Obrázky na stránke
PDF
ePub

ce qui oblige à faire du métier de la guerre un métier de mercénaire.

Dans les Colonies méridionales, une trop grande inégalité de fortunes; et surtout le grand nombre d'esclaves noirs, dont l'esclavage est incompatible avec une bonne constitution politique, et qui, même en leur rendant la liberté, embarrasseront encore en formant deux Nations dans le même État.

Dans toutes, les préjugés, l'attachement aux formes établies, l'habitude de certaines taxes, la crainte de celles qu'il faudroit y substituer, la vanité des Colonies qui se sont cru les plus puissantes, et un malheureux commencement d'orgueil national.—Je crois les Américains forcés à s'agrandir, non par la guerre, mais par la culture. S'ils laissoient derrière eux les déserts immenses qui s'étendent jusqu'à la mer de l'Ouest, il s'y établiroit un mélange de leurs bannis, et des mauvais sujets échappés à la sévérité des loix, avec les Sauvages: ce qui formeroit des peuplades de brigands qui ravageroient l'Amérique, comme les barbares du Nord ont ravagé l'Empire Romain; de là un autre danger, la nécessité de se tenir en armes sur les frontières, et d'être dans un êtat de guerre continuelle. Les colonies voisines de la

i

frontière seroient en conséquence plus aguerries que les autres, et cette inégalité dans la force militaire seroit un aiguillon terrible pour l'ambition. Le remède à cette inégalité seroit d'entretenir une force militaire subsistante à laquelle toutes les provinces contribueroient en raison de leur population; et les Américains, qui ont encore toutes les craintes que doivent avoir les Anglois, redoutent plus que toute chose une armée permanente. Ils ont tort. Rien n'est plus aisé que de lier la constitution d'une armée permanente avec la milice, de façon que la milice en devienne meilleure, et que la liberté n'en soit que plus affermie; mais il est mal aisé de calmer sur cela leurs alarmes.

Voilà bien des difficultés, et peut-être les intérêts secrets des particuliers puissans se joignentils aux préjugés de la multitude pour arrêter les efforts des vrais sages et des vrais citoyens.

Il est impossible de ne pas faire des vœux pour que ce peuple parvienne à toute la prospérité dont il est susceptible. Il est l'espérance du genre-humain. Il peut en devenir le modèle. Il doit prouver au monde, par le fait, que les hommes peuvent être libres et tranquilles, et peuvent se passer des chaînes de toute espèce que les tyrans et les charlatans de toute

robe ont prétendu leur impôser sous le prétexte du bien public. Il doit donner l'exemple de la liberté politique, de la liberté religieuse, de la liberté du commerce et de l'industrie. L'asyle qu'il ouvre à tous les opprimés de toutes les Nations, doit consoler la terre. La facilité d'en profiter pour se dérober aux suites d'un mauvais Gouvernement, forcera les Gouvernemens Européens d'être justes et de s'éclairer; le reste du monde ouvrira peu à peu les yeux sur le néant des illusions dont les politiques se sont bercés. Mais il faut pour cela que l'Amérique s'en garantisse, et qu'elle ne redevienne pas, comme l'ont tant répété vos écrivains ministériels, une image de notre Europe, un amas de Puissances divisées, se disputant des territoires ou des profits de commerce, et cimentant continuellement l'esclavage des peuples par leur

propre sang.

Tous les hommes éclairés, tous les amis de l'humanité devroient en ce moment réunir leurs lumières et joindre leurs réflexions à celles des sages Américains, pour concourir au grand ouvrage de leur législation. Cela seroit digne de vous, Monsieur; je voudrois pouvoir échauffer votre zèle; et si, dans cette lettre, je me suis livré plus que je ne l'aurois dû, peut-être, à

l'effusion de mes propres idées, ce désir a êté mon unique motif, et m'excusera, j'espère, de l'ennui que je vous aurai causé. Je voudrois que le sang qui a coulé, et qui coulera encore dans cette querelle, ne fut pas inutile au bonheur du Genre-humain.

Nos deux Nations vont se faire réciproquement bien du mal, probablement sans qu'aucune d'elles en retire un profit réel. L'accroissement des dettes et des charges, et la ruine d'un grand nombre de citoyens, en seront peutêtre l'unique résultat. L'Angleterre m'en paroît plus près encore que la France. Si au lieu de cette guerre vous aviez pu vous exécuter de bonne grâce dès le premier moment; s'il étoit donné à la politique de faire d'avance ce qu'elle sera infailliblement forcée de faire plus tard; sì l'opinion nationale avoit pu permettre à votre Gouvernement de prévenir les événemens; et en supposant qu'il les eût prévus, s'il eût pu consentir d'abord à l'indépendance de l'Amérique sans faire la guerre à personne, je crois fermement que votre Nation n'auroit rien perdu à ce changement. Elle y perdra aujourd'hui ce qu'elle a dépensé, ce qu'elle dépensera encore; elle éprouvera, pour quelque tems, une grande diminution dans son commerce, de grands

bouleversemens intérieurs, si elle est forcée à la banqueroute; et quoi qu'il arrive, une grande diminution dans son influence politique au dehors. Mais ce dernier article est d'une bien petite importance pour le bonheur réel d'un peuple, et je ne suis point du tout de l'avis de l'Abbé Rainal dans votre épigraphe. Je ne crois pas que ceci vous mène à devenir une Nation méprisable et vous jette dans l'esclavage.

Vos malheurs présens, votre bonheur futur, seront peut-être l'effet d'une amputation nécessaire; elle étoit peut-être le seul moyen de vous sauver de la gangrène du luxe et de la corruption. Si dans vos agitations vous pouviez corriger votre constitution en rendant les élections annuelles, en répartissant le droit de représentation d'une manière plus égale. et plus proportionnée aux intérêts des représentés vous gagneriez peut-être autant que l'Amérique à cette révolution; car votre liberté vous resteroit, et vos autres pertes se répareroient bien vite avec elle et par elle.

,

Vous devez juger, Monsieur, par la franchise avec laquelle je m'ouvre à vous sur ces points délicats, de l'estime que vous m'avez inspirée, et de la satisfaction que j'éprouve à penser qu'il y a quelque ressemblance entre

« PredošláPokračovať »