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Il pensait que, possesseurs d'une langue dont les syllabes ont la même variété de mesure (ou, comme on dit en fort mauvais langage, de quantité) et dans les mêmes proportions que la langue grecque, nous devions essayer de faire à l'imitation des Grecs des vers mètriques, suivant l'exemple que nous en ont donné les Latins, avec tant de succès, dans une langue moins favorable.

Il ajoutait, non sans raison, que si les zèlés partisans des vers mètriques latins et grecs voulaient honorer leur propre langue autant qu'elle le mérite, et pouvaient s'accoutumer à lire, à scander suivant les mêmes règles des vers français de la même nature, la prosodie française deviendrait mieux et plus généralement connue, et qu'il serait plus ordinaire de bien parler.

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L'esprit d'amélioration que son âme active et bienfaisante aimait à porter dans la morale dans les habitudes civiles, dans les sciences,, dans les arts, dans les loix, dans la théorie et la pratique des gouvernemens, l'animait aussi dans la littérature, et n'a pas peu contribué à lui faire composer et livrer à l'impression des vers français d'une espèce encore inusitée. Il disait comme l'Évangile, qu'il faut toujours semer, quand même les vents et les oiseaux paraîtraient devoir tout disperser ou tout détruire: car il n'est

pas impossible qu'ils laissent échapper un grain, qui, tombé en bonne terre, pourra prendre racine, et sera peut-être un jour la souche de quelque riche moisson.

Son coup d'essai fut une Invocation à la Muse d'Homère. On ne pouvait commencer des vers mètriques sous de plus nobles auspices. Il traduisit ensuite dans le même rythme presque toutes les Églogues de Virgile et le quatrième chant, le plus beau chant de l'Éneïde.

Nous donnerons le premier et le dernier de ces ouvrages qui n'eurent que ce qu'on appelle un succès d'estime, et pour qui nous n'attendons pas encore aujourd'hui un sort beaucoup plus heureux.

Les gens accoutumés à l'harmonie de nos vers alexandrins, de ceux de dix syllabes et même de nos petits vers, ne seront vraisemblablement que peu touchés de celle des vers mètriques dont ils n'ont point l'habitude. Cette harmonie est impossible à sentir par ceux qui n'ont pas remarqué la prosodie de notre langue, et même par ceux à qui elle n'est pas familière. — Ils peuvent n'y reconnaître aucune versification, sans que ce soit la faute de l'auteur.

Qu'il nous soit permis de craindre qu'ils n'admirent pas autant que quelques-uns d'eux se l'imaginent les grands poëtes de l'antiquité,

vantés souvent avec enthousiasme par des hommes qui les lisent fort mal. On peut trouver un plaisir vif à la beauté de la pensée; et se méprendre à celui que donne la cadence de l'expression. On peut aussi se croire obligé d'applaudir ce qu'on entend louer à tout le monde. Les concerts sont pleins d'amateurs qui se disent passionnés pour la musique, et qui battent des mains en bâillant, en criant bra-a-vo.

Nous espérons davantage des savans d'un goût délicat, auxquels la mélodie d'une langue rappelle celle de l'autre, qui donnent tous les jours quelques momens à la lecture de Virgile et d'Homère, qui aiment leurs vers presque autant que leurs tableaux, et qui seront émus en voyant sur un sentier moderne quelques traces de ces poëtes immortels sortis de l'Élysée. Si ces lecteurs-là ne sont pas en foule, leur opinion n'en a qu'un plus haut prix: qui sait ce qu'elle pourra produire avec le tems?

M. Turgot êtait pressé de faire en tout genre ce qui lui paraissait bien; jamais d'en recueillir le fruit. C'est une des choses que ses amis ont apprises à son école. Ils savent jouir délicieusement de ce qui arrivera quelques siècles après eux; et ce n'est pas un bonheur qu'il soit aisé de leur ravir.

INVOCATION

A LA MUSE D'HOMÈRE.

MONTE ma lyre, ô muse d'Homère, inspire moi tes sons Harmonieux! donnes-leur la cadence, et le nombre, et la rondeur! Aux Français étonnés fais goûter la beauté de ces chants, Par qui la Grèce abattue enchaîna le vainqueur à son tour, Qu'admira Rome jalouse, et que bientôt malgré son orgueil Ses écrivains, disciples soumis, imitèrent à l'envi. Déjà du rythme antique ôsant reproduire l'énergie L'immortel Klopstock sur tes pas vient de s'élancer: Klopstock sous un ciel barbare a fait germer de nos jours Ces lauriers, ces fleurs qu'aux bords des eaux Aganippides Ont moissonnés et le peintre d'Achille et le Cygne de Mantoue. Formé par eux, et comme eux dédaignant l'uniformité des rimes, Il s'imposa la chaîne du mètre, asservit à ses loix

L'impétueux essor du génie; et du sein de la contrainte

Il fit éclore et la force et la grâce, et la pompe et la douceur.
Plein du superbe désir de se montrer l'émule de ses maîtres,
Impatient de la gloire, il bondit et brise la barrière:
Il part: l'œil l'observe et le perd : il a franchi tout l'espace :
Il voit le terme, y touche et triomphe. Il s'est donné des ailes
En se donnant des fers. L'Allemagne applaudit, et l'envie
Tremble, frémit, mais cède, et se tait. Tu triomphes avec lui,
Muse. Hélas! faut-il qu'aux bords lointains de la Baltique

Les habitans des neiges du Nord se couronnent de tes roses,
Quand ma Patrie encore est insensible à ta beauté ?
Montre-toi, viens- y jouir de ta gloire et du culte qui t'est dû.
O si j'avois les vastes talens, l'éloquence de Voltaire :
Les grands traits, le riant coloris, la fécondité, les grâces;
L'art de tout peindre en vers, de tout orner, de rendre tout sensible,
D'assortir sans rompre l'accord la diversité des tons,
D'être élégant et sublime, d'unir les foudres et les fleurs!
Mieux encor si ce chantre fameux t'avoit consacré ses veilles,
Quel jour pur, quelle clarté brillante eut embelli tes charmes!
Quel torrent de lumière eut enfin dissipé les ombres,
Dont l'ignorance gothique a si long-tems terni sa splendeur!
Aux accens de sa voix, aux sons éclatans de sa trompette,
Tous nos concitoyens stupéfaits, nos belles attentives,
Nos vieux littérateurs, nos jeunes poëtes, de concert,
Ardens, empressés courroient encenser ton autel.

Au milieu des transports qu'enfanteroit l'allégresse, au bruit
Des applaudissemens, des chants de triomphe, tu verrois
Tomber le trône où la rime a su fonder sa grandeur usurpée:
Mais Voltaire la sert, et son empire est inébranlable.
Pour tes droits méconnus, que peut un seul et foible défenseur?
C'est à toi, Muse, à seconder ma voix incertaine et tremblante.
Qu'importe au surplus la foiblesse ou la beauté de l'organe?
Quel pouvoir est plus sûr, que la douceur aimable de tes airs?
Quel charme est plus fort que leur harmonieuse majesté?

Eloquium et Gallis, Gallis dedit ore rotundo
Musa loqui,

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