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conséquence pour la comparaison des deux ouvrages, Une réputation naissante est ordinairement mieux accueillie qu'une réputation faite et il suffit peut-être que la Mort d'Abel ait paru depuis les Idylles, pour qu'elle ait êté moins louée et plus critiquée.

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Le Poëme a pour lui la noblesse du genre, la grandeur du sujet, l'invention et la disposition du plan qui réunit la richesse et la simplicité, enfin l'art avec lequel l'Auteur a su rassembler dans le même ouvrage les peintures sublimes de l'Épopée, les grâces naïves de la Pastorale, et le pathétique du Roman le plus intéressant. Les Idylles n'ont pas tous ces avantages. Je crois cependant pouvoir assurer qu'on y reconnoîtra l'empreinte du même génie. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que M. Gessner a traité les sujets de l'Idylle d'une manière neuve, en évitant également la rusticité dans laquelle sont tombés quelques Anciens, les lieux communs poëtiques tant rebattus par leurs serviles imitateurs, et la fade galanterie que les Modernes y ont si souvent substituée.

Il se vante, dans sa Préface, d'avoir pris Théocrite pour modèle. Si j'ôse dire ce que j'en pense, il a fait beaucoup mieux, il a observé la nature, et il l'a peinte. Il a du moins sur ce

Poëte l'avantage que les Modernes en général ont presque toujours sur les Anciens, qui réussissent pour l'ordinaire beaucoup mieux dans l'expression des détails que dans l'art de les arranger convenablement et d'en composer un tableau intéressant. On a quelquefois peine à deviner quel objet se sont proposé Théocrite et Virgile dans leurs pastorales; leurs ouvrages manquent souvent de dessein, d'unité et presque toujours d'intérêt. M. Gessner, enlouant les Anciens, s'est bien gardé de les imiter sur ce point. S'il a peint comme eux la Nature, il a certainement choisi avec plus de goût les objets d'imitation. Il s'est encore plus écarté de Théocrite dans une autre partie qui distingue bien avantageusement le Poëte Allemand de tous les Auteurs anciens et modernes qui se sont exercés avant lui dans le genre pastoral; c'est la partie des caractères et des mœurs de ses Bergers. Combien les sentimens d'honnêteté et de vertu qu'ils expriment d'une manière si naïve et si touchante, ne sont-ils pas préférables aux raisonnemens mystiques et aux délicatesses puériles que les Poëtes Italiens et François ont mis dans la bouche de leurs Bergers et de leurs Bergères.

Ces auteurs semblent avoir cru que des Ber

gers ne peuvent parler que d'amour; et la pluspart des Critiques modernes qui ont traité de la nature de l'Églogue, ont raisonné conformé ment à cette opinion. M. Gessner est peut-être le premier qui ait donné au genre pastoral toute l'étendue dont il est susceptible, et qui ait peint ses Bergers comme des hommes sujets à tous les besoins et toutes les affections de l'humanité, Pères enfans, époux, amis: tous ces liens dont la Nature a fait les premiers fondemens de la société, ne leur sont point étrangers. Ils sont pauvres, ils deviennent vieux, leur pauvreté et leur vieillesse ne les rendent que plus intéressans. La générosité, la bienfaisance, l'amour paternel, la tendresse filiale, le respect pour la Divinité, la douce joie qui accompagne l'innocence, sont des sentimens qui ne leur sont pas moins familiers que l'amour. Leurs entretiens présentent partout le tableau de la vertu parée des grâces de la naïveté; et l'ouvrage fait aimer l'Auteur.

A l'égard de la partie purement poëtique des Idylles, il me semble que peu d'Écrivains ont porté le mérite pittoresque aussi loin que M. Gessner; le choix des objets et des circonstances, la vérité des descriptions jusques dans les détails les plus finement aperçus, et le doux

éclat de son coloris donnent à ses paysages toute la fraîcheur de la nature. M. Gessner s'exerce quelquefois dans ses heures de loisir à manier le pinceau; je ne doute pas que l'œil du Peintre n'ait beaucoup aidé l'imagination du Poëte; et ce seroit peut-être un très-bon conseil à donner aux jeunes gens qui se destinent à la poësie, que celui de passer quelque tems dans une école de peinture. La pratique de cet arf oblige à considérer la Nature avec des yeux attentifs, et à la suivre dans un détail de circonstances où il est rare de pousser l'observation. On s'accoutume à envisager les objets sous toutes sortes de faces et sous des points de vue qui échappent au commun des homines; les images qu'on a recueillies dans cet exercice deviennent une source abondante de variété et de nouveauté dans les descriptions, et donnent au Poëte les ressources nécessaires pour éviter également l'écueil de la sécheresse, et celui des lieux com

muns.

Je ne serois point étonné qu'on reprochât en France à M. Gessner de s'attacher un peu trop à peindre, et de descendre dans un trop grand détail de circonstances. Ces détails sont un mérite aux yeux des Allemands, à qui les peintures fidèles de la nature plaisent toujours, et

qui sont peut-être plus sensibles aux beautés purement poëtiques qu'on ne l'est communément en France. M. de Voltaire a remarqué, à la fin de son Essai sur la Poësie épique, que de toutes les nations policées la Française est la moins poëtique. Ce n'est point à moi à décider quelle peut être la cause de cette différence de goût, et s'il faut croire que les Allemands sont plus sensibles, ou que les François sont plus raisonnables.

On reprochera peut-être à mon Auteur avec plus de justice d'avoir fait quelquefois passer ses personnages de la naïveté pastorale à un enthousiasme philosophique et religieux d'un ton trop élevé pour des Bergers. Il a eu soin de prévenir cette critique dans sa Préface, en nous avertissant qu'il a mis la scène de ses Idylles en Arcadie, et dans ce premier âge du monde où la vie pastorale êtant l'occupation universelle du Genre humain, êtoit compatible avec une sorte de loisir qui permettoit de cultiver jusqu'à un certain point son esprit et sa raison. Je ne sais si cette apologie est tout-à-fait satisfaisante, et je crois que la meilleure excuse de M. Gessner est dans la beauté même des morceaux qui donnent lieu au reproche.

L'Auteur s'est autorisé, par l'époque et le lieu

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