois, dans notre langue ou chez notre nation, en parlant de langue et de la nation Allemande.

Nous ôterons ce petit masque; et si M. Huber homme du cœur le plus honnête et le plus éloigné de toute prétention, vivait encore, il dirait avec nous que son respect et son attachement pour M. Turgot l'ont seuls forcé de le permettre.

PRÉFACE

De la Traduction de la Mort d'Abel dans la première édition.

LE poëme dont je donne la traduction est de M. Gessner, imprimeur - libraire à Zurich, qualité qui, comme on le sait par l'exemple des Etienne, ne déroge pas à celle d'érudit et de bon écrivain. Plut à Dieu même que toutes les espèces de professions, qui ont, comme ces deuxlà, une sorte de dépendance et de connexité nécessaire, fussent ainsi réunies dans les mêmes personnes. On n'entend parler que des débats et du désaccord des auteurs avec les libraires, des comédiens avec les poëtes dramatiques, des médecins avec les chirurgiens, des avocats avec les procureurs. Réunissez chacune de ces professions à celle qui la touche, vous rétablissez l'accord et la paix. L'imprimerie singulièrement, permise aux auteurs releveroit cet art, en augmenteroit l'émulation et la noblesse. L'auteur curieux de sa production, ne négligeroit ni soins ni dépense dans l'exécution typographique pour la faire paroître en public d'une manière décente.

M. Gessner au talent d'écrire et d'imprimer, joint encore celui de dessiner avec goût, de graver en cuivre. C'est toujours lui qui a exécuté les frontispices et les vignettes de ses ouvrages.

Il a donné son poëme pour la première fois en 1758, en caractères romains, comme il avoit fait pour ses autres ouvrages, qui sont tous exécutés avec la dernière élégance. Je n'imagine pas ce qui pourroit empêcher le reste de l'Allemagne de suivre cet exemple. On n'a rien de raisonnable à alléguer en faveur de l'ancien caractère allemand, qui n'approche pas du romain, pour la beauté du coup d'œil et la netteté.

Sa première édition a bientôt êté suivie d'une seconde en mêmes caractères, et celle-ci d'une troisième en lettres allemandes, en faveur de ceux qui les préfèrent encore aux romaines. La seconde et la troisième ne diffèrent que par la forme des caractères; elles ne diffèrent même toutes deux de la première que par de légères corrections, qui cependant les améliorent assez sensiblement pour les rendre préférables à celle de 1758.

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Trois éditions en un an suffisent pour faire juger que ce poëme a êté goûté en Allemagne : il ne m'appartient pas de prédire s'il le sera au

tant à Paris où son sort dépend de deux points, que j'aurois mauvaise grâce à décider. La France jugera-t-elle comme l'Allemagne? ma traduction n'aura-t-elle pas défiguré l'original? Je suspens mon jugement sur la première question; et comme Traducteur, je ne puis sans présomption prononcer sur la seconde. Une chose au moins que je sais, c'est que ce poëme paroîtra ici tout neuf, par sa structure, sa forme, son ton et c'est toujours un mérite en France. Je crois que la communication entre les diverses nations de l'Europe, leur serviroit vraisemblablement à persuader à chacune d'elles qu'il peut y avoir des genres admissibles sur quoi elles ne sont pas exercées. Qui sait si après avoir trouvé à notre Poëme un air un peu neuf, on ne s'accoutumera pas à trouver que cet air ne lui messied point? Qui sait si on ne viendra pas un jour à en faire de pareils? ce seroit en ce cas une richesse acquise à la littérature française.

Le sujet du poëme est la mort d'Abel, l'événement le plus remarquable de l'histoire sainte, après la chute de nos premiers parens dont il est la suite et l'effet. Le poëte a eu l'art d'en augmenter l'intérêt, par la manière vive et touchante dont il exprime les diverses passions, et par les grâces et la vérité qu'il met dans ses

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