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352 L'ABBÉ DE SAINT-CYRAN: JANSÉNIUS.

éloigné et des excès de Calvin, et des adoucissemens par lesquels ils reprochoient à Molina d'avoir altéré l'austérité du dogme. En France, plusieurs personnes éclairées et pieuses, qui joignoient au même respect pour S. Augustin la même haine pour la Société fondée par S. Ignace, aimoient à se rallier à ces Docteurs Flamands, et entretenoient avec eux des correspondances. Le célèbre Du Verger, Abbé de St.-Cyran, êtoit à la tête de ce parti.

Cependant les Jésuites avoient réussi à faire condamner à Rome quelques propositions hasardées extraites des ouvrages d'un Docteur de l'Université de Louvain. - Pendant ce tems, Corneille Jansen, Évêque d'Ypres, si connu sous le nom de Jansénius, homme respectable par sa science et par ses mœurs, et fort éloigné de prévoir qu'un jour son nom deviendroit un signal de discorde et de haine, s'occupoit dans le silence du cabinet à méditer et à rédiger en corps de systême les principes qu'il avoit cru reconnoître dans les écrits du Docteur de la Grâce. Il écrivit son ouvrage en latin, et l'intitula Augustinus; il le finit en le soumettant au jugement de l'Église, et mourut paisiblement avant de l'avoir fait imprimer.

Lorsque ses amis le publièrent après sa mort,

toute

toute l'école de Molina fut soulevée; mais l'ouvrage eut une foule d'approbateurs, et dans les Pays-Bas et en France. Arnauld et les Solitaires de Port-Royal, amis de S.-Cyran, prirent ouvertement la défense de l'Évêque d'Ypres; la fureur des Jésuites n'en fut que plus irritée ; à l'intérêt de soutenir l'honneur de leur ; théologie attaquée, se joignoit le désir de se venger d'une société de Savans qui n'êtoient pas seulement pour eux des ennemis, mais des rivaux par lesquels ils se voyoient déjà éclipsés dans presque tous les genres de littérature. Ils firent les plus grands efforts pour obtenir à Rome la condamnation de l'Augustinus; et le Pape, en effet, condamna en masse cinq propositions extraites ou plustôt rédigées d'après ce livre, comme renfermant en substance, sous cinq chefs, tout le fondement de la doctrine qu'il contient.

Nous ne pouvons ici nous refuser à une observation et aux réflexions qu'elle fait naître. Ce livre de Jansenius est un énorme in-folio, dont tout l'objet est d'êtablir quelle a êté, suivant l'auteur, l'opinion de S. Augustin sur quelques points de théologie fort difficiles en eux-mêmes, et sur lesquels tout ce qui est essentiel à la foi est suffisamment êtabli par les difféTome IX.

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pas, et

354 LE LIVRE DE JANSEN N'A PAS ÊTÉ LU; rentes décisions de l'Église. Ce livre est écrit dans une langue que le peuple n'entend il n'a jamais êté traduit dans aucune langue. La forme et le style non-seulement n'ont rien d'agréable, mais sont plustôt propres à rebuter le plus grand nombre des lecteurs. Et il faut bien que cela soit, puisque après tout l'éclat qui a suivi la condamnation de ce livre, malgré l'acharnement avec lequel il a êté attaqué et défendu par deux partis opposés pendant un siècle entier, il n'est presque pas possible de trouver un homme qui l'ait lu, je ne dis pas parmi les gens du monde, je ne dis pas parmi les gens de lettres, mais parmi les Théologiens, parmi ses plus ardens adversaires, parmi ses plus zélés partisans, parmi ceux qui l'ont défendu au prix de leur fortune et de leur liberté.

Nous avons eu occasion de voir bien des hommes des deux partis, s'occupant par êtat, et souvent avec passion, et du livre et de la matière qu'il traite, nous n'en avons trouvé aucun qui, interrogé s'il avoit lu l'Augustiņus, ne nous ait avoué que non. Dans quelle obscurité seroit donc resté ce livre, s'il n'eut pas été condamné, puisque la condamnation même n'a pu en faire connoître que le nom? Quelque

venin qu'il pût renfermer, quel mal auroit-il fait? bien certainement aucun. Maintenant qu'on pèse les maux sans nombre qui ont résulté de sa condamnation, peut-on n'être point affligé qu'Innocent X et Alexandre VII n'aient pas laissé dans la poussière des bibliothèques, un livre que personne n'auroit lu. S'il contenoit des erreurs, si l'auteur avoit, contre son intention, donné lieu à des conséquences trop rapprochées des opinions de Calvin, ces Pontifes n'auroient-ils pas dû regarder ces conséquences, par rapport à l'auteur mort dans la paix de l'Eglise, comme désavouées d'avance par la soumission qui termine son ouvrage, et par rapport à l'instruction des fidèles, comme suffisamment condamnées dans les ouvrages même de Calvin. On tire aussi des conséquences dures de la doctrine des Thomistes, on en tire de la doctrine des Molinistes, elles sont désavouées par ceux à qui on les impute, et l'Église, contente de leur désaveu, n'a voulu condamner aucune des deux opinions, quoiqu'elles ne puissent pas être toutes les deux vraies. Peut-on ne pas regretter que le Pape n'ait point usé de la même réserve sur le livre de Jansenius?

On est fondé à croire que le Cardinal Mazarin, alors premier Ministre en France, ap

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puyoit à Rome les sollicitations des Jésuites contre ce livre, et que son crédit contribua beaucoup au succès de leurs vues. Ce n'êtoit assurément pas l'intérêt politique de la France qui lui dictoit ces démarches, et l'on ne soupçonnera pas le Cardinal Mazarin d'avoir mis beaucoup de zèle à faire condamner un livre erroné sur les matières de la grâce; il ne s'intéressoit ni à la doctrine ni à Société des Jésuites; mais il savoit que quelques-uns des Solitaires de Port-Royal avoient êté liés avec le Cardinal de Retz son ennemi. Il vouloit les punir de l'attachement qu'ils lui conservoient, et ce misérable intérêt lui a suffi pour allumer un embrâsement d'un siècle. Un Ministre peutil être excusable de livrer son pays aux dangers du fanatisme? Peut-il les ignorer? Et si, lorsque de toutes parts ils frappent les yeux, le désir de servir de petits intérêts, d'exercer de petites vengeances, de satisfaire de petites haines, l'engage à susciter, à fomenter sourdement des étincelles qu'il ne sera point maître d'éteindre, quel droit n'acquiert-il pas au mépris ou plustôt à l'indignation de la postérité?

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