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de la société est de rendre les particuliers esclaves du public; le second est d'enhardir tout le monde à juger par soi-même; on se tâte; les plus courageux se hasardent à dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas; et à la longue la voix du public devient la voix de la nature et de la vérité, parce qu'à la longue elle devient le jugement du plus grand nombre. Mais d'abord chacun déguise son avis par la crainte que les

uns ont des autres.

Je voudrois aussi que Zilia traitât un peu de l'abus dont je viens de parler; de la manière dont on fait les mariages sans que les époux qu'on engage se connoissent, uniquement sur l'autorité des parens qui ne se déterminent que par la fortune de rang ou d'argent, ou de rang que l'on espère bien qui se traduira un jour en argent. Au point qu'un propos qui se tient tous les jours, il a fait une sottise, un mariage d'inclination, a dû beaucoup surprendre Zilia. Ce qu'elle dit à l'occasion de la mère de Céline a bien quelque rapport à cette matière, mais je crois qu'on ne peut trop y revenir, et qu'on s'en occupera long-tems avant de corriger les hommes sur cet article.

Je sais

que

les mariages d'inclination même ne réussissent pas toujours. Ainsi de ce qu'en choi

sissant on se trompe, on conclut qu'il ne faut pas choisir. La conséquence est plaisante.

Cette réflexion me conduit à un autre article bien important pour le bonheur des hommes, dont je souhaiterois que Zilia parlât. Je voudrois approfondir les causes de l'inconstance et des dégoûts entre les gens qui s'aiment. Je crois que quand on a un peu vécu avec les hommes, on s'apperçoit que les tracasseries, les humeurs, les picoteries sur des riens y mettent peut-être plus de trouble et de divisions que les choses sérieuses. Il est déplorable de voir tant de divisions et tant de personnes malheureuses précisément pour des riens. Combien d'aigreurs naissent sur un mot, sur l'oubli de quelques égards; si l'on pesoit dans une balance exacte tant de petits torts, si l'on se mettoit à la place de ceux qui les ont, si l'on pensoit combien de fois on a eu soimême des mouvemens d'humeur, combien on a oublié de choses!.... Un mot dit au désavantage de notre esprit suffit pour nous rendre irréconciliables, et cependant combien de fois nous sommes-nous trompés en pareille matière? Combien de gens d'esprit que nous avons pris pour des sots? et pourquoi d'autres n'auroient-ils pas le même droit que nous?-Mais leur amourpropre leur fait trouver du plaisir à se préférer

à nous. - De bonne foi, sans notre amour-propre, en serions-nous si choqués? L'orgueil est le plus grand ennemi de l'orgueil; ce sont deux ballons enflés qui se repoussent réciproquement: excusons celui d'autrui et craignons le nôtre. La nature, en formant les hommes si sujets à l'erreur, ne leur a donné que trop de droits à la tolérance. Eh pourquoi ce qui nous regarde en seroit-il excepté? Voilà le mal, c'est qu'il est très-rare de se juger équitablement, c'est que presque personne ne se pèse avec les autres. Nous sentons les moindres piqûres qu'on nous fait, cela doit être dans le premier mouvement et chacun pour soi; mais je voudrois qu'après ce premier mouvement on convînt qu'on a tort, du moins qu'on n'exigeât pas que les autres convinssent du leur, s'ils l'ont. Et il est très-commun que l'on ait tort des deux côtés, au moins celui de se fâcher.

Qu'il faut d'adresse pour vivre ensemble, pour être complaisant sans s'avilir, pour reprocher sans dureté, pour corriger sans empire, pour se plaindre sans humeur! - Les femmes surtout qu'on instruit à croire que tout leur est dû, ne peuvent souffrir la contradiction; c'est de toutes les dispositions d'esprit la plus propre à se rendre malheureux et tous ceux avec qui l'on vit. Rien

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au monde n'est plus triste que de songer toujours aux égards qu'on nous doit; c'est le vrai moyen d'être insupportable, c'est faire aux autres un fardeau de ces égards qu'on désire; on ne se plaît à les rendre que quand ils ne sont point exigés. Le meilleur conseil qu'on puisse donner aux gens qui vivent ensemble, est de s'avertir toujours de tous les sujets de plaintes qu'ils peuvent se donner; cela arrête dans leur source toutes les tracasseries qui deviennent si souvent des haines. Mais il faut le faire avec la confiance la plus entière, s'accoutumer à se condamner de bonne foi, à s'examiner et se juger avec une entière impartialité. Je ne parle pas d'assaisonner les plaintes par les tours les plus agréables, par un mélange de louanges et de tendresse. Que cet art est difficile! faute de se rendre propre à l'exercer, on n'ôse jamais entrer en explication; ou on ne le fait que quand l'humeur retrace les défauts de son ami, et c'est le seul moment où l'on soit incapable d'y porter la grâce et la bonté qui permettent de tout dire, de tout supporter, qui aident à tout concilier. C'est au contraire se faire une arme dangereuse des instrumens inventés pour sauver et pour guérir; ce qu'il faut surtout éviter, est de parler aux gens de ce qui nous blesse dans le moment

où nous en sommes piqués, et de commencer par laisser évanouir son humeur avant d'entrer en éclaircissement. Il est vrai que de quelque adresse

que l'on use pour adoucir les reproches, il y a des personnes qui ne savent pas les recevoir; des avis leur paroissent des gronderies; ils imaginent toujours voir dans celui qui les leur donne une affectation de supériorité et d'autorité que leur cœur repousse; et il faut avouer que c'est aussi un défaut des donneurs d'avis. J'ai souvent vu des personnes qui disoient pour toute réponse: Je suis fait comme cela, et je ne changerai pas. Ce sont des gens dont l'amourpropre embrasse leurs défauts même, qui se les incorporent et qui les chérissent autant qu'eux. Cette mauvaise disposition vient peut-être de la manière dont on nous a donné des avis dans l'enfance toujours sous la forme de reproche, de correction, avec le ton d'autorité, souvent de menace. De là une jeune personne, en sortant de la main de ses maîtres ou de ses parens, met tout son bonheur à n'avoir à rendre compte de sa conduite à personne; l'avis le plus amical lui paroît un acte d'empire, un joug, une continuation d'enfance; eh! pourquoi ne pas accoutumer les enfans à écouter les avis avec douceur, en les donnant sans amertume? Pourquoi employer

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