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Nous ne sommes pas certains que toutes les longues et toutes les bréves du latin aient eu exactement la même mesure. Quand nous la leur donnons, il y a de fortes raisons de croire que nous prononçons mal, et que nous affligerions l'oreille de Virgile: un goût délicat, un sentiment poëtique peuvent discerner dans ses vers outre quelques moyennes, des demi-longues et des demi-bréves qu'il rapproche et mélange, dont il balance et proportionne les mesures, selon l'idée qu'il veut peindre, et l'émotion qu'il lui plaît de nous donner.

Le Grec, plus abondant et plus harmonieux, que le Latin, a aussi une prosodie, non moins régulière, mais plus accentuée, plus variée. Quoique dégénèré dans la prononciation des Grecs modernes, dont les savans néanmoins remontent plus aisément que nous à la langue de leurs Ancêtres, on y reconnaît fort bien des longues, des bréves, des très-longues, des trèsbréves, des demi - longues, des demi-bréves et des moyennes. C'est ce qu'expriment, dans notre manière de peindre les tems qu'occupent les sons notés, la ronde, la blanche, la noire, la croche ou moyenne, la double, la triple, la quadruple croche. Et c'est un avantage aussi remarquable dans notre Français, qui n'est point assez estimé, que dans le Grec qui parmi les langues est la belle

des belles; cet avantage est infiniment précieux pour la poësie, qu'elle soit ou non versifiée. On fait de meilleure musique avec sept notes et sept divisions de la mesure, qu'avec trois, ou qu'avec cinq. Aussi celle d'Homère est-elle plus riche que celle même de Virgile, et celle d'Anacréon n'a pu être égalée par le voluptueux philosophe Horace. Anacréon et Homère avoient deux cordes de plus à leur lyre.

Les Italiens et les Anglais emploient en général leurs longues à marquer la pénultième de leurs vers. Mais l'Anglais est trop sifflant, et l'Italien d'une égalité trop bruyante, pour approcher du Grec autant que le Français.

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Dans sa monotonie sonore l'Italien appelle le secours du chant et des instrumens, parce qu'il en a besoin. Toujours répétant les sept voyelles a, ah, é, i, o, ho, ou, (j'écris leur prononciation) il n'a pas les teintes adoucies de nos treize é é, è, ai, ei, et, ait, êt, est, ais, aient, eu signe du bonHEUR et père de l'Euphonie, et l'aimable muet, dont on a médit, qui sert à lier avec tant de grâce les autres voyelles. Nous avons les deux a de l'Italie, et de plus l'à prépositif. -Nous avons sept o, ô, ho, oh, au, eau, aux, que les ignorans seuls prononcent à peu près de même. -Nous avons deux ou: le dubitatif, et celui que l'accent grave rend indicatif ou inter

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rogant. Nous avons l'u qui manque à presque toutes les autres langues, et qui dans l'upsilon des Grecs tient de notre u et de notre i. - Nous avons un grand nombre de nasales qui relèvent le prix, l'effet de nos éclatantes, ainsi que les ombres bien distribuées font ressortir les couleurs vives d'un bon tableau. - Et la pluspart de ces nombreuses voyelles prennent selon le mot où elles sont placées une mesure différente. Nous méconnaissons notre richesse comme si Racine, Fénelon, Voltaire, Montesquieu, Buffon, Jean-Jacques, ne nous en avaient pas appris la valeur. Et je pourrais citer quelques vivans, non-seulement entre les beaux esprits, mais parmi les savans du premier ordre.

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Ils n'écrivent bien que parceque les idées justes et les vérités profondes, sages, nobles, tendres qu'ils ont à exprimer sont peintes sous leur plume avec les sons ou graves, ou doux, ou vigoureux, ou touchans, les diverses longues et bréves, les fortes, les claires, les aigues, les sourdes, les retentissantes dont l'harmonie s'accroît par leur bel enchaînement et leur différente durée, et qui flattant l'oreille, caressant le goût, pénètrent à la fois dans l'esprit et dans le Tous ces hommes d'élite éprouvent quelque peine quand un mauvais lecteur négligeant l'intonation, violant la quantité, rompant

cœur.

la mesure, dénature leur pensée, estropie leur discours.

C'est à ces grands maîtres qu'il faut demander si notre langue a une prosodie? et quel admirable parti l'on en peut tirer?

Le doute à cet égard vient de l'étendue de notre Empire, et de ce que chaque province a chargé son langage de quelques habitudes particulières, qui dans une grande Assemblée nationale semblent faire vingt idiômes de la langue française, même également bien écrite. J'avouerai que pour en chercher la prosodie véritable il ne faut s'adresser ni à la vivacité gasconne, ni à la gravité normande, ni à la lenteur des Allobroges, ni au celticisme des Bretons.

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Les Grecs, dans un pays bien moins vaste n'avaient pu échapper au même inconvénient ; les dialectes éolique et dorique différaient beaucoup entre eux et de l'attique. Les Ioniens et les habitans de l'Archipel avaient aussi leurs mots, et leur accent particulier. Les Béotiens et les Spartiates terminaient en as très-long les mêmes noms que les Athéniens finissaient en és d'une longueur modérée. Une simple marchande d'herbes traitait dans Athènes l'élégant Théophraste d'étranger.

Qu'est-ce à dire, c'est qu'Athènes, même vaincue, même soumise aux trente Tyrans, puis

aux Macédoniens, puis aux Romains, n'a jamais cessé d'être pour la langue la capitale de la Grèce.

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Nous devons réclamer un semblable honneur pour Paris. Il y faut écouter les bons écrivains qui l'ont habité long-tems, les bons Orateurs les bons Prédicateurs, les bons Avocats, les bons Acteurs, les bons Journalistes, la bonne Compagnie qui les écoute elle-même et qui les juge.. Je conviendrai encore, en rougissant un peu, que tout cela ne fait pas un grand nombre de personnes; et que celles qui donneraient les meilleures leçons n'y ont presque pas fait attention. Ce sont des Professeurs et d'utiles Professeurs d'une science qu'ils ignorent, qu'ils ne se connaissent point.

Mais, avertis de leur propre mérite, ceux qui voudront observer les autres et s'observer euxmêmes seront bientôt frappés de l'exactitude, de la régularité, de la beauté de notre prosodie.

Plusieurs d'entre eux ont connu deux hommes célèbres qui s'étaient particulièrement appliqués à cette intéressante partie de la langue : Diderot et M. Turgot. L'un la marquait, la déclamait peut-être un peu trop. L'autre, plus naturel, se bornait à la faire légèrement et fidèlement sentir, évitant l'affectation en cela comme en tout. Chez Diderot la prosodie êtait un chant: chez M. Turgot c'êtait un charme.

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