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Je sais qu'il y a des hommes très-peu sensibles et qui sont en même tems honnêtes, tels que Hume, Fontenelle, etc.; mais tous ont pour base de leur honnêteté la justice, et même un certain degré de bonté. Aussi reproché-je bien moins à Helvétius d'avoir eu peu de sensibilité, que d'avoir cherché à la représenter comme une bêtise ridicule, ou comme un masque d'hypocrite; de n'avoir parlé que d'exalter les passions, sans fixer la notion d'aucun devoir et sans êtablir aucun principe de justice.

Les honnêtes gens qui ne sont honnêtes que suivant les principes qu'il étale dans son livre sont certainement très-communs. Ce sont ceux que M. le Chancelier appelle des gens d'esprit.

J'oubliois encore l'affectation avec laquelle. il vous raconte les plus grandes horreurs de toute espèce, les plus horribles barbaries, et toutes les infamies de la plus vile crapule, pour déclamer contre les moralistes hypocrites ou imbéciles qui en font, dit-il, l'objet de leurs prédications, sans voir que ce sont des effets nécessaires de telle ou telle législation donnée. A propos de tous leurs vices relatifs à la débauche, il s'étend avec complaisance sur les débauches des grands hommes, comme si ces grands hommes devoient l'être pour un philosophe.

Qui a jamais douté que leur espèce de grandeur - ne fut compatible avec tous les vices imaginables? sans doute un débauché, un escroc, un meurtrier, peut-être un Schah-Nadir, un Cromwel, un Cardinal de Richelieu; mais est-ce la destination de l'homme? est-il désirable qu'il y ait de pareils hommes? Partout Helvétius ne trouve de grand que les actions éclatantes; ce n'est assurément point par cette façon de voir qu'on arrive à de justes idées sur la morale et le bonheur.

Je ne peux lui savoir gré de ses déclamations contre l'intolérance du clergé, ni contre le despotisme; 1o. parce que je n'aime pas les déclamations; 2°. parce que je ne vois nulle part dans son livre que la question de l'intolérance soit traitée de manière à adoucir, ni le clergé, ni les princes, mais seulement de manière à les irriter; 3°. parce que dans ses déclamations contre le despotisme il confond toutes les idées, il a l'air d'être ennemi de tout gouvernement, et que partout encore il affecte de désigner la France: ce qui est la chose du monde la plus gauche, la plus propre à attirer sur soi l'éclat de la persécution qui ne fait pas grand mal à un homme riche, et à en faire tomber le poids réel sur beaucoup d'honnêtes gens de lettres

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qui reçoivent le fouet qu'Helvétius avoit mérité; tandis qu'après la comédie des philosophes, à laquelle il avoit presque seul fourni matière, il faisoit sa cour à M. de Choiseul, protecteur de la pièce et de Palissot, et l'engageoit à lui faire l'honneur d'être parrain de son enfant.

Quand on veut attaquer l'intolérance et le despotisme, il faut d'abord se fonder sur des idées justes; car les inquisiteurs ont intérêt d'être intolérans, et les visirs et sous-visirs ont intérêt de maintenir tous les abus du gouvernement. Comme ils sont les plus forts, c'est leur donner raison que de se réduire à sonner le tocsin contre eux à tort et à travers. Je hais le despotisme autant qu'un autre; mais ce n'est point par des déclamations qu'il faut l'attaquer; c'est en êtablissant d'une manière démonstrative les droits des hommes. - Et puis il faut distinguer dans le despotisme des degrés; il y a une foule d'abus du despotisme auxquels les princes n'ont point d'intérêt; il y en a d'autres qu'ils ne se permettent que parce que l'opinion publique n'est pas fixée sur leur injustice et sur leurs mauvais effets. On méritera bien mieux des Nations en attaquant ces abus avec clarté, avec courage, et surtout en intéressant l'humanité, qu'en disant des injures éloquentes. Quant

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on n'insulte pas, il est rare qu'on offense. Les hommes en place sont justement choqués des expressions violentes que tout le monde comprend, et n'attachent qu'une médiocre importance aux conséquences incertaines ou éloignées des vérités philosophiques souvent contestées, et regardées par le plus grand nombre comme des problêmes.

Il n'y a pas une forme de Gouvernement qui n'ait des inconvéniens auxquels les Gouvernemens eux-mêmes voudroient pouvoir apporter remède, ou des abus qu'ils se proposent presque tous de réformer au moins dans un autre temps. On peut donc les servir tous en traitant des questions de bien public, solidement, tranquillement, non pas froidement, non pas avec emportement non plus, mais avec cette chaleur intéressante qni naît d'un sentiment profond de justice et de l'amour de l'ordre. — Il ne faut pas croire que persécuter soit un plaisir. Voyez combien J. J. Rousseau a inspiré d'intérêt malgré ses folies, et combien il seroit respecté si son amour-propre avoit êté raisonnable, Il a êté décrété, il est vrai, par le Parlement; mais 1°. c'est parce qu'il avoit eu la manie de mettre son nom à Emile. 2°. Le Parlement auroit êté bien fâché de le prendre, et si Rousseau

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eût voulu, il eût facilement. évité cet orage en se cachant deux ou trois mois. Il n'a êté vraiment persécuté que par les Genêvois; mais c'est parce qu'il êtoit en effet l'occasion de leurs troubles intérieurs, et parce qu'ils avoient peur de lui.

Avec le ton d'honnêteté on peut tout dire, et encore plus quand on y joint le poids de la raison et quelques légères précautions peu difficiles à prendre. Je sais gré à Rousseau de presque tous ses ouvrages; mais quel cas puis-je faire d'un déclamateur tel qu'Helvétius, qui dit des injures véhèmentes, qui répand des sarcasmes amers sur les Gouvernemens en général, et qui se charge d'envoyer à Frédéric une colonie de travailleurs en finance; et qui en déplorant les malheurs de sa patrie où le despotisme est, dit-il, parvenu au dernier degré d'oppression, et la Nation au dernier degré de corruption et de bassesse, ce qui n'est pas du tout vrai, va prendre pour ses héros le Roi de Prusse et la Czarine? Je ne vois dans tout cela que de la vanité, de l'esprit de parti, une tête exaltée; je n'y vois ni amour de l'humanité, ni philosophie.

En voilà plus long sur Helvétius que je ne croyois vous en écrire en commençant; mais je

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