Obrázky na stránke
PDF
ePub

rendu justice ni à moi, ni à ma nation, où il y a beaucoup plus de lumières qu'on ne le croit généralement chez vous, et où peut-être il est plus aisé que chez vous même de ramener le public à des idées raisonnables. J'en juge d'après l'infatuation de votre nation sur ce projet absurde de subjuguer l'Amérique, qui a duré jusqu'à ce que l'aventure de Burgoyne ait commencé à lui dessiller les yeux. J'en juge par le systême de monopole et d'exclusion qui règne chez tous vos écrivains politiques sur le commerce, (j'excepte M. Adam Smith et le doyen Tucker) systême qui est le véritable principe de votre séparation d'avec vos colonies. J'en juge par tous vos écrits polémiques sur les questions qui vous agitent depuis une vingtaine d'années, et dans lesquels, avant que le vôtre eut paru, je ne me rappelle presque pas d'en avoir lu un, où le vrai point de la question ait êté saisi.

Je n'ai pas conçu comment une nation qui a cultivé avec tant de succès toutes les branches des sciences naturelles, a pu rester si fort au dessous d'elle-même, dans la science la plus intéressante de toutes, celle du bonheur public; dans une science où la liberté de la presse, dont elle seule jouit, auroit dû lui donner sur toutes les autres nations de l'Europe un avan

tage prodigieux. Est-ce l'orgueil national qui vous a empêché de mettre à profit cet avantage? Est-ce parce que vous êtiez un peu moins mal que les autres, que vous avez tourné toutes vos spéculations à vous persuader que vous êtiez bien? Est-ce l'esprit de parti, et l'envie de se faire un appui des opinions populaires, qui a retardé vos progrès, en portant vos politiques à traiter de vaine métaphysique toutes les spéculations qui tendent à êtablir des principes fixes sur les droits et les vrais intérêts des individus et des nations? Comment se fait-il que vous soyez à peu près le premier parmi vos gens de lettres qui ayez donné des notions justes de la liberté, et qui ayez fait sentir la fausseté de cette notion rebattue par presque tous les écrivains républicains que la liberté consiste à n'être soumis qu'aux loix, comme si un homme opprimé par une loi injuste êtoit libre. Cela ne seroit pas même vrai quand on supposercit que toutes les loix sont l'ouvrage de la nation assemblée; car enfin l'individu a aussi ses droits que la nation ne peut lui ôter que par la violence, et par un usage illégitime de la force générale. Quoique vous ayez eu égard à cette vérité, et que vous vous en soyez expliqué, peut-être méritoit-elle que vous la dévelopassiez avec plus

d'étendue, vu le peu d'attention qu'y ont donné même les plus zélés partisans de la liberté.

"

C'est encore une chose étrange que ce ne soit pas en Angleterre une vérité triviale de dire qu'une nation ne peut jamais avoir droit de gouverner une autre nation; et qu'un pareil gouvernement ne peut avoir d'autre fondement que la force, qui est aussi le fondement du brigandage et de la tyrannie; que la tyrannie d'un peuple est de toutes les tyrannies la plus cruelle et la plus intolérable, celle qui laisse le moins de ressource à l'opprimé; car enfin un despote est arrêté par son propre intérêt; il a le frein du remords, ou celui de l'opinion publique; mais une multitude ne calcule rien, n'a jamais de remords, et se décerne à elle-même la gloire lorsqu'elle mérite le plus de honte.

(

Les événemens sont pour la nation angloise un terrible commentaire de votre livre. Depuis quelques mois ils se précipitent avec une rapidité très-accélérée. Le dénouement est arrivé par rapport à l'Amérique. La voilà indépendante sans retour. Sera-t-elle libre et heureuse? Ce peuple nouveau, situé si avantageusement pour donner au monde l'exemple d'une constitution où l'homme jouisse de tous ses droits, exerce librement toutes ses facultés et ne soit gouverné

[ocr errors]

que par la nature, la raison et la justice, saurat-il former une pareille constitution? Saura-t-il l'affermir sur des fondemens éternels, prévenir toutes les causes de division et de corruption qui peuvent la miner peu à peu et la détruire?

Je ne suis point content, je l'avoue, des constitutions qui ont été rédigées jusqu'à présent par les différens Etats américains : vous reprochez avec raison à celle de la Pensylvanie le serment religieux exigé pour avoir entrée dans le corps des représentans. C'est bien pis dans les autres; il y en a plusieurs qui exigent par serment la croyance particulière de certains dogmes. Je vois dans le plus grand nombre l'imitation sans objet des usages de l'Angleterre. Au lieu de ramener toutes les autorités à une seule, celle de la nation, l'on établit des corps différens, un corps de représentans, un conseil, un gouverneur, parce que l'Angleterre a une Chambre des communes, une Chambre haute et un Roi. On s'occupe à balancer ces différens pouvoirs comme si cet équilibre de forces, qu'on a pu croire nécessaire pour balancer l'énorme prépondérance de la royauté, pouvoit être de quelque usage dans des républiques fondées sur l'égalité de tous les citoyens; et comme si tout ce qui établit différens corps n'êtoit pas une source de divisions. En

voulant prévenir des dangers chimériques, on en fait naître de réels; on veut n'avoir rien à craindre du clergé, on le réunit sous la bannière d'une proscription commune. En l'excluant du droit d'éligibilité, on en fait un corps, et un corps étranger à l'Etat. Pourquoi un citoyen qui a le même intérêt que les autres à la défense commune de sa liberté et de ses propriétés, estil exclus d'y contribuer de ses lumières et de ses vertus, parce qu'il est d'une profession qui exige des vertus et des lumières ?

Le clergé n'est dangereux que quand il existe en corps dans l'Etat ; que quand on croît à ce corps des droits et des intérêts particuliers; que quand on a imaginé d'avoir une religion êtablie par la loi, comme si les hommes pouvoient avoir quelque droit ou quelque intérêt à régler la conscience les uns des autres ; comme si l'individu pouvoit sacrifier aux avantages de la société civile les opinions auxquelles il croit son salut éternel attaché; comme si l'on se sauvoit ou se damnoit en commun. Là où la tolérance, c'est-à-dire, l'incompétence absolue du Gouvernement sur la conscience des individus, est êtablie, l'ecclésiastique, au milieu de l'assemblée nationale, n'est qu'un citoyen, lorsqu'il y est admis; il redevient ecclésiastique lorsqu'on l'en exclut.

« PredošláPokračovať »